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 » Il faut tout refaire au Standard « 

Le bouillant coach du Standard vient de prendre deux uppercuts en moins d’une semaine mais ne se dit pas abattu. Explications.

S’il fallait résumer l’homme ? Explosif. Ou bourré de tempérament. Ou encore engagé à l’extrême dans tout ce qu’il fait et tout ce qu’il dit. Ricardo Sá Pinto, c’est un gars qui ne connaît pas l’eau tiède. Ses confessions sur ses premières semaines au Standard ont lieu deux jours après la défaite face à Saint-Trond (1-0). Il nous dit ne pas avoir beaucoup dormi depuis.

Après la gifle de vendredi dernier à Sclessin face à Zulte Waregem (0-4), on l’imagine encore bien plus cerné de doutes. Entretien plein pot, évidemment. Et une petite précision linguistique utile pour commencer : quand il dit  » c’est casino « , il faut traduire  » ça ne va pas « . Et malheureusement, c’est un peu trop  » casino  » depuis le début de la saison….

Pourquoi tu passes autant de temps à mettre le doigt sur le fameux aspect mental ?

RICARDO SÁ PINTO : Parce que le mental, dans le foot, c’est tout. Voilà. Ce n’est quand même pas si étonnant que j’insiste autant là-dessus, ici. Je suis arrivé dans un club où il faut inverser la situation des deux dernières années, il faut tout refaire, réinstaller une mentalité de gagneur, convaincre les joueurs qu’il faut à nouveau un engagement total. Je veux refaire du Standard une équipe qui gagne. On doit retourner aux bonnes années de ce club. L’objectif, cette saison, ce n’est pas de gagner le championnat. Mais on doit jouer les play-offs 1. Et ça devrait aller. On devrait y aller. Et on ira. J’en suis convaincu à 100 %. Le Standard n’a de toute façon pas le droit de passer trois fois de suite à côté des play-offs.

Tu dis que dans le foot de haut niveau, la différence se fait dans la tête et avec le coeur…

SÁ PINTO : Oui, je crois beaucoup à ça. On a des bons joueurs. Mais on n’est pas les seuls à en avoir ! Et il n’y a pas qu’au Standard qu’ils sont bien préparés ! On a la motivation, mais les autres l’ont aussi. Tu as vu le match à Saint-Trond ? Les gars, à partir du moment où ils ont le Standard en face, ils donnent leur vie. La différence peut se faire sur un détail, sur un coup de chance ou un peu de malchance. Et je veux des gagneurs. Comme je l’ai toujours été. Je ne suis jamais content. Quand on mène 1-0, je ne suis pas content. Je veux en mettre un deuxième. Je ne veux pas qu’on prenne des buts. Et je râle quand on offre des cadeaux aux adversaires. J’exige aussi de l’efficacité. Perdre à Saint-Trond alors qu’on a eu quatre occasions fantastiques, ça ne va pas. Normalement, un match pareil, tu le gagnes. Il faut de la concentration, on ne peut rien lâcher, je veux des gars qui se concentrent pendant nonante minutes avec un objectif : faire mal à l’équipe d’en face. On travaille sur tout ça. Mais c’est impossible de tout changer en deux mois.

 » Je suis venu pour que le Standard remonte  »

Les deux dernières saisons sont encore dans les têtes ?

SÁ PINTO : Ils sont très motivés et très contents, je ne crois pas qu’ils y pensent… quand ça va bien. Mais peut-être que quand ça va un peu moins bien, ils y repensent, oui. Ils sont conscients que la saison sera difficile. On va gagner des matches. On va faire des nuls. On va perdre aussi. Je prévois un championnat où ce sera compliqué pour toutes les équipes, même celles qui sont censées jouer les play-offs 1. Regarde le départ de Gand et d’Ostende. Même le départ d’Anderlecht est difficile. Les meilleures équipes vont perdre beaucoup de points, j’en suis persuadé. La concentration, l’envie, le coeur, ça fera régulièrement la différence. Une concentration pendant 100 % du temps, pas pendant 90 %. Si ta défense est fantastique pendant 90 minutes puis prend un but dans les arrêts de jeu… hé bien ta défense n’a pas été bonne. Si ton attaquant met un beau but puis rate une occasion… hé bien ton attaquant n’a pas été bon. À ce niveau, tu ne peux pas donner de cadeau. Pas un seul cadeau. Je passe beaucoup de temps à préparer l’aspect tactique, la stratégie, mais aussi le mental. Si j’ai un joueur super doué qui cadre une frappe magnifique des 35 mètres, je lui dirai : -Fantastique, félicitations. Mais qu’il ne vienne pas, derrière, négliger mes principes défensifs. Les basics de l’organisation offensive et défensive, tu ne peux jamais les oublier.

Tu veux dire que l’esthétique n’est pas du tout prioritaire ?

SÁ PINTO : Tout compte. Mais je suis au Standard pour le résultat, c’est ça la vérité et ma mission. Gagner nos matches, c’est ça qui est important. Si mon équipe peut dominer l’adversaire, fantastique. Si elle peut offrir du beau football, fantastique. Mais je vis pour le résultat.

Tu reprends le raisonnement de Javier Clemente, que tu as eu comme entraîneur à la Real Sociedad ! Il disait :  » On me paie pour gagner, pas pour faire des films.  »

SÁ PINTO : Je suis tout à fait d’accord. Gagner, c’est notre vie. Après, il y a la dimension du club dans lequel tu travailles. Tu peux essayer de donner quelque chose en plus aux gens. Je suis venu pour que le Standard remonte. Si je peux rester longtemps ici, l’objectif sera plus élevé chaque année.

Tu étais plus un gagneur et un joueur de grinta qu’un Luis Figo, par exemple. C’est pour ça qu’au Portugal, tout le monde t’appréciait ? Même les supporters de Benfica, alors que tu étais un homme du Sporting de Lisbonne…

SÁ PINTO : On m’a toujours respecté parce que j’ai toujours tout donné, comme joueur et comme entraîneur.

Tu n’es jamais fatigué ?

SÁ PINTO : Oh, beaucoup… (Il soupire). C’est terrible. Quand je jouais, c’était une fatigue physique. Maintenant, c’est une fatigue psychologique très forte. J’ai complètement changé ma façon de vivre le foot, ce sont les responsabilités qui font ça.

 » Je trace ma route  »

Tu es revenu ici avec l’étiquette d’un ancien grand joueur de caractère qui aimait aussi beaucoup profiter de la vie. Mais on a aujourd’hui l’impression que depuis ton retour, tu travailles tout le temps !

SÁ PINTO : Oui… Mais j’aime toujours bien aller au restaurant hein, quand même. C’est là que je me relâche le soir. Un bon resto, un bon vin. C’est ça la priorité, un bon vin. Le coca-cola, tout ça, c’est pas pour moi… Un vin français, portugais, italien ou même néo-zélandais, ils en font aussi du bon là-bas… C’est au restaurant que je retrouve mon énergie, que je recharge mes batteries.

Tu arrives vraiment à couper ?

SÁ PINTO : Ah non, ça jamais. Dans ma tête, ce n’est jamais fini. Je pense en permanence à une décision que j’aurais dû prendre ou à une autre que je vais devoir prendre. Je ne dors jamais, je me repose. J’ai l’impression que j’ai besoin d’être toujours en éveil pour bien faire les choses. J’ai besoin aussi de faire du sport. Mais j’ai un gros problème de genou. (Il prend un air dépité). Courir, c’est devenu vraiment difficile. Je fais du vélo. C’est bon pour le coeur aussi.

Une reprise, en général, c’est cool. On fait les tests physiques et d’autres petits trucs légers. Avec toi, ça a été intensif dès le premier jour et les joueurs ont été surpris. C’était ta manière de faire comprendre que ça allait changer par rapport aux dernières saisons ?

SÁ PINTO : Je ne sais pas ce qui s’est passé au Standard les deux dernières années, ça ne m’intéresse pas.

