© BELGAIMAGE

Quand les Sénégalais font le bonheur des clubs belges

Il y a soixante ans, l’Afrique et ses joueurs s’invitaient dans le championnat de Belgique. Après les Congolais, les Nigérians, les Ghanéens ou les Ivoiriens, ce sont les Sénégalais qui font désormais le bonheur des clubs belges.

Depuis une petite trentaine d’années, le continent africain s’est taillé une part importante du gâteau que forment les joueurs étrangers du championnat belge. Un phénomène qui n’a fait que s’amplifier au fils des années, à mesure que le règlement sur les étrangers se montrait de plus en plus permissif, notamment après l’arrêt Bosman.

De quelques Congolais à la fin des années 50 et au début des années 60, on est passé à de vraies communautés aujourd’hui : Sénégalais, Nigérians, Ivoiriens, Ghanéens côtoient Maliens, Camerounais, Tunisiens, Congolais etc.

La diaspora africaine est importante en Belgique. On dénombre aujourd’hui 20 nationalités différentes pour un total d’environ 100 joueurs ce qui représente pas loin de 40 % de l’ensemble des joueurs étrangers de notre compétition.

Congo : l’époque des pionniers

Mai 1957. Une sélection de joueurs congolais de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) est en tournée en Belgique. Au programme : Anderlecht, le Beerschot, le Standard et La Gantoise. Face aux Bruxellois, le CS Léopoldville sombre totalement : 9-1. Mais malgré la défaite, un homme s’est illustré du côté des Belgicains, le nom donné aux habitants de la colonie : Léon » Trouet  » Mokuna.

Paul Bonga-Bonga à son arrivée au Standard en 1957.
Paul Bonga-Bonga à son arrivée au Standard en 1957.© PG/STANDARD LIÈGE

Le lendemain, la presse fait écho d’un intérêt des Buffalos pour ce joueur de l’AS Vita Club passé deux années auparavant par le Sporting Portugal. Quelques semaines plus tard, après des partages face au Beerschot (3-3) et au Standard (2-2), le Congolais s’engage avec La Gantoise, que la sélection de Léopoldville vient de battre 4-3.

Le paraphe apposé au bas de son contrat par Mokuna est historique car il fait de lui le premier joueur africain à évoluer en Belgique. En 1959, il devient même le premier joueur noir à enfiler la vareuse des Diables pour un match avec l’équipe nationale belge B.

Au même moment, le Standard attire Paul Bonga-Bonga. Cette filière congolaise (ou zaïroise, selon les époques) ne se tarira jamais sans non plus attirer une masse importante de joueurs d’un coup. Les Nicodème Kabamba, Faustin Nzeza, Alphonse Bolemba, JulienKialunda, Zacharie Konkwe ou Daniel Kiziki ont ainsi suivi la voie ouverte par Mokuna au fil des décennies suivantes.

Les Africains en JPL sont aujourd’hui une centaine, de 20 nationalités différentes, et représentent quasi 40 % de l’ensemble des joueurs étrangers de notre élite.

 » Ils étaient des attractions « , lance Moro Mukota, créateur du Soulier d’Ebène.  » Mais on ne peut pas vraiment parler de vague à l’époque car ils sont arrivés plic-ploc.  » Les vagues, en effet, n’arriveront que quelques décennies plus tard.

Nigeria et Ghana : la jeune classe

À partir de la fin des années 80, l’exode de joueurs africains vers la Belgique s’est accéléré, bien aidé par une réglementation particulière. Jusqu’à l’arrêt Bosman (1995), les étrangers étaient limités à trois par noyau, à la nuance près que les jeunes de moins de 17 ans, pour autant qu’ils aient signé un contrat professionnel, étaient considérés comme  » Belges « . Les clubs, y voyant donc un moyen pratique de contourner le règlement, ont engagé à tour de bras de nombreux jeunes, notamment d’Afrique.

