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 » J’AI DES COMPTES À RÉGLER AVEC OSTENDE « 

Appelé à notre rédaction pour préfacer la finale contre Ostende, il ne s’attendait sans doute pas à parler de son look improbable en télé, du bête but de Scholz, de la méthode Maes, du double visage de Preud’homme, des coups de sang de Conceiçao, du duo Thorgan / Malanda ou du seul match qui l’a fait chialer. Mais il l’a fait. Bien fait.

Le colibri est en pleine chauffe pour sa quatrième finale de Coupe de Belgique. Oui, Mbaye Leye a des allures de colibri dès qu’il apparaît sur le plateau télé de la Ligue des Champions. Chemises bariolées, bretelles, couleurs improbables, noeud papillon, on a déjà eu droit à tout ça. Il a toujours le debriefing juste et régulièrement la tenue flashy qui amuse. Mais pourquoi ?

 » C’est juste que j’aime les couleurs vives. Pour jouer au foot, je choisis des godasses colorées. Quand je vais à RTL pour la Ligue des Champions, je sais que c’est pas un gala, mais dans ma tête, dans mon délire, je décide parfois de mettre un noeud papillon, par exemple. Je me dis : -Personne d’autre ne va le faire, alors moi je le fais. Quelque part, c’est un petit jeu. Et puis, la Ligue des Champions, c’est un spectacle. Autant y mettre la couleur qu’on peut ! Cette saison, on a parfois vu des matches de Bruges… On se disait, avec Stéphane Pauwels : -Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir montrer à la mi-temps ? Il ne s’était rien passé. Au moins, j’étais sûr que les gens allaient voir mon noeud…  »

La tige du Sénégal a fait le déplacement jusqu’à nos bureaux à Evere pour deux heures d’entretien. Dans la bonne humeur. Forcément. Même quand la discussion s’ouvre sur son tout récent coup de gueule lors de l’interview télé qui a suivi la débâcle à Bruges. Ce soir-là, on a vu et entendu un Mbaye Leye tendu comme une crampe, à la limite désagréable. Explications.

MBAYE LEYE : Tu sors d’un match où tu as pris cinq zéro, t’as pas touché un ballon. On n’a pas été ridicules mais Bruges était beaucoup plus fort, voilà. Ils ont survolé, ils nous ont bouffés. On n’était pas en mesure de résister. Le journaliste me demande : -Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Ben, tout le monde l’a vu. Il insiste. Je ne peux pas commencer à accuser des coéquipiers. Là, j’ai envie de dire stop. Et puis il me fait remarquer qu’on perd presque toujours contre les grosses équipes et qu’on va les affronter en play-offs. Je suis bien obligé de répondre qu’on perd souvent ces matches-là en déplacement mais qu’on gagne presque tout chez nous. Et puis, c’est une remarque qui n’a pas encore de sens. Parce que la phase classique, c’est la phase classique. Et les play-offs, c’est les play-offs. Ça n’a rien à voir. Les gens croient peut-être qu’on ne va pas faire grand-chose en PO parce qu’on n’y a rien fait de valable la saison dernière ? Mais là aussi, ça n’a rien à voir.

Donc, j’étais un peu agacé. Et puis ça m’énerve que les gens oublient qu’on est Zulte Waregem. Tout le monde s’enthousiasme sur la saison de Charleroi et Ostende. On dit qu’ils sont excellents. Mais nous aussi, on fait un excellent championnat ! Regarde combien de points on a. Et on va jouer la finale de la Coupe. Dans quelques mois, on sera peut-être en poules de l’Europa League. On est… sur la route pour faire une toute bonne saison. Sur la route… parce que maintenant, le plus important, c’est la finale.

 » POUR LES MÊMES PLAY-OFFS QUE LA SAISON DERNIÈRE, ON N’EST PLUS PRENEURS  »

Tu ne crains pas un relâchement complet en PO si vous gagnez la Coupe ? Vous serez déjà sûrs de jouer les poules de l’Europa League. On a vu ça l’année dernière avec les joueurs du Standard.