Les dirigeants t’en ont sûrement parlé, quand même ?

SÁ PINTO : Je trace ma route. J’ai ma méthodologie d’entraînement. Si le club m’avait demandé d’appliquer un programme précis, je l’aurais fait. Mais à partir du moment où on ne me demandait rien, je pouvais faire à ma façon. Et, oui c’est vrai, on a directement très bien travaillé.

Tu ne mets pas trop de pression sur tes joueurs en étant toujours derrière eux ?

SÁ PINTO : Mais je ne suis pas toujours derrière eux ! Je n’aime pas faire la police ! Je n’ai pas envie de les surveiller en continu, de leur dire qu’ils doivent faire attention à ceci et à cela. Par contre, sur le terrain, il y a des phases de l’entraînement où je ne les lâche pas. Deux ou trois séquences précises par entraînement. L’échauffement, l’activation, les premières minutes avec le ballon, c’est plus relâché comme ambiance. Mais dès qu’on passe au boulot tactique, je ne laisse plus rien passer. Quand ce travail commence, pour moi notre vie commence, le match du week-end commence.

 » Oui, Ronaldo a commencé avec moi…  »

Toi qui as connu beaucoup de grands joueurs, comme Luis Figo et même Cristiano Ronaldo, tu peux expliquer la différence entre un bon joueur et un grand joueur ?

SÁ PINTO : Oui oui, Ronaldo a commencé avec moi au Sporting… Un joueur normal, il fait un bon match, il est content, pour lui c’est bon. Puis il fait deux, trois ou quatre matches moyens. Puis il ressort un match fantastique. Et ça continue comme ça. C’est casino. Le joueur normal n’a pas assez faim pour le talent qu’il a. Le grand joueur, il n’est jamais satisfait.

Tu as toujours eu un tempérament de leader ?

SÁ PINTO : Je cherchais toujours à montrer l’exemple, en tout cas. Et l’exemple, tu le montres en étant irréprochable. J’étais très très pro. J’étais toujours le premier au centre d’entraînement. Et comme j’étais très exigeant avec moi-même, j’estimais que je pouvais exiger beaucoup de mes coéquipiers. Comme joueur, j’étais là pour gagner. Comme entraîneur, je suis là pour gagner. Si j’avais un coéquipier qui ne bossait pas bien, j’allais le trouver : -Mon ami, c’est pas comme ça qu’on fait, on est une équipe. Ton travail est mon travail. Si tu ne fais pas bien ton travail, tu casses mon travail. Je n’étais pas parfait, je faisais aussi des erreurs, j’étais parfois trop émotionnel, mais je donnais toujours tout.

Et parfois, ça pétait, il y avait des bagarres. On se souvient par exemple que ça a chauffé entre Artur Jorge et toi. Chaque fois, on revenait avec cette image de personnage explosif…

SÁ PINTO : Pas si explosif, non. Mais quand je voyais quelque chose qui ne fonctionnait pas, je faisais tout pour que ça change. Et quand je constatais une injustice, j’avais vraiment du mal.

Au Standard, tu étais le premier à l’entraînement alors que tu n’étais pas titulaire. Et quand tu montais au jeu, on avait l’impression de voir un chien enragé.

SÁ PINTO : J’avais la rage. Trois ans plus tôt, j’étais allé voir un médecin pour un problème au genou. Il m’avait dit : -Arrête le foot, va jouer au golf. Ça m’avait mis hors de moi. Je ne voulais pas arrêter. Et quand je suis venu au Standard, j’ai vu une opportunité de finir mon parcours dans un grand club, alors j’ai continué à tout donner pour que ça se termine bien.

Karel Geraerts a dit que tu étais encore plus explosif que Sergio Conceiçao. C’est possible ?

SÁ PINTO : Il ne fallait pas qu’on touche à Conceiçao ou à un autre. J’étais toujours là pour mes amis, pour mon équipe. Si on m’avait dit que Conceiçao allait mourir, j’aurais dit : -Alors on va mourir ensemble. Je ne peux pas laisser un des miens seul…

 » Je suis old old old school  »

Si un joueur du Standard ne bosse pas bien, il s’expose à quoi ?

SÁ PINTO : Je me chargerai moi-même de lui faire passer mon message. Je ne vais pas demander à Olivier Renard ou au docteur de faire le boulot. Non, ça c’est casino. Je dis ce que je pense à la personne concernée. Toujours avec du respect mais je ne mets pas de gants. Je peux leur dire, par exemple : -On n’est pas à l’Académie, hein ! L’Académie, c’est là, à côté, c’est pour les jeunes. Ici, on est chez les hommes, tu es professionnel. Je crois que, dans mon noyau, tout le monde sait exactement ce que je pense. Quand on n’a pas gagné, je râle. En rentrant, je ne peux pas commencer à prendre mon fils pour lui faire un câlin, je ne peux pas aller faire un bon resto avec ma femme. C’est notre vie ! C’est notre vie ! J’ai besoin de joueurs qui vivent comme ça, qui sont dans le projet du club. Je ne peux pas changer les mentalités en deux ou trois mois mais ils connaissent déjà ma route. Je sais qu’on peut y arriver. Mais ça prend du temps.

Tu es un peu old school comme entraîneur, non ?

SÁ PINTO : Dans certains aspects, sur certaines règles, sur la conception du professionnalisme, du travail quotidien, je suis old old old school

Les joueurs sont impressionnés par la puissance de tes discours.

SÁ PINTO : Quand tu prends la parole, tu dois savoir exactement ce que tu vas dire. Et tu dois saisir les meilleurs moments pour le dire. Je ne fais pas de théâtre, je ne mets pas un masque, c’est naturel, c’est moi. Si tu caches ton vrai visage, tes joueurs finiront toujours par le découvrir. N’essaie pas de jouer au malin, tes hommes sont assez fins pour savoir si tu es naturel ou pas.

 » Je ne sais même pas combien je gagne  »

Quand tu jouais au Standard, il y avait du caractère et des caractères dans le vestiaire, avec toi, Sergio Conceiçao, Milan Rapaic, Oguchi Onyewu. Aussi des carrières prestigieuses. Ça ne manque pas un peu de personnalité et de vécu au plus haut niveau dans le vestiaire actuel ?

SÁ PINTO : En amenant Guillermo Ochoa, en faisant revenir Sébastien Pocognoli et Paul-José Mpoku, on a pris de l’expérience et de la qualité. Je suis très content de mon groupe. Mais on a une équipe en construction, ça c’est sûr.

Mpoku a raison quand il dit que le Standard ne fait plus peur ?

SÁ PINTO : Quand j’étais joueur ici, il y avait au moins un grand respect pour le Standard. Aujourd’hui, je vois qu’il n’y en a plus. Quand tu vois ce que cet arbitre fait avec nous à Saint-Trond… C’est casino. Dans nos premiers matches, je n’ai vu aucun respect de la part des arbitres.

Les supporters veulent que tu réveilles une équipe qui dormait depuis deux ans !

SÁ PINTO : Oui, c’est ma responsabilité. Mais je ne ferai rien sans les joueurs, je ne suis pas un magicien.

Qu’est-ce que tu as dit à Bruno Venanzi pour le convaincre de te prendre ?

SÁ PINTO : C’est lui qui m’a convaincu. (Il éclate de rire). C’est comme ça. Et j’avais la volonté de venir. Je ne sais même pas combien je gagne ici… Je sais que je corresponds à ce club. Le Standard, c’est ma maison. Mon plus grand objectif, maintenant, c’est d’être champion avec le Standard. Ça, c’est mon rêve.

PAR THOMAS BRICMONT ET PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Je veux des gagneurs comme je l’ai toujours été. Je ne suis jamais content.  » RICARDO SÁ PINTO

 » Je n’arrive jamais à couper, dans ma tête ce n’est jamais fini.  » RICARDO SÁ PINTO

 » On m’a toujours respecté parce que j’ai toujours tout donné, comme joueur et comme entraîneur.  » RICARDO SÁ PINTO

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