© Getty Images

Paul Taylor, prototype du Paul Gascoigne mais en version encore plus hooligan

Alcool, drogue, bagarres, tacles dangereux… Paul Taylor avait tout pour succéder à Paul Gascoigne et George Best dans la lignée des footeux rock’n roll. Mais le passage en Belgique de l’ancien Jovanovic de Montegnée a surtout été une bonne tranche de rigolade.

Auteur de neuf buts la saison dernière, Michy Batshuayi n’a probablement pas oublié sa quatrième réalisation, la première en 2017, inscrite en 32e de finale de la FA Cup contre Peterborough, une formation du ventre mou de League One. C’était début janvier et Michy était resté 90 minutes sur la pelouse pour la deuxième fois seulement depuis son arrivée à Chelsea. Tout heureux, il n’a évidemment prêté aucune attention au petit numéro 10 de Peterborough entré peu avant l’heure de jeu pour tenter de dynamiter la défense des Blues. Philippe Crespin, lui, n’a rien loupé. Posté devant son écran ce jour-là, il se souvient parfaitement de ce moment où il a reconnu la frimousse de son ancien coéquipier à Montegnée, Paul Taylor.  » Honnêtement, il était physiquement et techniquement à l’aise « , glisse le défenseur liégeois, désormais actif à Tilleur.  » Je dirais même qu’il était capable de donner le change à des CescFabregas ou Willian.  »

En Belgique, rares sont ceux qui ont oublié le nom de Paul Taylor. À l’hiver 2010, alors qu’il évolue depuis quelques mois à Montegnée, en P1 liégeoise, l’Anglais est transféré à Anderlecht à l’étonnement général. Après 41 jours sur place, il est immédiatement prêté à Charleroi où il dispute quelques bouts de matchs avant de disparaître aussi rapidement qu’il n’est apparu.  » Je suis fort étonné d’apprendre qu’il est encore dans le parcours « , soutient d’ailleurs Thomas Chatelle, son ancien partenaire au Sporting bruxellois.  » Surtout à ce niveau-là, parce qu’il avait de gros problèmes de stabilité mentale.  »

La surprise du chef

Quand Taylor débarque dans le vestiaire mauve, Chatelle y a pris ses quartiers depuis deux saisons déjà.  » On s’est évidemment posé beaucoup de questions en apprenant ce transfert. Il faut bien l’avouer : c’est plus difficile pour un mec issu de P1 d’avoir du crédit dans un groupe comme celui d’Anderlecht où l’image est très importante.  »

Alors qu’il s’apprête à conquérir son premier titre avec le RSCA quelques mois plus tard, Ariël Jacobs est tout aussi surpris de la venue de ce petit Anglais peu souriant. Pas vraiment consulté par sa direction, l’entraîneur bruxellois doit donc incorporer cet ovni dans son noyau en pleine préparation hivernale. Et ce n’est pas facile.

 » L’écart qu’il avait au niveau du foot et du physique était énorme par rapport aux autres « , se souvient Jacobs, qui ne peut s’empêcher de lâcher un petit rictus en repensant au bonhomme.  » Mais il se rendait compte qu’il avait là une énorme chance et il voulait la saisir. Malheureusement, il s’est rapidement blessé, ce qui n’est pas anormal vu la différence de rythme.  »

À la recherche des vagues souvenirs qu’il a encore de Taylor, Thomas Chatelle se rappelle surtout d’un joueur rapide, mais qui présentait surtout un embonpoint fatal à ce niveau-là. Pourtant, à l’époque, la direction anderlechtoise l’assure : Paul Taylor n’est pas une arnaque.

En interview, Herman Van Holsbeeck parle d’un Jovanovic de Montegnée, scouté à plusieurs reprises et même testé lors d’un match amical au cours duquel il a fait l’unanimité. Bizarrement, les souvenirs de cette rencontre sont plutôt flous dans la tête des protagonistes.

Dans une de ses rares déclarations à la presse, Paul Taylor lui-même confie son étonnement suite à ce transfert au Sporting. Il clame néanmoins vouloir parvenir à ses fins et, selon ses dires,  » atteindre le niveau des meilleurs joueurs d’Anderlecht, comme MbarkBoussoufa.  »

Trop fort pour la P1

Il faut dire qu’au moment où il signe au Parc Astrid, Paul Taylor a déjà créé un vrai buzz : dragué par Westerlo, le Cercle Bruges, Saint-Trond, le Standard et même Newcastle, il vient de casser littéralement la baraque à Montegnée où il est beaucoup trop fort pour la P1 liégeoise.

Paul Taylor à l'entraînement au Sporting. Si l'Anglais a marqué les esprits, ce n'était pas vraiment sur les terrains.
Paul Taylor à l’entraînement au Sporting. Si l’Anglais a marqué les esprits, ce n’était pas vraiment sur les terrains.© belgaimage

 » Je me souviens même d’un amical disputé contre Hamoir, qui se battait pour le top de feu la D3. Il s’est complètement baladé ce jour-là, largement au-dessus du lot « , se souvient Philippe Crespin. Ses atouts ? La conduite de balle et une solide frappe du cou du pied.

 » Pour moi, il avait un style parfaitement adapté tant au foot anglais qu’au foot provincial : on pousse, on dribble, on prend de la vitesse, on rentre dedans « , compare Cyprien Baguette, qui le côtoiera plus tard à Charleroi. Débarqué sur les hauteurs de Liège après avoir fait ses premiers pas en D4 anglaise, à Vauxhall, Paul Taylor fait partie de la dizaine de joueurs étrangers transférés en 2009 par Paul Topping, l’obscur investisseur anglais du club.

Là-bas, il fait même office de petit protégé du président. Alors que ce dernier fait dormir la plupart des autres nouveaux venus sur des matelas dans la buvette, le petit milieu de terrain – qui est là en tant que joueur pro – possède sa propre maison à Ans.

Véritable plaque tournante de son équipe sur le terrain, Taylor est loin de faire l’unanimité en dehors. Dès son premier entraînement, il est tout proche d’en venir aux mains avec Philippe Crespin suite à un tacle trop appuyé. Par la suite, l’Anglais se détache de toute vie sociale et les seuls sujets de conversation qu’il développe sont strictement liés au foot.

 » Je n’appréciais pas sa personne « , place Crespin.  » Il avait une attitude je-m’en-foutiste qui lui collait à la peau. Quand l’entraîneur lui faisait une remarque, il aimait autant lui rire au nez, par exemple. Et puis il ne faisait aucun effort d’intégration : il n’apprenait pas le français et ne rectifiait jamais son accent incompréhensible.  »

Un caractère trouble

Originaire d’un quartier malfamé à côté de Liverpool, Taylor n’a pas toujours été aidé dans sa démarche d’ouverture aux autres. Peu guidé, il enchaîne les conneries, est viré des centres d’entraînements de Liverpool, Everton et Manchester City et finit par se faire suspendre pour usage de drogue la vingtaine à peine dépassée.

 » C’était un caractère trouble « , pense Chas Summer, historien du club de Chester City, où Taylor a été testé positif à la cocaïne.  » Mais il n’a probablement pas été aidé par les propriétaires du club de l’époque qui étaient, semble-t-il, fort liés aux enfers de la Merseyside.  »

Désinvolte, mal entouré, ce fan de snooker n’est pas vraiment habitué à faire le bon choix, comme ce jour où il s’en va acheter un paquet de chips sous les yeux effarés de ses coéquipiers anderlechtois.  » C’était normal pour lui de manger ce qu’il voulait « , lance Ariël Jacobs.

 » Il a dû tirer des grands yeux quand il a vu les efforts qu’il devrait faire en diététique. Pendant sa blessure, on devait le guider, presque l’éduquer, sinon il n’aurait pas fait attention à sa revalidation. Il ne s’attendait peut-être pas à avoir des docteurs et des kinés…  »

Pas préparé au monde pro, Taylor ne fait cependant pas plus d’efforts qu’à son époque liégeoise. À Charleroi, Tommy Craig a beau partager la pratique de l’anglais avec son poulain, il ne parvient pas à lui faire comprendre qu’il doit jouer avec les autres. Le gars de Liverpool n’en fait qu’à sa tête.

 » L’intégration est un autre gros problème pour lui « , confiera également l’assistant carolo Tibor Balog.  » Il ne recherche pas du tout le contact avec ses coéquipiers. Il faut que les autres aillent vers lui, parce que lui ne fera jamais la démarche.  »

À sa décharge, Taylor est rongé par une timidité qui le forcera plus tard à s’arrêter au beau milieu de sa chanson de présentation à Blackburn, préférant du même coup payer une amende.  » À notre époque, le vestiaire de Charleroi ressemblait à Benetton avec une grande diversité de cultures « , glisse Cyprien Baguette.

 » Mais lui ne dévoilait rien : il était introverti et fermé. Pourtant, j’ai essayé d’en savoir plus. En vain… Le seul contact que j’ai eu avec lui doit être lié à mes blagues avec pommade chauffante dans les chaussettes. Sur ces coups-là, heureusement qu’il ne réagissait pas comme sur le terrain…  »

Du génie, parfois

Paul Taylor
Paul Taylor© BELGA

Parce que tout timide qu’il soit, Taylor est un autre homme dès qu’il chausse ses crampons. Baguette se souvient ainsi d’un joueur qui n’hésitait pas à péter un plomb en taclant les deux pieds en avant… dans le rectangle adverse. Et Taylor n’est pas du genre à prendre le temps de s’excuser : dès que le staff annonce aux joueurs qu’ils peuvent s’en aller, il est le premier à monter dans sa voiture.

Pour quoi faire ? D’après Philippe Crespin, la réponse est évidente.  » À part le foot, il n’y a que les sorties qui l’intéressent.  » Lors de sa période liégeoise, on peut dire que l’Anglais est servi puisqu’il ne doit pas rouler plus de vingt minutes pour tomber sur le Carré, le temple de la nuit de la Cité ardente où les cafés se succèdent à chaque devanture.

 » Je ne suis jamais sorti avec lui, mais je me souviens de plusieurs coéquipiers qui me racontaient leurs soirées dans le Carré. Taylor était vraiment le prototype du Paul Gascoigne mais en version encore plus hooligan : il ne faisait que boire et se battre… Parfois, il arrivait aussi dans un tel état le lendemain à l’entraînement qu’il ne faisait aucun doute qu’il avait pris de la cocaïne.  »

Taylor fuit donc tous les contacts qui ne s’organisent pas autour d’une bière ou de la drogue. Du coup, hors de question d’avoir le moindre rapport avec la presse, au point de laisser un beau lapin à un journaliste de Sport/Foot Magazine à qui il raccrochera même au nez plus tard en apprenant sa fonction.

Dix fois trop fort pour la P1, à la ramasse à Anderlecht mais désormais transféré à Bradford City, finaliste du tour final de League One en mai dernier… où se situe véritablement le niveau de Paul Taylor ?  » Quand je vois le nombre d’usurpateurs de la D1 belge, je me dis qu’il aurait tout à fait pu y rester « , lance d’entrée Cyprien Baguette.

De son côté, Ariël Jacobs se montre plus mesuré.  » À certains moments, il avait quelque chose que je qualifierais d’intuitif. Il pouvait être complètement absent avant d’enchaîner avec un moment de  » génie « . Mais un seul… Pour moi, il avait dès le départ 5 % de chance de réussite et 95 % d’échec à Anderlecht. Malgré tout, il aurait fallu le prêter un ou deux étages plus bas avant de se faire une idée définitive.  »

Retour en Grande-Bretagne

Quoi qu’il en soit, quand il revient à l’été 2010 de son prêt peu concluant au Sporting de Charleroi, Paul Taylor est vite envoyé aux oubliettes bruxelloises. Son refus de s’entraîner avec les -21 ans y est probablement pour beaucoup, mais Herman Van Holsbeeck expliquera plus tard en conférence de presse que la greffe entre les deux mondes n’a jamais pris.

 » Il avait des qualités, mais il aurait fallu s’occuper jour et nuit de lui, et on n’a pas le temps pour cela. Ce n’est plus quelqu’un de 17 ans. Nous voulions lui donner une deuxième chance, mais il ne l’a pas saisie. Il n’a plus de contrat chez nous, et il n’en recevra plus non plus.  »

De retour en Grande-Bretagne, l’ancien Jovanovic de Montegnée a du mal à se relancer et fait surtout parler de lui dans la rubrique  » Faits divers  » suite à un accident de voiture. Jusque là rien de fou, sauf quand on sait que l’Opel Vectra qu’il avait en main appartenait… au Sporting d’Anderlecht et devait donc être restituée au club.

Sur les terrains, Taylor finit par (re)trouver ses marques à Peterborough, est transféré pour 2 millions d’euros à Ipswich où il dispute même quelques matchs en Championship. Mais il est bien vite rattrapé par ses vieux démons. En novembre 2012, l’ancien fanatique du Carré est arrêté suite à une bagarre dans un pub durant laquelle deux membres du staff sont agressés et blessés.

Il évite finalement la prison, mais pas le retour à la case départ, à Peterborough. Au centre du Royaume-Uni, le numéro 10 revit sous les ordres de Darren Ferguson, fils de, et retente très vite un saut en D2 anglaise (Rotherham et Blackburn Rovers), en vain. Suite à son troisième retour à Peterborough, l’été dernier, Paul Taylor a enfin trouvé la clé de la stabilité en disputant 47 rencontres pour six buts inscrits.

À 29 ans, serait-il enfin sur la bonne voie pour que son talent prenne le dessus sur son caractère et le mène vers une fin de carrière à sa hauteur ? En comptant sur lui pour sa mission  » Championship « , Bradford City y croit. Mamma Mia, le sponsor pizza du club, aussi.

par Emilien Hofman

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire