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Steven Defour et son Soulier d’Or en 2008, le jour de gloire

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Ahmed Hassan vs Steven Defour ou l’histoire d’un combat pour la godasse dorée. Le vieux a perdu sa bataille face au jeunot. L’esthète s’est incliné face au bosseur. Retour dans les coulisses d’une élection contestée.

Alizée Poulicek, Miss Belgique depuis quelques semaines et pas encore WAG, est dans la place. Moins glamour, Yves Leterme est là aussi. Flonflons au Casino d’Ostende en ce mercredi de janvier 2008. Soirée du Soulier d’Or avec son tralala traditionnel et ses larges bonnets.

C’est écrit, dit et répété depuis plusieurs semaines : on file vers un combat à deux. Ahmed Hassan vs Steven Defour. Un clasico. Mais de seconde zone parce qu’aucun joueur de notre championnat n’a été très bon pendant l’ensemble de l’année 2007. OK, l’artiste égyptien a eu quelques coups de génie sur la route du titre 2006-2007, comme ce jour où il a assommé Charleroi en plantant trois buts dont un d’anthologie. Et il a bien contribué à ce titre. Mais sur la première partie de la saison 2007-2008, on ne l’a plus vu. On n’a carrément pas vu Anderlecht. Et puis ses détracteurs le disent décidément trop sur le retour, à 32 ans, pour quitter le Casino avec la godasse dorée.

Defour, moins artiste, plus besogneux, a eu le parcours inverse. Relativement anonyme sur la période du premier tour de vote. Beaucoup plus présent lors de la demi-saison suivante avec un Standard qui semble déjà voler vers le titre. Mais des opposants, il en a beaucoup, lui aussi. Ils mettent l’accent sur ses statistiques personnelles assez insipides. Un seul but et un seul assist pendant la première moitié de la saison, avec un rôle en partie offensif dans une équipe qui joue la tête du classement, c’est clairement trop peu. Et puis, à 19 ans, il est jugé trop jeune pour faire un Soulier d’Or.

L’année 2007 de Steven Defour

Janvier – mai

– Championnat : 13 matches 2 buts 3 assists

– Coupe de Belgique : 6 matches 1 but 1 assist

Août – décembre

– Championnat : 16 matches 1 but 1 assist

– Coupe de Belgique : 1 match

– UEFA : 3 matches

Equipe nationale

9 matches 0 goal 2 assists

« Hassan à Ostende, c’était super »

Steven Defour débarque à Ostende sur le coup de 19h30, flanqué de son Irène. Et Ahmed Hassan ? Il devrait être au Caire pour préparer la CAN qui va se disputer au Ghana. Mais il sera suspendu pour le premier match. Une chance ! C’est grâce à cette suspension que la fédé égyptienne l’autorise à faire un aller-retour pour le gala. Alain Ronsse, du journal organisateur, Het Laatste Nieuws, ne revendique pas ce beau coup.

« On n’a pas eu de contact direct avec Hassan pour qu’il revienne, c’est Anderlecht qui a fait le nécessaire. Parce que la direction du club pensait sûrement qu’il allait gagner… En fait, tout le monde était convaincu qu’il avait autant de chances d’avoir le Soulier d’Or que Steven Defour, si pas plus de chances. J’avoue qu’on a quand même présenté le bébé comme ça à Anderlecht ! Mais on ne connaissait pas le résultat puisqu’à l’époque, les bulletins des deux tours de vote étaient dépouillés le soir même. Il ne pouvait pas y avoir de fuite. Bref, Hassan était à Ostende, c’était une bonne surprise, super… »

Walter Baseggio :
Walter Baseggio :  » Hassan n’était pas un leader, contrairement à Steven. « © BELGAIMAGE

En racontant la genèse de l’aller-retour de Hassan, Alain Ronsse repense à l’édition de janvier 1995. « Michel Preud’homme était dans les favoris mais il était à Benfica depuis quelques mois. Quand il a appris qu’on avait invité Eusebio pour remettre le Soulier d’Or, il s’est dit qu’il y avait anguille sous roche, qu’il avait sûrement gagné, que le Laatste Nieuws connaissait sûrement le résultat à l’avance. Alors, il est revenu sans se faire prier. Mais c’est Gilles De Bilde qui s’est imposé. Malheureusement pour Preud’homme, beaucoup de journalistes avaient voté avant de partir à la Coupe du Monde aux Etats-Unis. S’ils avaient rempli leur bulletin en rentrant, Preud’homme aurait fait un raz-de-marée. Il était déçu de ne pas avoir gagné mais il n’en a pas rajouté, il n’est pas parti en claquant les portes comme Lorenzo Staelens. »