LEYE : Aucune crainte. Déjà, nous, c’est les PO1 qu’on va jouer, pas les 2. En PO1, tu as la fierté, l’orgueil, l’envie de ne pas être ridicule. Tout le monde s’attend peut-être à ce que Zulte Waregem fasse de la figuration. Je peux te dire que Francky Dury est encore plus impatient que nous pour mettre les choses au point. Qu’on gagne ou qu’on perde cette finale, on sera motivés à 200 % et on aura plein d’envie de se faire plaisir dans les play-offs. Et puis, n’oublie pas l’aspect financier. Tu gagnes un seul match sur dix, comme l’année passée… tu touches quoi comme primes ? Et en plus, tu as été ridicule. Non, je te jure, on n’est plus preneurs.

Le titre, c’est possible pour vous ?

LEYE : En étant réaliste… je dois dire que ce n’est presque pas possible. On a failli y arriver il y a quatre ans mais la grande différence, c’est que Zulte Waregem était une surprise. Même quand ces play-offs avaient commencé, malgré notre bonne position, personne n’y croyait. Pas plus dans le club qu’à l’extérieur. J’avais été le tout premier à parler du titre, en pleins play-offs. Cette saison, depuis la toute première journée, Zulte Waregem n’a plus rien d’une surprise, alors tout le monde nous attend et s’adapte à nous. On a récemment pris quatre buts à Anderlecht, mais tu as vu comme ils sont restés en place ? Ils n’ont jamais voulu prendre la possession, ils ont joué à fond la reconversion. Tu as vu comment Bruges a bloqué notre approvisionnement offensif ? Ça complique méchamment notre situation.

 » C’EST MA TROISIÈME EXPÉRIENCE À WAREGEM, ET CHAQUE FOIS, ÇA SE RENOUE  »

Si tu gagnes la Coupe avec Zulte Waregem, ça aura une autre saveur que tes victoires avec Gand et le Standard ?

LEYE : Absolument. Parce que je n’ai jamais eu, à Gand et au Standard, le statut que j’ai à Waregem. Je ne parle pas du statut dans le vestiaire, parce que là, j’ai toujours eu mon mot à dire, je faisais toujours partie de ceux à qui on demandait l’avis sur les grandes questions. Au Standard, on s’adressait à Axel Witsel, à Réginal Goreux, à Steven Defour, à Jelle Van Damme, mais aussi à moi. Même chose à Gand. Dans les discussions, j’étais pris autant au sérieux que des piliers comme Tim Smolders ou Marko Suler. Par contre, le statut sur le terrain, je ne l’avais pas vraiment. Parce que je ne jouais pas dans mon rôle, et donc, je n’avais pas les bonnes statistiques. Normal. A Gand, je jouais à gauche ou à droite, et dans le système de Michel Preud’homme, ça voulait dire que j’avais beaucoup de boulot défensif. Au Standard aussi, je me suis retrouvé sur les flancs, même back gauche, même médian défensif.

C’était du gaspillage, non ?

LEYE : Peut-être. Mais ça peut se comprendre. A Gand, il y avait Elimane Coulibaly et Zlatan Ljubijankic pour jouer devant. Au Standard, il y avait Mémé Tchité et Gohi Bi Cyriac. Aucun de ceux-là n’était capable de jouer sur un côté. Ou aucun n’avait envie de le faire… Moi, je savais le faire, et donc, les entraîneurs ne se sont pas posé de questions. Je n’aurais peut-être pas dû accepter. J’aurais peut-être dû m’asseoir sur le banc. Ou changer de club. Je reviens à ta question… Oui, ça aura une saveur fort différente si je gagne la Coupe avec Zulte Waregem. Mon club en Belgique… Le seul truc qui m’importe, c’est gagner un trophée avec ce club. C’est la troisième fois que j’y suis, et chaque fois, ça se renoue ! Je n’ai jamais eu une saison très difficile avec Zulte Waregem. Sauf la saison où j’étais revenu du Standard en janvier, mais la première partie du championnat avait été très compliquée. A part ça, je n’ai eu que des années parfaites. Alors, maintenant, imagine si je soulève cette coupe en tant que capitaine. Essaie d’imaginer les émotions que je vais ressentir. J’espère que ça couperait l’émotion du match pour le titre à Anderlecht. Ce jour-là, pour la toute première fois de ma vie, j’avais pleuré sur un terrain de foot. Dans tous les cas, j’accepte que c’est un jeu, je peux me fâcher mais ça passe très vite. Là-bas, par contre, ça avait été terrible à supporter. J’aurais encore préféré perdre le titre sur un tir somptueux. Mais là, se faire avoir au tout dernier moment par Anderlecht sur le coup franc le plus merdique de toute la carrière de Lucas Biglia. Merdique, esthétiquement, je veux dire…

 » AVEC LES TIRAGES QU’ON A EUS EN COUPE, ON N’A PAS LE DROIT DE SE LOUPER  »

Avoir déjà joué trois finales, ça peut aider ?

LEYE : J’en retire certaines expériences, oui. Je sais que le perdant est nul ! Bon pour les oubliettes ! La frustration qu’on ressent, je ne peux pas te la décrire. C’est comme quand tu termines deuxième du championnat. Tu es juste derrière le premier mais tu as l’impression d’être tout en bas de l’escalier. J’ai connu ça avec Zulte Waregem, avec Gand, avec le Standard : c’est si dur. Même chose quand on a perdu la finale contre Lokeren. La meilleure chose d’une finale, c’est monter sur le podium et soulever la coupe. Je retiens aussi que la qualité du jeu n’est sûrement pas prioritaire. Une finale, ça se gagne, ça ne se joue pas. Tu peux être mauvais, n’avoir que 30 % de possession, si tu gagnes, on ne retiendra que ça. Qui se souvient encore du déroulement de notre finale perdue contre Lokeren il y a trois ans ? On avait bien dominé, on avait touché plusieurs fois le cadre mais on s’était fait avoir sur un bête but d’Alexander Scholz. Il avait voulu reprendre de la tête, il avait raté sa reprise et marqué de l’épaule ! Qui le sait encore ? Et le supporter d’Anderlecht, tu ne crois pas qu’il s’en fout que le coup franc de Biglia était merdique ? … Dans les matches décisifs, l’esthétique, tu t’en fous complètement.

Qui acceptera d’être le favori de la finale ?

LEYE : Il n’y a pas de favori. Ostende et Zulte Waregem font un peu la même saison, c’est le même genre d’équipes, ce sera typiquement une finale à 50-50. Maintenant, je me dis qu’on n’a pas le droit de se louper. Il faut dire les choses comme elles sont : on nous a un peu déroulé le tapis rouge pour aller en finale. On a eu des tirages plutôt super cléments… Quand je vois qu’Eupen n’y va pas alors qu’il a éliminé Bruges, quand je vois que Charleroi n’y va pas alors qu’il a sorti Anderlecht ! Un tirage pareil, tu ne l’auras pas chaque année. Et puis moi, perso, j’ai des comptes à régler avec Ostende… Quand je me blesse, c’est chaque fois contre eux ! C’est là-bas que je m’étais déchiré les croisés. C’est encore là-bas que je me suis fait mal cette saison. Je préfère que la finale se joue au Roi Baudouin…

 » LA VIE DE VOSSEN OU DE TEODORCZYK DOIT ÊTRE FANTASTIQUE  »

Tu surveilles régulièrement tes statistiques ?

LEYE : J’y fais attention depuis qu’on m’a dit que j’approchais les 100 buts. Entre-temps, j’y suis. Plus de 100 en championnat, plus de 10 en Coupe de Belgique. Pour un attaquant qui n’a pas joué que dans des clubs comme le Standard et qui n’a pas toujours joué devant, c’est pas mal hein… Finalement, il n’y a qu’à Zulte Waregem que j’ai joué dans la durée à ma place. Mais il y a toujours des gens qui déduisent que je n’ai réussi ni à Gand, ni au Standard. Pour moi, un joueur qui ne réussit pas, c’est celui qui ne joue que cinq ou dix matches sur la saison. Moi, j’avais pas loin de 70 % de temps de jeu là-bas.

Tu envies un Jelle Vossen ou un Lukasz Teodorczyk qui jouent en pointe dans des grands clubs et qui chassent des trophées ?

LEYE : Envier, ce n’est pas le bon mot. Disons que je trouve ça fantastique. Ça doit être très excitant. A Anderlecht, Teodorczyk sait qu’il peut être servi à tout moment par Sofiane Hanni, Nicolae Stanciu, Alexandru Chipciu, Youri Tielemans, … Pour un attaquant, c’est magnifique. Quand j’étais au Standard, Tchité et Cyriac avaient Axel Witsel, Steven Defour, Mehdi Carcela, …

Toi, tu as Onur Kaya !

LEYE : Oui, j’ai la chance d’avoir toujours eu des passeurs de très haut niveau à Waregem. C’est une explication de ma réussite dans ce club. J’ai eu Franck Berrier, Thorgan Hazard, maintenant Onur Kaya. Tous ces gars-là, sur une phase arrêtée ou une action de plein jeu, ils te mettent le ballon où ils l’ont décidé, les yeux fermés.

 » À LOKEREN, J’ÉTAIS LE LEYE LE PLUS NUL QU’ON PUISSE IMAGINER  »

Dans son autobiographie, Djibril Cissé en a plein la bouche quand il parle de Guy Roux. C’était son père, son guide, son pilier, son phare… Tu as le même rapport avec Francky Dury, non ?

LEYE : Oui, dans la durée, on a construit le même style de relation. Je l’ai connu à trois périodes différentes et j’ai vu son évolution. Quand je suis arrivé la première fois à Zulte Waregem, il ne faisait pas de différence entre le samedi, le lundi, le jeudi, … Tous les jours, il voulait qu’on bosse de la même façon, à fond. Je l’ai retrouvé après ses expériences à Gand et en équipe nationale. Il avait changé. Le Dury d’aujourd’hui nous fait travailler de façon progressive, on y va crescendo en vue du match du week-end. Notre relation a aussi évolué. On discute beaucoup. Clairement, c’est l’entraîneur qui a le plus compté dans ma carrière. C’est celui qui m’a le mieux mis en valeur.

Tu as travaillé d’un côté avec Dominique D’Onofrio et José Riga. Des vrais calmes. De l’autre avec Michel Preud’homme, Peter Maes et Francky Dury. Ils détestent qu’on les traite de hooligans mais on a quand même là des piles électriques sur la touche ! Ça a une influence sur toi ou tu ne les vois même pas gesticuler ?

LEYE : Je passe complètement à côté. Je le vois, je le sens mais ça ne me fait absolument rien. C’est une question très valable… parce que ça peut avoir une influence différence en fonction de la personnalité de chaque joueur. Chez certains, ça peut avoir des effets négatifs. Chez d’autres, ça peut être positif. Il y en a pour qui c’est tout à fait neutre ! D’Onofrio était super calme, c’était carrément une exception dans le monde du foot. Mais il avait à côté de lui un Sergio Conceiçao qui était à l’opposé. Conceiçao et le quatrième arbitre, parfois, c’était du solide. Preud’homme est différent. En semaine, il était normal. Et dès que le match commençait, c’était complètement différent. La passion prenait tout de suite le dessus, c’est un compétiteur, il veut toujours gagner. Maes, c’était encore autre chose : que ce soit en match ou à l’entraînement, il est du pareil au même ! J’ai gardé un respect énorme pour lui. A Lokeren, le Leye qu’il a reçu était le Leye le plus nul qu’on puisse imaginer. Je revenais d’une longue blessure, j’avais dû aller m’entraîner avec une équipe de D3 pour retrouver une partie de mon niveau, j’étais arrivé chez lui sans aucune préparation, ma blessure au genou continuait à traîner. Mais Maes croyait en mon retour. Alors que plus personne ne se faisait d’illusions. Il m’a fait jouer alors que je n’étais pas en ordre physiquement, et quand j’ai quitté Lokeren, il m’a dit que j’allais faire une saison fantastique si je parvenais à faire une préparation complète. Je suis rentré à Waregem et c’est ce qui s’est passé. Alors que, là aussi, qui croyait encore en moi ? On ne me le disait pas en face mais j’avais des échos du style : -Pourquoi faire revenir un gars de bientôt 33 ans avec un genou à jeter ? Si j’ai réussi, c’est aussi parce que j’ai beaucoup appris dans la blessure, dans la douleur, dans la médiocrité.

PAR PIERRE DANVOYE & CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS BELGAIMAGE BRUNO FAHY

 » Le perdant de la finale est nul, bon pour les oubliettes. La frustration qu’on ressent, je ne peux pas te la décrire.  » – MBAYE LEYE

 » Dans les matches décisifs, l’esthétique, tu t’en fous complètement.  » – MBAYE LEYE

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