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 » Roberto Martinez est un grand monsieur du football « 

 » On m’appelle le médiateur « . Un habile communicant dont l’importance au sein du football belge a grandi de façon exponentielle ces deux dernières années. Rencontre, à Moscou, avec celui qui est devenu bien plus que le patron du Sporting Charleroi.

Roberto Martinez traverse la horde de journalistes cloisonnée dans les sous-sols du Spartak Stadium. Avant de monter dans le car, le coach national débriefe avec Mehdi Bayat. La rencontre face à la Tunisie vient tout juste de se terminer et les deux hommes ont la posture de gens satisfaits. Romelu Lukaku est le dernier joueur de la délégation à quitter le stade, happé par le ramdam médiatique déclenché par ses deux buts. Lui aussi croise le patron de Charleroi et l’enlace. Le sourire est manifeste. La veille, Mehdi Bayat nous reçoit dans les jardins de l’ambassadeur belge à Moscou, Jean-Arthur Régibeau.

Entouré de vips et de sponsors belges invités pour le match du lendemain, le boss de Charleroi est dans son élément. Depuis plusieurs mois, difficile de passer à côté de lui. Mehdi Bayat est partout.

 » Il faut redéfinir mes rôles : d’administrateur à la Pro League, je me suis retrouvé au comité exécutif de la Fédé puis de ce comité, on m’a envoyé au Conseil d’administration de la Fédé et de là, à la commission technique en charge des Diables Rouges. Très concrètement, j’ai d’abord participé à la sortie de Marc Wilmots…  »

 » Pas en phase avec Wilmots  »

Ce fut une sortie compliquée ?

MEHDI BAYAT : Non, pas vraiment. Mais c’est clair que je ne suis pas du tout en phase avec lui. C’est un secret de polichinelle.

Ce n’était plus possible de continuer avec Marc Wilmots ?

BAYAT : Le discours de Marc n’était pas bon. Et puis, la nouvelle vision de la commission technique restreinte représentée par Bart Verhaeghe, Chris Van Puyvelde et moi-même ne collait pas à celle de Marc Wilmots. Point.

Pourquoi avoir opté pour Roberto Martinez, qui n’évoquait pas grand-chose pour le grand public ?

BAYAT : On a d’abord fait un appel à candidatures, ce qui a fait rire tout le monde. Une short list s’en est dégagée ( Ralf Rangnick, Rudi Garcia, Louis van Gaal, Dick Advocaat, ndlr). Mais Roberto Martinez nous a tous les trois convaincus. Marc Wilmots était un sélectionneur, Martinez est bien plus que ça.

Il se préoccupe du football belge. Il va régulièrement à Tubize, il parle aux autres entraîneurs, il s’implique dans le développement quotidien du football belge. Roberto Martinez travaille au quotidien, il est full time, ce qui n’était pas le cas avant.

Il nous aide au niveau de la Pro League, aussi. C’est lui, par exemple, qui a encouragé les clubs à partager toutes les statistiques physiques. Au début, tout le monde était réticent, aujourd’hui tout le monde est content. Il tire véritablement tout le foot belge vers le haut. Et près de deux ans plus tard, Roberto Martinez est la même personne que celle qui s’était présentée devant nous lors du premier entretien.

 » Les Diables avaient besoin d’une figure extérieure  »

Thomas Meunier nous disait que le fait de miser sur quelqu’un de neutre, ni francophone ni néerlandophone, était une bonne chose. Ça faisait aussi partie de vos critères ?

BAYAT : 80 % de notre noyau joue en Angleterre. Il fallait surtout quelqu’un dont le profil épouse celui avec lequel nos joueurs vivent au quotidien. On n’est pas là pour faire du belge. On est là pour faire de la compétence. C’était le profil parfait pour écrire une nouvelle page.

Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui ?

BAYAT : Tout. Son système de fonctionnement, son honnêteté par rapport aux difficultés de coacher pour la première fois une sélection. Pour moi, Roberto Martinez est un grand monsieur du football. C’est quelqu’un d’honnête, de courtois, de poli, de fiable. Quand il dit quelque chose, il l’assume.

Et c’est un vrai bosseur qui ne laisse rien au hasard. Tout est calculé. Quotidiennement, il nous fait part de son travail. Quand on parle avec les entraîneurs à Tubize, tout le monde est sous le charme.

Le mec a pris le temps de rencontrer tous les clubs, de discuter avec les entraîneurs des clubs pros et aujourd’hui, on a quelqu’un qui est capable de se faire respecter au sein d’un tel noyau. Un noyau qui avait besoin d’avoir une figure extérieure.

Mehdi Bayat est-il toujours le bras droit de Bart Verhaeghe ?

BAYAT : Non et ça n’a jamais été le cas. Mais je ne suis pas dans une course avec Bart Verhaeghe pour savoir qui est le plus important des deux. Je travaille main dans la main avec lui. Bart, c’est un visionnaire, c’est quelqu’un de structuré, de jeune, de dynamique. J’adore. Il arrive qu’on ne soit pas d’accord mais la logique l’emporte toujours. Il y a un vrai équilibre entre nous deux.

 » Aujourd’hui, la Fédé fait bloc avec les joueurs  »

Dans le dossier des primes et des droits d’image, le duo Verhaeghe-Bayat semble avoir utilisé le procédé du good cop-bad cop.

BAYAT : Dans ces négociations, Bart Verhaeghe a été ferme comme il doit l’être par rapport à son expérience. Je pense que Bart est quelqu’un de très patriote, dont la communication a peut-être été mauvaise, mais qui a été très utile par la suite. Car je suis passé derrière et j’ai peut-être traduit le message différemment. Et ça a fonctionné. Mais si Bart n’avait pas été aussi dur au départ, on ne serait pas arrivé à un accord avec les joueurs. Ils ont parfaitement compris aussi que le deal qui avait été négocié à l’époque était inacceptable, c’était un scandale.

On n’est pas là pour faire du belge. On est là pour faire de la compétence.  » Mehdi Bayat

Arriver à faire comprendre aux joueurs qu’ils gagnent trop d’argent, ça semble pourtant compliqué.

BAYAT : Non. Ils ont parfaitement compris que la Fédération ne peut pas donner plus que ce qu’elle ne gagne. On a toujours cette tendance à croire que nos joueurs sont cons mais ils sont loin de l’être. Ils voulaient faire un effort mais c’est la manière dont on a présenté les choses qu’ils n’ont pas appréciée au départ. Au final, ils ont fait un effort considérable, ils ont prouvé qu’ils ne jouaient pas en sélection pour l’argent et qu’ils soutiennent la Fédération. Aujourd’hui, la Fédé fait bloc avec ses joueurs.

Le
Le  » médiateur  » des Diables en compagnie de l’ambassadeur de Belgique à Moscou, Jean-Arthur Régibeau et du président de l’URBSFA, Gérard Linard.© BELGAIMAGE

Quel était le plan de Martinez avant cette Coupe du Monde ?

BAYAT : Minimiser les risques d’échec, maximiser la réussite, en n’oubliant rien.

Comme le fait d’inviter très tôt les proches des joueurs à l’hôtel ?

BAYAT : Je me répète, il ne laisse rien au hasard, il réfléchit à tout, comme au fait de donner une bouée d’oxygène à leur famille.

 » On a une vision jusqu’au Qatar  »

Si la Belgique venait à être éliminée en huitièmes de finale (l’entretien a été réalisé bien avant, ndlr), le risque de se séparer du sélectionneur, malgré la prolongation de contrat de deux ans, est-il très probable ?

BAYAT : Non, ce n’est pas vrai, on verra. Aujourd’hui, on a une vision qui doit tenir jusqu’au Qatar. Et faire en sorte que le foot belge progresse à tous les niveaux.

Tu as sondé les joueurs au sujet de la prolongation de contrat de Roberto Martinez ?

BAYAT : Oui, même si je ne l’ai pas fait comme un institut de sondage. Mais effectivement, j’ai reçu des échos de certains qui étaient extrêmement positifs. Mais je n’avais même pas besoin de leur demander, quand je suis avec eux, je vois leur attitude, je vois qu’ils sont derrière lui. Aujourd’hui, on a une équipe.

Quand tu vois Kevin De Bruyne, qu’on a souvent catalogué comme égoïste, sa manière de de se comporter sur le terrain dit beaucoup. Ça se voit aussi au niveau de l’ambiance, de l’état d’esprit. Mais c’est deux ans de travail, il ne faut pas l’oublier.

En tant que spectateur de l’intérieur, je le sens, je le vois. Quand on passe du temps avec 25 joueurs à parler dans une salle, tu perçois leur état d’esprit. Dans le dossier des primes, par exemple, ce qui m’a plu, c’est l’unité des joueurs. Ils étaient fermes dans leur unité.

Tu as construit un lien très fort avec les joueurs ?

BAYAT : Oui, je pense. Ils ont compris que je voulais travailler pour eux et dans leur intérêt. On a voulu par exemple améliorer le confort de leurs familles les jours de match, avec une pièce qui leur est réservée ces jours-là. Ce sont des petits détails mais qui ont toute leur importance.

 » Il faut davantage exploiter le produit Diables Rouges  »

Le produit  » Diable Rouge  » n’est-il pas assez exploité ?

BAYAT : Bien sûr, c’est un produit exceptionnel qui doit être davantage exploité. Et on l’exploite mal. J’ai d’ailleurs une totale confiance en notre nouveau CEO, Peter Bossaert, pour nous amener plus haut. On ne peut plus se permettre de brader un produit qui une image internationale forte. La fédération, c’est une pyramide et les Diables Rouges sont tout au-dessus de cette pyramide.

La base, c’est le foot amateur. Et il faut arriver à faire en sorte que les Diables puissent s’identifier à un projet dans lequel ils se reconnaissent. Quand je parle avec eux, je leur rappelle ceci : vous avez tous commencé dans un patelin et on doit faire en sorte qu’on puisse continuer à avoir ces clubs de patelin. Je peux vous assurer qu’ils en sont pleinement conscients.

Lors d’une récente conférence de presse, la Fédé s’est félicitée de l’état des finances.

BAYAT : Oui, les finances de la Fédé sont bonnes mais il faut souligner le travail exceptionnel de quelqu’un : Gérard Linard. C’est un homme de chiffres et un homme fiable. Quand il dit quelque chose, il le fait, et ça c’est une denrée rare dans le monde du foot.

Il existe plus charismatique que lui.

BAYAT : Peut-être mais ce n’est pas ça qu’on lui demande. Si tu fais une photo avant son arrivée et aujourd’hui, tu vois que les choses ont changé. La Fédé, ce n’est pas un duo Bayat-Verhaeghe mais un trio.

 » Le temps du faux-pouvoir, c’est terminé  »

Comment perçois-tu cette critique que la Ligue Pro dirige le foot belge ?

BAYAT : C’est totalement faux. Aujourd’hui, il y a une parité au Conseil d’administration entre le foot amateur et le foot professionnel. Avant, on disait que les amateurs se léguaient contre le foot pro. Aujourd’hui, on reproche aux amateurs francophones d’être liés au foot pro. La vérité et je le dis à chaque conseil d’administration : nous ne sommes les marionnettes de personne. Le Conseil d’administration est aujourd’hui l’organe suprême à la fédération. On a le droit de ne pas être du même avis mais alors votons. Vous êtes libres de vos choix.

Wilmots était un sélectionneur, Martinez est bien plus que ça. Il se préoccupe du football belge.  » Mehdi Bayat

Au-delà d’être un touche-à-tout, Mehdi Bayat est surtout un homme de pouvoir.

BAYAT : C’est fini le temps de ce faux-pouvoir au sein du foot belge. Aujourd’hui, on est au temps du travail et de la compétence. Les gens qui s’activent occupent aujourd’hui une certaine position. Pourquoi Mehdi Bayat est partout ? Parce qu’il passe plus de temps que les autres sur le terrain.

Cette omniprésence est parfois mal perçue. Même les supporters du Standard t’ont pris pour cible. C’est plutôt rare qu’un dirigeant soit visé par un public adverse.

BAYAT : J’en suis hyper fier. Surtout quand je ne suis pas à Sclessin et qu’on m’envoie des vidéos : Mehdi Bayat, on va tout casser chez toi, je ne peux qu’être fier. Ça veut dire que j’existe et que Charleroi existe.

Un parterre de vips et de sponsors dans les jardins de l'ambassade.
Un parterre de vips et de sponsors dans les jardins de l’ambassade.© BELGAIMAGE

 » Aujourd’hui, je m’entends super bien avec Marc Coucke « 

Ce n’est pas déstabilisant de passer des Diables au Sporting Charleroi ?

MEHDI BAYAT : Non. J’ai récemment croisé Steven Martens au congrès de la FIFA. Et je lui ai dit : Steven tu te souviens de notre entrevue en septembre 2012 ? Je lui avais dit : je suis le nouveau patron de Charleroi, je veux réhabiliter ce club, qu’il ne soit plus le vilain garçon continuellement en conflit avec le reste du football belge. Je suis jeune, j’ai de l’ambition pour mon club, je veux essayer de faire en sorte que mon dynamisme puisse être au service des autres.

Steven Martens m’avait regardé comme si j’étais un extraterrestre. Au congrès de la FIFA, il m’a dit : félicitations ! Tout ce que tu m’as dit, tu l’as fait. Et aujourd’hui, je pars d’un principe qui est très clair : si les Diables se portent bien, tout le foot belge se portera bien. Et je pense que je suis crédible avec ce discours depuis le début et je le maintiens.

Tu te sens davantage reconnu par tes pairs qu’il y a quelques années ?

BAYAT : Si j’étais un charlatan, j’aurais été démasqué depuis longtemps. Aujourd’hui, on m’appelle le médiateur. Je règle les problèmes de pas mal de monde. Même du côté flamand, quand ils se disputent un peu, on a déjà fait appel à moi pour essayer de calmer les choses. Ça veut dire que les gens ont confiance en moi. Mais malgré les apparences, qui me donnent une image de quelqu’un de très sûr de lui, je me remets tout le temps en question. C’est aussi une manière de me challenger.

Avec toutes ces différentes casquettes, tu continues à avoir une vie de famille ?

BAYAT :Pour le moment, c’est très compliqué. En même temps, ça fait partie du jeu, je suis jeune, c’est maintenant que je dois turbiner. Heureusement, je peux compter sur une garde rapprochée à Charleroi exceptionnelle avec Pierre-Yves Hendrickx ou Walter Chardon. Ils me permettent de consacrer plus de temps à la Fédération, tout en continuant à positionner le club.

Tu comptes pourtant encore quelques détracteurs au sein du foot belge, comme Marc Coucke, par exemple.

BAYAT :Aujourd’hui, je m’entends super bien avec Marc. Avant, c’était plus compliqué car on ne se connaissait pas.

Tu aurais pu être le successeur de Herman Van Holsbeeck sous l’ancien régime ?

BAYAT : Évidemment qu’on a évoqué ça ensemble. Il y a eu de nombreuses discussions avec Herman à ce sujet, différentes options ont été envisagées très sérieusement, mais j’ai toujours dit une chose : je suis Carolo.

Le fait que ça plafonne au niveau des supporters, des infrastructures, etc. Ça ne te décourage pas ?

BAYAT : Ça viendra, je suis encore très jeune. Et je n’oublie pas : si je n’étais pas à Charleroi, je n’en serais pas là où j’en suis aujourd’hui.

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