« Defour était surnommé le petit Gattuso, c’était révélateur »

Retour à la soirée du 16 janvier 2008. On va annoncer le vainqueur. Ça vaut le coup d’aller revoir les images. De gauche à droite, sur un grand canapé rouge, il y Ahmed Hassan, Lucas Biglia, Marouane Fellaini et Steven Defour – un look de communiant, pas encore de barbe négligée et de coiffure improbable . Le présentateur dévoile le verdict : « En dus de Gouden Schoen 2007, Steven Defour. » Toute la tristesse de Hassan se lit dans ses yeux. Defour se lève, serre la main et fait l’accolade aux trois battus. A ce moment-là, dans ses pensées, l’Egyptien est déjà de retour au Caire, il remet déjà le focus sur la Coupe d’Afrique des Nations.

Il l’avouera dans une interview express : « Je n’ai pas regretté d’être revenu en Belgique pour la cérémonie, mais dès que le résultat a été annoncé, je me suis reconcentré sur la CAN. Dans ma tête, je suis fort. Sans doute parce que j’en ai vu d’autres, parce que j’ai connu des déceptions bien plus importantes. J’ai raté un penalty en finale d’une Coupe d’Afrique, c’est beaucoup plus grave qu’un Soulier d’Or. Et puis, j’ai reçu plusieurs trophées individuels qui valent le détour. Jusqu’au 20 janvier, je suis encore considéré officiellement comme le meilleur joueur d’Afrique. Un prix qu’on m’a remis devant 100.000 personnes. »

Dans le vestiaire d’Anderlecht, le lendemain, le verdict ne fait pas scandale. « Chaque fois qu’un joueur d’Anderlecht recevait le Soulier d’Or, on voyait ça comme une récompense collective », se souvient Walter Baseggio, alors coéquipier de Hassan. « Mais là, on était tous d’accord avec le résultat. Defour méritait de gagner. » Et puis, la relation entre l’Egyptien et les autres joueurs semblait parfois un peu compliquée.

« Hassan était un génie, aucun doute là-dessus », continue Baseggio. « Mais un génie qui ne travaillait pas énormément. Il nous a parfois sorti de situations très compliquées, comme dans le fameux match contre Charleroi, l’année où on a été champions. Les Carolos ne lâchaient rien. Hassan a fait 1-0, ils sont revenus, Hassan a fait 2-1, ils sont encore revenus, puis il a mis un troisième but, celui de la victoire, dans les dernières minutes. Dans des moments pareils, c’était un véritable artiste. Mais il n’aimait pas du tout le boulot défensif, sans doute parce que tout avait toujours tourné autour de lui dans ses clubs en Egypte et en Turquie, et en équipe nationale. Il n’avait rien d’un leader, non plus. Il arrivait, il se changeait, il montait sur le terrain, puis il nous quittait dès que l’entraînement était fini. Il était assez esseulé. Il pensait à lui, pas au groupe. Defour était différent. A 19, 20 ans, c’était déjà un patron. Et il bossait énormément. Il récupérait un nombre incroyable de ballons, puis il les distribuait vers l’avant. De la première à la dernière minute, il faisait deux choses en même temps : travail défensif, contribution offensive. Et puis il y avait sa hargne qui n’a pas été pour rien dans le titre du Standard. A l’époque, on l’appelait le petit Gattuso, c’était révélateur. »

« Fellaini et Defour savaient que les attaquants allaient faire le boulot »

Le plébiscite de Stevie D au deuxième tour de scrutin s’explique facilement. On vote au moment de Noël 2007 et le Standard est une machine qui fait la course en tête avec Bruges, alors qu’Anderlecht pointe à une pénible septième place. En 17 matches, les Liégeois ont gagné dix fois et ont partagé sept fois. Michel Preud’homme a bien huilé son ensemble. Dans l’axe de l’entrejeu, Steven Defour et Marouane Fellaini font le ménage. Sur les flancs, il y a Grégory Dufer à droite et Axel Witsel à gauche. Devant, Igor de Camargo et Milan Jovanovic affolent, et il y a aussi Dieumerci Mbokani pour aider en cas de panne d’un des deux titulaires.

« Preud’homme avait donné le brassard à Defour, et ça, c’était un choix étonnant parce qu’il faut une fameuse personnalité, à un âge aussi jeune, pour tenir une équipe avec autant de caractères forts », rappelle Dufer. « Jovanovic, de Camargo, Mbokani, Oguchi Onyewu, Dante, c’étaient tous des capitaines potentiels. Preud’homme a dû voir que Defour avait une maturité bien au-dessus de la moyenne. Quand il a reçu le Soulier d’Or, beaucoup de sceptiques ont mis le doigt sur ses statistiques, sur le fait qu’il marquait peu et donnait peu de passes décisives. Mais c’était tout à fait normal. Quand tu as Witsel, de Camargo, Jovanovic et Mbokani, est-ce que tu as encore besoin d’un médian défensif qui va se balader tout près du but adverse ? Fellaini et Defour savaient que les attaquants allaient faire le boulot. Et les attaquants savaient qu’ils n’étaient pas obligés de s’épuiser à défendre parce qu’ils avaient entièrement confiance en Fellaini et Defour. »

Ce que Jovanovic (neuvième du référendum) a pensé du sacre de son coéquipier ? Pas que du bien ! « Je suis content pour lui. Mais je m’interroge vraiment sur les critères du Soulier d’Or. Si les critères prioritaires sont le jeune âge et la régularité, aucun doute, Defour le mérite. Mais il y a d’autres choses, quand même ? On ne tient pas compte des buts et des assists ? On ne peut pas tromper les supporters. Ils vont au stade pour voir des buts et des explosions. Ce Soulier d’Or, c’est du pur show-business. On fait du lobbying partout pendant les semaines qui précèdent les votes. Je ne joue pas dans ce jeu-là. »

La leçon de foot à Thionville

Le soir où Defour a été désigné Soulier d’Or, Jérôme Nzolo a reçu le titre de meilleur arbitre 2017. Contacté au Gabon, il se souvient de cette soirée particulière : « C’est toujours une soirée paillettes, un peu comme à Cannes, et au moins, on a l’occasion de discuter tranquillement avec les joueurs et les dirigeants. Avec les joueurs, c’est impossible les jours de matches. J’ai des souvenirs du caractère très fort de Steven Defour sur le terrain. Il n’a pas attendu d’être à un âge avancé pour être un meneur d’hommes. Forcément, il s’énervait parfois quand ça ne tournait pas pour son équipe. Mais on n’a jamais eu de vrais soucis. Avec lui comme avec les autres, dès que ça chauffait, je mettais très vite de l’eau sur le pétard, et au moment où le joueur arrivait près de moi, le pétard était mouillé et ça se terminait par une toute petite discussion plutôt amicale. »

Paul Stefani :
Paul Stefani :  » Defour était payé rubis sur l’ongle au Standard. « © BELGAIMAGE

Quand on parle de personnalités fortes… Avant le match pour le titre contre Anderlecht en avril 2008, Preud’homme est furieux sur Mbokani, qui s’est pointé en retard. L’anecdote est racontée par Paul Stefani, à l’époque agent de Defour, de Camargo et Mbokani. « Preud’homme lui a dit qu’il ne jouerait pas contre Anderlecht. Mbokani lui a répondu : -Coach, fais-moi jouer, je mets deux buts et le Standard est champion. » Le Congolais a joué, il a buté deux fois et le Standard a été champion.

« Un premier moment clé de la saison du titre a été le dernier match amical du Standard avant le début du championnat », se souvient Alain Ronsse. « C’était à Thionville, contre Metz. Preud’homme était censé aligner son équipe type, ça devait être une ultime répétition générale. Il a surpris tout le monde en gardant Defour sur le banc pendant tout le match. On s’est interrogés, on a évidemment posé la question à Preud’homme. Pourquoi se privait-il de celui qu’il avait choisi comme capitaine ? Il nous a bluffés dans sa réponse : -Je l’ai gardé près de moi pour lui expliquer le fonctionnement de l’équipe, pour l’aider à voir ce qui va et ce qui ne va pas. Quelques jours plus tard, le Standard commençait le championnat à Zulte Waregem et gagnait 1-4 en faisant une démonstration. Le train était parti. » Les Rouches seront champions en perdant une seule fois. A Charleroi, une semaine après les festivités du titre.

« Son gros contrat au Standard provoquait des jalousies »

Steven Defour a passé cinq ans à Liège. Paul Stefani a tout vécu avec lui. Ses hauts, ses bas, ses blessures, ses trophées. Ses turbulences privées aussi. « Je te le jure, il y a eu de l’intérêt concret de très grands clubs », nous dit-il. « Il était le plan B du Real si Xabi Alonso n’y allait pas. A ce moment-là, un patron de l’AC Milan m’a appelé et m’a dit : -Ne le mets pas à Madrid, mets-le chez nous. J’ai discuté avec Liverpool. Et il y a eu son contact bien connu avec Alex Ferguson, pour Manchester. Puis, un jour, Ferguson a dit à un proche : -Je laisse définitivement tomber pour Defour. Il est trop souvent blessé et puis il y a sa vie sentimentale qui me paraît bien compliquée… »

Pendant son séjour au Standard, il a été revalorisé trois fois, dit aussi son agent de l’époque. « Il avait vraiment des gros contrats, et à certains moments, il y a eu des jalousies dans le groupe. Après le Soulier d’Or, je suis allé trouver la direction pour qu’on l’augmente. En arrivant, j’ai planqué un petit magnétophone derrière un fauteuil. J’ai dit : -Je viens vous voir pour que Steven soit augmenté. Ils m’ont répondu : -Mais pourquoi on devrait l’augmenter ? A ce moment-là, je suis allé rechercher mon magnétophone et j’ai lancé Simply the best. On était tous écroulés. »

Zidane à Sclessin, l’histoire vraie

Luciano D'onofrio avait fait en sorte que Zinédine Zidane en personne remette le Sulier d'Or à Defour.
Luciano D’onofrio avait fait en sorte que Zinédine Zidane en personne remette le Sulier d’Or à Defour.© BELGAIMAGE

Ce coup de tonnerre médiatique est raconté par Alain Ronsse, du Laatste Nieuws. Et c’est savoureux…

« Le soir du gala, on finit très tard dans une salle du Casino d’Ostende. Luciano D’Onofrio a affrété un bar. Je lui dis qu’on remettra le Soulier d’Or à Steven Defour en avril ou en mai. Et dans l’enthousiasme, je lui lance : -Tiens, tu as un bon contact avec Zinédine Zidane , il ne pourrait pas faire le déplacement à Liège pour remettre le trophée ? Ce serait super chouette. Il me répond : -Mais qu’est-ce que tu viens me raconter là ?

A la mi-avril 2008, le Standard joue à Gand en Coupe de Belgique et se fait éliminer. C’est cinq jours avant le Standard – Anderlecht où on a prévu de faire la cérémonie avant le coup d’envoi. A Gand, je suis en tribune à côté de D’Onofrio. Je lui demande s’il a repensé à ce que je lui ai demandé à Ostende. Il me lâche : « Nom de dieu, tu ne crois quand même pas que Zizou va se taper un déplacement pareil pour remettre un Soulier d’Or de merde ? » Il a un sourire carnassier quand il me dit ça, c’est une image parce qu’il ne dévalue pas du tout le prix. Et il ajoute : « Je vois que quand c’est un gars d’Anderlecht qui gagne le Soulier d’Or, c’est Roger Vanden Stock qui le remet. Et moi, je ne peux pas le faire au Standard ? »

Le jour du clasico, j’arrive à Sclessin avec le Soulier d’Or dans mon sac. Je réfléchis à la photo qui paraîtra dans tous les journaux. Et là, j’ai une idée : je vais demander si Wilfried Van Moer peut m’accompagner dans le rond central. Un ancien Soulier d’Or, une icône du Standard, c’est symbolique. En montant vers la salle de réception, je croise Dominique D’Onofrio. Il voit que je suis un peu énervé. Je lui explique que j’aurais voulu avoir Zidane, mais puisque ça ne s’est pas fait, je vais essayer d’avoir Van Moer. Il me répond : -A ta place, je ne demanderais pas à Van Moer. Je crois que mon frère a un cadeau pour toi.

Je redescends vers l’espace des vestiaires, et là, qui je vois devant moi ? Zidane, toujours svelte, tout en noir, avec une veste en cuir. Luciano est avec lui. L’arbitre appelle les joueurs, et quand ils arrivent dans le tunnel, il faut voir leur tête. Lucas Biglia et tous les autres, ils sont super impressionnés. Je lis dans leur regard : -Mon dieu ! Au moment où ils montent sur le terrain, le speaker annonce que Zidane est là, le stade explose.

De la part de Luciano D’Onofrio, c’est un coup psychologique phénoménal. Les Anderlechtois voient que Zidane est venu pour fêter un adversaire, c’est déjà 1-0 avant de commencer, le Standard a déjà presque gagné le match. Personne n’avait été mis au courant, Defour est tombé des nues comme tout le monde. »

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