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Pourquoi on ne joue plus au foot en prison

La réussite de Pelé Mboyo n’a pas fait plaisir à tout le monde selon Pierre Bodenghien, responsable pendant 18 ans du projet de foot dans les prisons.

Pelé Mboyo et Emile Mokulu savent ce qu’ils doivent à Pierre Bodenghien, qui a porté pendant 18 ans le projet de foot dans les prisons. Le premier avait été repéré lors d’un match de préau et avait pu signer à Charleroi dès sa sortie, le second avait attiré le regard des gens d’Action 21, en futsal, lui aussi durant sa période de détention. Bodenghien a donné du bonheur foot à des prisonniers de Tournai, Jamioulx, Mons, Andenne, Ittre et Nivelles. De 1985 à 2011, il a par ailleurs fait le scouting des adversaires pour les entraîneurs de Charleroi. Et, depuis deux ans, il scoute des renforts potentiels pour le Club Bruges.

Aujourd’hui, l’homme est  » effaré « , selon ses propres termes. Et pas seulement parce que le foot en prison a été privé de ses subsides (15.000 euros annuels) de l’Union Belge dès l’entrée en fonction de François De Keersmaecker et ne s’en est jamais remis. Le ministère de la Justice, quant à lui, n’a jamais vraiment voulu s’investir dans le dossier.  » Sans subsides, des éducateurs pirates ont continué à donner des entraînements « , dit Pierre Bodenghien.  » Mais cela se faisait à l’écart de toute structure. « 

S’il est effaré, c’est surtout depuis la drôle de mésaventure qui lui est arrivée en février dernier et qui a achevé le foot en milieu carcéral.  » J’ai reçu un courrier qui me convoquait à un interrogatoire à la Police Judiciaire de Nivelles. Je n’ai rien compris quand j’ai lu les faits qui m’étaient reprochés : association de malfaiteurs et évasion de détenu. « 

Il se rend à cet interrogatoire et se retrouve  » dans une ambiance de film. Dans le local d’à côté, il y avait plusieurs personnes menottées. Le policier m’a expliqué que j’étais suspecté d’avoir organisé ma propre prise d’otage avec l’aide de détenus, et d’avoir ensuite voulu me faire échanger contre la libération de Nizar Trabelsi !  » Il s’agit de cet ancien footballeur (!) qui a reconnu des liens avec Al-Qaida et est emprisonné chez nous depuis 2004 pour avoir planifié un attentat contre une base militaire.

 » On m’a demandé pour quelles raisons je passais du temps dans des prisons, j’ai expliqué que je donnais des entraînements et que j’organisais des matches pour des détenus. Il y a quelques zones d’ombre dans ce dossier. On n’arrive pas à me dire de quelle prison j’aurais soi-disant voulu faire évader Trabelsi. Il a déjà séjourné à Ittre et à Nivelles mais ma question est toujours restée sans réponse. Et je n’ai jamais rencontré cet homme quand j’allais dans une prison pour le foot. Impossible, même si je l’avais voulu, vu qu’il doit être le détenu le plus surveillé de Belgique avec Marc Dutroux. Il est complètement isolé.

Pendant l’interrogatoire, un policier me suivait jusqu’aux toilettes comme si j’étais un dangereux gangster et j’ai découvert que j’avais été sous écoute téléphonique pendant près d’un an. Quelques numéros avec lesquels j’avais régulièrement des communications ont été visés par la police, ces conversations ont été analysées. Un préfixe 065, celui du boulot de ma femme qui travaille dans la région de Mons. Les enquêteurs se sont peut-être dit que dans le Borinage, on avait la gâchette facile ! Un 071, celui de ma fille qui habite à Charleroi. Ils ont probablement pensé que je préparais un départ précipité depuis l’aéroport de Gosselies. Et celui de… Raymond Mommens, qui me donnait deux fois par semaine mes missions de scouting pour le Club Bruges.

Le policier a conclu notre rencontre en me disant que, vu la minceur du dossier, ça déboucherait selon lui probablement sur un non-lieu. Et je suppose que ce sera le cas, vu que je n’ai plus eu de nouvelles depuis février. En attendant, j’ai énormément souffert. Et le foot en prison, c’est complètement terminé. Du côté des établissements, j’ai à peine été soutenu. Aucun directeur n’a voulu mettre les mains dans le cambouis. Je me rends compte que la réussite d’un gars comme Mboyo n’a pas fait plaisir à tout le monde. Un ex-taulard qui se retrouve au top et gagne beaucoup d’argent, ça ne plaît pas nécessairement. Dans ce milieu, il y a une jalousie énorme par rapport à sa réussite. »

Par Pierre Danvoye

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