L'attaquant nigérian du Club Bruges, Daniel Amokachi, a remporté à deux reprises le Soulier d'Ebène.
L’attaquant nigérian du Club Bruges, Daniel Amokachi, a remporté à deux reprises le Soulier d’Ebène.© BELGAIMAGE

Dans les années 90, deux nationalités africaines sont très prisées des clubs du Royaume : les Nigérians, personnifiés par Victor Ikpeba, Daniel Amokachi, Sunday Oliseh, CelestineBabayaro ou encore Godwin Okpara et les Ghanéens, au rang desquels on retrouve des joueurs comme, Isaac Asare, Eric Addo, Nii Lamptey, Yaw Preko ou GeorgeBlay. Anderlecht, Bruges, Alost, le Standard, Lommel, Liège… Tous les clubs sont touchés par le phénomène.

 » Ils n’étaient pas spécialement très nombreux non plus. D’ailleurs, on s’est demandé, au moment de créer le Soulier d’Ebène en 1992, si on n’allait pas devoir le donner plusieurs fois au même joueur. On avait vu juste car il y a eu Amokachi, Ikpeba puis encore Amokachi « , se rappelle Moro Mukota.

 » C’est vraiment à partir de 2000 qu’on peut parler d’une vague africaine dans le championnat belge « , juge-t-il.  » Il fallait une certaine acceptation des joueurs africains qui est arrivée grâce à l’émergence de talents du cru comme les frères Mpenza.  »

Invasion ivoirienne à Beveren

C’est en effet au tournant du nouveau millénaire, à Beveren, que l’Afrique débarque en force par l’intermédiaire du Français Jean-Marc Guillou. En très peu de temps, dix-sept Ivoiriens posent leurs valises au Freethiel. Yaya Touré, Emmanuel Eboué, Romaric, Gervinho, Gilles Yapi-Yapo, notamment, feront du club anversois une attraction.

Stéphane Demets, alors défenseur au Freethiel, en fut un témoin privilégié.  » Ils se connaissaient tous car ils avaient grandi et été formés ensemble. Ils formaient une famille au sein du club, un clan même.  »

Le Bruxellois l’avoue, la période ne fut pas simple pour les quelques Belges du noyau.  » Ils jouaient ensemble à l’entraînement. C’est normal quand cela fait 10 ou 12 ans que vous êtes ensemble. Mais pour nous, c’était très compliqué. Être titulaire, on savait que c’était presque impossible.  »

Si les qualités techniques des Ivoiriens sautaient aux yeux, leurs lacunes tactiques également.  » On avait d’ailleurs terminé dernier la première saison mais on avait été sauvé grâce aux licences ( Alost et le RWDM ne l’avaient pas reçue, ndlr).  » Ils jouaient comme dans la rue et ce n’était parfois pas sans conséquences.  »

Durant cette période, il est arrivé plusieurs fois que Beveren aligne 11 étrangers, comme lors de la finale de Coupe de Belgique en 2004 : 10 Ivoiriens et 1 Letton ( Igor Stepanovs, ndlr).  » C’était l’extrême. Je ne comprends pas que l’Union Belge n’ait pas mis son veto à une telle pratique. Mais c’est peut-être ça qui a amené par la suite la règle des joueurs formés au pays. Sans ça, c’était la porte ouverte aux dérives, au marchandage des jeunes et pas uniquement ceux d’Afrique « , s’étonne l’ancien défenseur.

La percée sénégalaise

Aujourd’hui, ce sont les Sénégalais qui forment le plus gros contingent africain du championnat : ils sont 22. Le défenseur d’Anderlecht, Kara Mbodj, et l’attaquant d’Eupen, Mbaye Leye, font office de figures de proue.

 » Ce sont les plus connus, c’est vrai « , reconnaît volontiers Babacar Gueye, l’attaquant de Saint-Trond prêté par Hanovre.  » Moi, je connaissais aussi déjà ceux d’Eupen, DiawandouDiagne, Moussa Wague et Babacar Niasse pour avoir joué en équipe nationale avec eux. J’ai ensuite appris à connaître les autres.  »

 » Peut-on vraiment objectiver la présence d’autant de Sénégalais dans le championnat ? Je ne pense pas « , se questionne Moro Mukota.  » Selon moi, c’est simplement une question de réseau, de contacts. Quand on connaît un environnement, c’est plus simple et ça minimise les risques.  »

Propos appuyés par Babacar Gueye.  » Beaucoup d’agents écument le Sénégal. Les Français ont été les premiers sur place. Du coup, l’équipe nationale, surnommée  » Les Lions de la Teranga  » a été formée dès les années ’90 par des locaux mais aussi des Sénefs, autrement dit des Sénégalais actifs en France.

Par après, des scouts belges ont pris, eux aussi, le chemin du Sénégal, rendant visite aux diverses académies et visionnant des matches. Les premiers Sénebs – Sénégalais de Belgique – ont alors fait leur apparition : Jules Bocandé à Seraing ou Mamadou Tew au Club Bruges. Je suis d’avis que la formation dispensée aux jeunes Sénégalais convient bien à la Belgique. On mise beaucoup sur le physique et la niaque, des qualités recherchées en Belgique.  »

Une académie Aspire à Dakar

Du côté d’Eupen, on profite également du système puisqu’Aspire a installé une académie à Dakar. Les Sénégalais du club (mais également tous les autres jeunes Africains) en sont issus.

 » Si Aspire l’y a installée, c’est parce que c’est un pays stable, tranquille. Pas pour d’autres raisons « , tempère cependant Josep Colomer, le directeur sportif des Pandas. Avec les liens qui unissent Eupen et l’Aspire Academy du Sénégal, il y a fort à parier que d’autres jeunes Sénégalais débarqueront en Belgique prochainement.

 » Oui, mais pas des Sénégalais uniquement, car notre académie est internationale. Il y en a de partout d’Afrique. Peu importe.  »

La personnalité des Sénégalais joue beaucoup aussi.  » Nous sommes sympathiques et ouverts aux autres « , estime Gueye.  » Cela aide beaucoup à l’adaptation. On n’a pas besoin d’être entouré d’autres Sénégalais.  »

 » Ils sont tranquilles dans leur comportement et faciles à gérer. Ils s’adaptent également bien à la Belgique « , confirme Josep Colomer.  » Ils n’aiment pas les problèmes. C’est un pays très hospitalier. Les gens le sont aussi et pas uniquement là-bas. Même hors de leurs frontières ils gardent la même personnalité.  »

Cette manière d’aller spontanément vers les autres se traduit également par le fait que les Sénégalais ne vivent pas en vase clos en Belgique.  » On se connaît, on s’apprécie, mais on ne se voit pas tous les jours « , fait remarquer Gueye.  » On se voit aux matches, on se dit bonjour, on se passe le Salam. Mais, non, on ne se voit pas en dehors. C’est compliqué. Il y a la distance, le manque de temps « , indique le Canari.  » Par contre, on se rattrape en revenant au pays.  »

 » Les Africains ont élevé le niveau du championnat  »

Quand les Sénégalais font le bonheur des clubs belges
© BELGAIMAGE

Après soixante ans, difficile de passer à côté de la question de l’apport des joueurs africains au championnat belge, eux qui sont plus nombreux que jamais dans notre compétition.  » Au début, c’était leur touche technique qui était appréciée « , analyse Moro Mukota.  » Aujourd’hui, avec la professionnalisation de la formation, ils ont plus de rigueur. Ils se sont un peu européanisés. Avant, ils jouaient vraiment comme ils le sentaient, à l’instinct, au feeling.  »

Le président du Soulier d’Ebène va même plus loin en affirmant que les Africains ont  » élevé le niveau du championnat tout en apportant de la joie. Ils ont également amené une certaine ouverture d’esprit. Il y a une communion des cultures « .

Loin de nager dans le positivisme béat, Moro Mukota est conscient des dérives qui ont eu lieu par le passé, notamment avec la falsification de l’âge de certains joueurs.  » C’était plus facile de tricher avec l’Afrique. Et quand il y a une brèche, tout le monde s’y engouffre. Mais aujourd’hui, cela devient très compliqué. La réglementation est plus sévère. Désormais, on paye les joueurs Africains à leur juste valeur.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire