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Mais pourquoi le supporter lambda boude-t-il le Kehrweg?

Le stade d’Eupen était bien rempli, pour la venue du Standard au Kehrwe. Seulement cela n’arrive pas si souvent. Explication.

Il est un peu moins que midi et demi, vendredi passé, lorsque Michael Reul arrive au Kehrweg pour la conférence de presse de présentation d’Eupen-Standard. L’attaché de presse du club local enlève son casque de vélo, il vient d’escalader la côte qui mène du centre-ville au stade.

Sept journalistes, deux photographes et un cameraman sont présents. C’est plus que d’habitude. À 12h30 précises, Jordi Condom entre dans la salle. Une semaine plus tôt, on évoquait son limogeage mais la direction du club a assuré qu’il n’en était rien.

Le coach observe que ce n’est pas sa période la plus difficile depuis qu’il entraîne le club : en février 2016, en D2, Eupen ne comptait que 4 points sur 21 et il était mené 0-1 à deux minutes de la fin du match face à Heist. « Mais nous avons inscrit trois buts en cinq minutes et ce fut le déclic », dit Condom. A la fin de la saison, Eupen montait.

À table, outre l’entraîneur et l’attaché de presse, on note les présences de la secrétaire, Sara Guerin, et du team manager Michael Radermacher. À la fin de la conférence de presse, le directeur général, Christoph Henkel, vient saluer tout le monde. On ne ressent pas la moindre tension.

« C’est ça qui fait le charme d’Eupen », dit Sara, originaire de La Calamine mais dont il est impossible de dire si elle est francophone ou germanophone. Elle a été engagée en juillet 2013, après avoir répondu à une annonce. Le club est dirigé de l’étranger mais quand on lui demande de le décrire en un mot, elle répond : « Familial. Ici, on fait tout ensemble, on s’entraide. »

Un point noir : le manque de public

Vendredi, juste avant la conférence de presse, Sara a envoyé un message. Le club annonce fièrement qu’il a déjà écoulé 4.200 tickets en prévente. Il sera encore possible d’en acquérir le jour du match. Finalement, on dénombrera 5.522 spectateurs, la deuxième recette depuis qu’Aspire a repris Eupen en 2012. Seul le match face au Standard de la saison dernière avait fait mieux : 5.679 spectateurs.

Le manque de public, c’est le point noir d’Eupen, même s’il faut relativiser car la communauté germanophone ne compte que 80.000 habitants. L’an dernier, par rapport à la dernière saison en D2, l’assistance avait augmenté de 93 %. Elle avait donc presque doublé mais on n’arrivait tout de même qu’à 3.459 spectateurs de moyenne. Seul Mouscron faisait moins bien (3.236).

Habituellement, 2.500 à 3.500 personnes assistent aux matches à Eupen. L’an dernier, on a franchi le cap des 5.000 à deux reprises : face au Standard (5.679) et face à Anderlecht (5.221). Ils étaient également plus de 4.000 face au Club Bruges (4.266) et contre Westerlo (4.272). Il faut dire qu’à l’occasion de la venue des Campinois, le club, en collaboration avec la communauté germanophone, avait invité 1500 personnes.

Hassan Afif et Carlinhos vont au duel.
Hassan Afif et Carlinhos vont au duel. © BELGA

Reste qu’une semaine après avoir assuré mathématiquement son maintien à Lokeren, Eupen n’avait accueilli que 3.249 spectateurs face à Zulte Waregem. C’est peu pour fêter sa pérennité parmi l’élite.

Cette saison, les recettes sont moins importantes encore et c’est décevant après ce qu’on peut appeler une saison de rêve : Eupen s’est sauvé à deux journées de la fin et a proposé un football offensif. De plus, il a atteint les demi-finales de la Coupe face à Zulte Waregem. Mais ce match historique n’a attiré que 3.800 spectateurs.

Avant d’accueillir le Standard, cette saison, Eupen n’avait jamais dépassé les 2.600 spectateurs. Contre Courtrai, ils n’étaient que 2.113, le score le plus bas depuis le retour en D1. Peut-être les gens de la région s’intéressent-ils davantage à la Bundesliga ? L’été dernier, 4.386 personnes ont assisté au match amical face au Borussia Mönchengladbach.

La plus petite ville abritant un club de D1A

Michael Reul regrette ces chiffres. « Nous nous donnons tant de mal pour attirer du monde », dit-il. L’an dernier, un sponsor avait mis à la disposition du club un bus amenant gratuitement les spectateurs depuis Amblève. La première fois, il n’était pas rempli. La deuxième, oui. « Mais ça ne représente que 50 personnes. » La navette qui rejoint le Kehrweg depuis le centre d’Eupen n’a pas connu le succès non plus. Il faut dire qu’on peut faire le chemin à pied : il n’y a qu’un kilomètre, même si ça monte.

Presque personne ne vient de la ville et de l’autre côté, ce sont les Fagnes, où personne n’habite. « Eupen n’a jamais joué aussi bien que la saison dernière et pourtant, il y avait bien plus de monde avant », dit Reul. Avec ses 18.000 habitants, Eupen est la plus petite ville abritant un club de D1 : 1.500 des 3.500 spectateurs de la saison dernière venaient de la ville : « Soit un Eupenois sur dix. Qui fait mieux, en termes de pourcentage ? »

Dimanche, à 14 heures, les joueurs se rassemblent dans les business-seats de la tribune principale. Il fait beau. Après le repas, ils rentrent chez eux. La plupart habitent à moins d’un quart d’heure. Pour ceux qui viennent de plus loin (Loties, Verdier, Tirpan, Schouterden, Leye, etc), le club a réservé une chambre à l’Hotel Ambassador Bosten. Le gardien, Hendrik Van Crombrugge, passe l’après-midi chez ses beaux-parents, à Eupen. On est loin de la façon dont les clubs préparent habituellement les grands matches.

À 18h30, à une heure trente du coup d’envoi, tout le monde est de retour au stade. En déplacement aussi, on mange à 14 heures, dans un hôtel proche du stade dans lequel l’équipe se produira le soir. Les joueurs ne partent la veille que pour les longs déplacements : à Ostende et à Bruges, par exemple.

Un kop eupenois tout feu tout flamme lors de la visite du Standard.
Un kop eupenois tout feu tout flamme lors de la visite du Standard. © BELGA

À 19 heures, l’accès à la tribune principale est barré car les bus de supporters du Standard arrivent. Pour une fois, le stade semble pratiquement comble. La tribune debout côté visité est pleine. Avant le coup d’envoi, André Palm, le speaker, lance un appel au public local, en français et en allemand. Lorsqu’une équipe flamande vient jouer à Eupen, il parle aussi en néerlandais : « Soutenez votre équipe même si ça ne tourne pas comme vous le souhaitez. Unsere Mannschaft braucht uns.

Puis le DJ lance « Sweet Caroline » de Neil Diamond. Lorsque les joueurs montent sur le terrain, les supporters d’Eupen alignent même des feux de Bengale. Ils déroulent aussi une banderole sur laquelle on peut lire : Run and Fight for Black and White. Eupi, la mascotte du club, applaudit.

A l’entraînement à pied ou à vélo

Au repos, on communique deux informations importantes : Gand a gagné 0-2 à Ostende et le Borussia Dortmund a battu Cologne 5-0. Après le match, l’équipe locale est soulagée. Vingt journalistes s’entassent dans une mixed zone bien trop petite. Alors que Van Crombrugge s’approche, il se fait masser les épaules par Henry Onyekuru, venu saluer ses anciens équipiers. Le gardien répond aux questions en français, en néerlandais et en allemand.

Eupen a beau être dirigé depuis le Qatar, les dirigeants sur place sont des gens du coin. Même le directeur général, Christoph Henkel, n’habite qu’à 80 kilomètres (Cologne). C’est lui qui, avec le directeur financier, Thomas Herbert, prend les décisions stratégiques. Le directeur général d’Aspire, les Allemands Andreas Bleicher (ex-responsable du comité olympique allemand) et le directeur sportif Joseph Colomer viennent régulièrement en Belgique également.

Michael Reul a été reporter à la radio et à la télévision germanophone. Le 3 janvier 2013, à l’âge de 58 ans, après avoir appris qu’il pouvait prendre sa pré-retraite, il sollicitait le poste d’attaché de presse auprès de Christoph Henkel.

Michael Radermacher est du coin également. Il a été supporter d’Eupen, y a joué jusqu’en D3, s’est occupé du marketing et de la vente des tickets. Maintenant, il encadre les joueurs. À l’époque où il jouait, il a arrêté parce qu’il avait trouvé du boulot. « À ce moment-là, personne ne pensait que le club serait un jour professionnel. La D2, c’était déjà très bien. La D1, c’était un rêve. »

En novembre 2011, il est devenu responsable du marketing. Le club était alors dirigé par l’Allemand Ingo Klein. « Mais une semaine plus tard, il était en prison et c’était fini. Nous avons terminé la saison grâce à l’aide financière de Luciano D’Onofrio. Lorsque Aspire a repris le club, il est devenu team manager. » Il rigole en y repensant.

« Quand on traverse Eupen avec 16 Africains, on ne passe pas inaperçu. Ils ne connaissaient pas Eupen, c’étaient des gamins qui ne pouvaient pas se prendre en charge tout seuls. On ne pouvait pas les laisser tomber. J’ai dû les prendre par la main, aller au supermarché avec eux pour leur apprendre à faire des courses. » C’est ce dont il est le plus fier. « On ne peut pas envoyer Onyekuru à Anderlecht sans lui avoir appris à se faire à manger. »

En ville, ça jasait : « On disait que le club avait vendu son âme, tout le monde était méfiant. Logique car avec les Italiens et les Allemands, ça s’était mal passé. » C’est pourquoi Radermacher espère que les supporters vont revenir au stade. « Mais la tradition, ça ne s’obtient pas d’un claquement de doigt. »

Aujourd’hui, les joueurs habitent au centre-ville, ils mangent et font leurs courses avec les habitants. Une navette vient chercher ceux qui n’ont pas de permis de conduire pour les amener à l’entraînement mais certains viennent à vélo ou en courant.

Pour Michael Reul, Eupen n’a aucune raison de se plaindre : « Quand on voit les moyens dont le Qatar dispose pour investir dans le sport (il fait allusion au PSG, ndlr), on peut être content qu’à Doha, ils aient choisi cette petite ville pour permettre à leurs joueurs d’évoluer. Sans Aspire, nous serions un bon club de D3 qui pourrait tout au plus rêver de la D2. »

par Geert Foutré

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