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Les cinq visages de Steven Defour

Steven Defour ne laisse aucun supporter indifférent. De Genk à Bruges, le médian d’Anderlecht est hué. Un regard dans les coulisses jette un autre éclairage sur un joueur souvent calomnié.

Steven Defour a fait son entrée définitive au hall of fame du Standard le 24 mai 2009. Le Malinois venait d’offrir au club liégeois un deuxième titre consécutif, au terme de deux tests-matches intenses contre Anderlecht. Le capitaine du Standard, qui venait d’avoir 21 ans, était prêt à monter sur son trône, dans la grise rue de la Centrale, à Sclessin. Il a profité de son premier discours officieux sur Sporza pour décocher une fameuse flèche à Anderlecht.

 » Nous savions que le Sporting avait une grande gueule. Aujourd’hui, nous avons démontré qu’il valait mieux se taire.  » Defour donnait ainsi aux masses assoiffées de la Cité Ardente ce qu’elles voulaient : du pain et des jeux. 60.000 personnes ont visionné l’extrait sur YouTube. Nombre de Liégeois s’en souviennent certainement. Sept ans plus tard, on attend l’adoubement de Defour au rang de prince du Parc Astrid.

Le Liégeois

Longtemps, aux yeux des supporters d’Anderlecht, Defour a été le vilain, le méchant, la personnification liégeoise du mal. Son comportement de coq après l’horrible tacle d’Axel Witsel sur Marcin Wasilewski a été très mal vécu à Bruxelles. A Liège, en revanche, son intransigeance face à Anderlecht lui a valu un statut d’intouchable. Les Liégeois le portaient aux nues et Defour n’a jamais raté l’occasion de proclamer son amour pour sa ville d’adoption. Le tempérament de Defour personnifie celui des Liégeois: passion, labeur, chaleur. Faut-il s’étonner qu’il ait tant élargi son cercle d’amis pendant son passage chez les Rouches ? Steven se sent bien avec ses copains liégeois.  » Steven est un faux Flamand « , rigole Gianni Lesbal, un ami de la première heure.  » A Anderlecht, il doit souvent parler néerlandais mais en fait, il préfère s’exprimer en français. Il lâche alors, toutes les x phrases, le terme liégeois oufti. Quand nous le traitons de Flamand, pour rire, il se fâche. En fait, Steven pourrait s’épanouir partout car il a le don des langues. Il en parle cinq. Je me rappelle qu’il a maîtrisé le portugais en un rien de temps. « 

A Liège, ses camarades prennent souvent sa défense. Il est devenu persona non grata en bord de Meuse.  » Mon téléphone a chauffé le jour où Steven a signé au Sporting « , raconte Gianni Lesbal.  » Aujourd’hui encore, beaucoup de supporters sont convaincus que Steven a fermé la porte au Standard pour gagner plus d’argent à Anderlecht. C’est ce qui explique leur haine extrême à son égard. Mais ça n’excuse pas tout. Ce tifo débile, les insultes à sa famille, le maillot qu’on a brûlé… Pour le moment, Steven ne se retourne pas trop là-dessus. Il réagira le jour où on lui balancera des pavés ou des briques. « 

Malgré tout, Steven conserve l’étiquette de Liégeois. Gianni Lesbal pense qu’un jour, les supporters du Standard lui pardonneront.  » Les supporters oublient vite. Ils se laissent emporter par leurs sentiments, ils laissent parler leur coeur. Je vous donne un exemple: ils ont jeté des mottes de gazon à la tête de Dominique D’Onofrio mais à son enterrement, tout le monde pleurait. Même les commentaires des réseaux sociaux étaient empreints de respect. « 

Le faiseur de champions

Un transfert de six millions d’euros. Un salaire annuel brut qui dépasse le million et demi. Des chiffres qui donnent le vertige, selon nos normes. Il y a deux ans, Roger Vanden Stock a même laissé couler une larme en concluant le transfert du siècle. Pourtant, les supporters ont réagi avec tiédeur. A Westerlo, la banderole déroulée laissait peu de place à l’imagination :  » Defour: once a zero always a zero. No to Defour. «  Même les plus sceptiques des supporters ont changé d’avis depuis.  » Steven savait que les fans d’Anderlecht n’allaient pas se réjouir de suite « , raconte Christian Pala, le meilleur ami de Defour.  » A force de travail, il a mérité les applaudissements et l’appréciation du public. « 

Au Sporting, mouiller son maillot ne suffit pas. Defour en est conscient. Il a été chargé d’une double mission: épauler les jeunes et faire d’Anderlecht un champion. Dans le scénario idéal, Anderlecht est champion en mai et Herman Van Holsbeeck lui grée un transfert lucratif à l’étranger. Mais, pour la deuxième saison d’affilée, ça semble être une mission impossible. La saison dernière, il a été déterminant, par une volée de buts et d’assists, sans remplir sa mission ultime. Son père, Jacques Defour, soupire :  » Une deuxième saison d’affilée sans titre serait… (Il se ressaisit) Je connais mon fils. Il va se montrer pendant les play-offs. Il va vouloir montrer à tout le monde qu’il peut bel et bien conduire Anderlecht au titre. « 

Defour veut trop bien faire, d’après son manager, Paul Stefani.  » Je l’ai souvent mis en garde. – Steven, tu n’es pas un joueur banal. C’est toi qui as le meilleur contrat à Anderlecht et tu dois être le meilleur, semaine après semaine. Mais il va trop loin, selon moi. Steven veut distribuer le jeu, récupérer le ballon et marquer. Il ne peut pas être partout en même temps ! Je le comprends : tous les regards sont fixés sur lui. Il assume toute la pression. Il ne peut se permettre de disputer un match moyen, il doit toujours être au top. Naturellement, il n’apprécie pas ça mais il était préparé à cette situation. « 

Defour a une raison supplémentaire de se distinguer durant les PO1, ces deux prochains mois : s’il offre le titre au Sporting, il sera dans la visière de Marc Wilmots.  » Il ne parvient pas à oublier les Diables Rouges « , explique Defour senior.  » On remarque à toutes sortes de détails qu’il aime l’équipe nationale. Il n’a pas la prétention de dire qu’il doit jouer tous les matches mais il veut au moins faire partie du noyau. Il vient encore de me dire : -Papa, je ne peux faire que de mon mieux, pas plus. Si le sélectionneur ne me convoque pas, qu’il en soit ainsi. « 

Le leader tranquille

Aucun joueur n’a plus d’influence sur le jeu des Mauves que Defour. Le Malinois règle la circulation, démantèle les lignes adverses et se fâche quand un de ses coéquipiers néglige ses tâches. Quand le moteur de Defour cale, Anderlecht ne tourne plus.  » Il prend le jeu en mains et je n’exagère pas « , dit Stefani.  » Il est l’opposé de Sergio Conceiçao. Le Portugais appelait tout le temps le ballon. Il fallait le lui céder même quand il était tenu par deux hommes. Le fait qu’un coéquipier était démarqué un peu plus loin ne l’intéressait pas. Sans Conceiçao, les autres étaient libérés. Steven a l’art d’appeler le ballon au bon moment. Quand il sent quelqu’un dans son dos, il ne ressent pas le besoin de recevoir le ballon. Il permet aux autres de mieux jouer et c’est une qualité aussi. « 

Defour n’est pas le leader absolu du vestiaire. A Neerpede, dès le premier jour, on l’a bombardé patron des Mauves. Un peu contre son gré, semble-t-il. Au Standard aussi, il avait été mis d’emblée à l’avant-plan mais il avait eu l’intelligence de se faire entourer par Jovanovic, Dalmat, Sarr, Onyewu et Dante, des joueurs qui aimaient les responsabilités.  » Steven devrait-il davantage se profiler en leader ? Peut-être « , pense Stefani.  » Il le comprend mais tant qu’il se donne à 100%, personne ne se plaindra. Les supporters ne pourront jamais lui reprocher de couper les angles. « 

Defour laisse pour l’instant le leadership aux anciens d’Anderlecht. Il a toutefois la réputation d’être un mauvais perdant.  » Steven déteste perdre. Après un revers, il vaut mieux lui laisser le temps de se remettre « , raconte Christian Pala.  » Ce n’est pas le moment de lâcher une plaisanterie. Au bout d’une heure, il a généralement surmonté sa déception et il a retrouvé son humeur habituelle. « 

L’homme en famille

Derrière tout footballeur se cache une équipe bien rodée. Le Team Defour, c’est sa clique liégeoise, une amie bruxelloise et son père Jacques. Sa relation avec son père a été longtemps perturbée. Maintenant, Jacques tente de soutenir son fils, en restant à l’arrière-plan. C’en est fini de donner des commentaires sur sa vie privée, dans des magazines lifestyle.  » Je ne parle plus que de ses matches mais il n’accepte pas facilement mes critiques. Quand je dis que c’est vert, il m’explique pourquoi ça devrait être rouge. Evidemment, je ne connais pas les directives de l’entraîneur. « 

La saison passée, le père a réalisé que Steven ne se sentait pas bien dans sa peau. Sa relation avait capoté et on ne parlait que de sa vie agitée. Defour souffrait souvent de bobos et les supporters se demandaient pourquoi la direction avait claqué six millions pour un joueur qui avait du mal à achever ses matches. Même Wilmots s’en était mêlé.  » J’ai été surpris que Steven soit blessé si souvent. Il ne pouvait qu’accepter les critiques. Je lui ai franchement dit qu’il ne se reposait pas assez. J’ai décidé d’assister à l’entraînement une fois par semaine, pour l’observer. « 

Les critiques se sont tues. Defour a été le joueur le plus régulier du championnat. Il n’a raté que deux matches, à cause d’une blessure. Il a tourné le dos à la vie nocturne au printemps 2015, quand il s’est lié à Ornella Montagna. Dans quelques mois, sa vie familiale sera complète: Steven sera papa, pour la première fois. Jacques Defour :  » Steven est venu m’annoncer la nouvelle après un entraînement. Il avait l’air heureux. Son regard m’a frappé. Il réalise que sa vie va changer mais il était temps qu’il fasse son nid. Il était un peu trop libre. Si je ne me trompe, la naissance aura lieu pendant l’EURO. Ce ne serait donc pas un grand drame s’il n’était pas sélectionné. « 

La figure médiatique

Son mariage exubérant avec son ex-femme, Irene Mbisdikis, a fait les choux gras de la presse à sensation, comme sa relation avec le mannequin Laura Tropea. Le nom Defour se vend bien en Flandre comme en Wallonie. Christian Pala en est conscient.  » Steven est la cible favorite de la presse belge. Elle publie tout ce qu’il fait. Ça ne fait pas grand-chose à Steven. Il se concentre sur son travail, soit le football. « 

Defour n’est pas très apprécié en Flandre. Il y a deux ans, après sa participation au programme The Sky is The Limit, il a même été la risée du monde footballistique. On a dressé de lui le portrait, erroné, d’un millionnaire du football qui s’ennuyait à Porto avec son amie et se pavanait dans les chaussures de luxe de la marque Philipp Plein. Le programme a renforcé cette image. Pourtant, Defour n’a pas dû consacrer beaucoup de temps à ses livres pour réussir ses examens scolaires.

D’après son entourage, il ferait aussi un bon candidat pour le quiz flamand  » L’Homme le plus intelligent du monde « . On le prétend arrogant, sans fondement. Gianni Lesbal :  » Chaque fois qu’il va au restaurant, Steven est abordé par un supporter. Il se lève, s’essuie la bouche et sort son plus beau sourire pour la photo. Je ne l’ai jamais vu refuser un autographe ou un selfie. « 

Defour mène sa vie comme il l’entend. Sa devise ? Je suis qui je suis. Son côté rebelle plaît. C’est à lui que l’ancien Soulier d’Or doit une partie de ses 153.000 suiveurs sur Twitter. En Belgique, seuls deux joueurs font mieux : Victor Valdes (4,4 millions de suiveurs) et Alexander Büttner (211.000).  » Steven est authentique et direct « , raconte Sophie M’Sallem, de Sporthouse Group, la société qui gère les réseaux sociaux de Defour et d’autres Diables Rouges.  » Pour marquer des points sur les réseaux sociaux, il faut avoir une opinion personnelle. Ceci dit, Steven dérape très rarement. Il sait qu’il doit être un modèle. C’est pour ça qu’il n’a pas réagi quand les supporters du Standard lui ont balancé toutes sortes d’insultes à la tête, sur Facebook. Steven observe une règle d’or sur les réseaux sociaux : tout le monde a le droit de donner son avis. « 

L’AVIS DE SES ADVERSAIRES DIRECTS

Rob Schoofs (Gand):  » Il a fauché Dompé après cinq minutes. « 

 » Yannick Ferrera nous avait demandé de ne pas laisser de temps ni de brèche à Steven Defour. La mission était simple: quand Defour avait le ballon, nous devions le harceler. Mais il allait le rechercher si loin que je devais opérer un choix : le laisser jouer ou le couvrir. Finalement, les attaquants ont dû courir pour le neutraliser. Non que ça l’ait vraiment dérangé. Il a distribué le jeu, donné des directives et il s’est engagé dans tous les duels avec la même motivation. Il n’est pas de ceux qui vous donnent des coups dans les mollets dès que l’arbitre regarde ailleurs. Il le fait devant tout le monde. Après cinq minutes, il avait déjà décoché un sale coup à Jean-Luc Dompé. A ma grande surprise, il n’a même pas eu de carte jaune. Steven n’avait pas choisi Dompé par hasard: c’était notre joueur le plus important. Ça s’appelle avoir de l’expérience. Il est très dur sur le terrain mais en dehors, il est sympa. Je l’ai rencontré à Saint-Trond il y a quelques semaines et il est venu spontanément me saluer. « 

Sofiane Hanni (FC Malines):  » 90 minutes de sueur « 

 » Jouer contre Steven Defour, ça veut dire courir, courir et encore courir. Suer pendant 90 minutes. Après le match, je suis généralement vidé. Le neutraliser requiert énormément de concentration car il ne s’arrête pas un instant. Il soigne la construction, il plonge dans votre dos, s’infiltre, défend. Je me rappelle une phase de notre dernier déplacement à Anderlecht. J’étais seul devant Silvio Proto et déjà occupé à choisir mon côté. Steven a déboulé comme un fou pour bloquer le ballon. Il est empreint de rage de vaincre. Il a de bons pieds. Il est le cerveau d’Anderlecht. J’ai appris comment l’embêter. Par exemple en jouant en un temps ou en appelant le ballon dans son dos. Se placer un mètre devant lui n’a pas de sens car il ne vous lâche pas. Un autre truc : quand il souffle après une action offensive, j’essaie d’avoir le ballon le plus vite possible car alors, l’entrejeu d’Anderlecht est ouvert. « 

David Hubert (Mouscron-Péruwelz):  » Il n’est pas toujours maître de ses émotions « 

 » Nous avons été coéquipiers en équipes d’âges de Malines et de Genk puis nous nous sommes régulièrement croisés en D1. Je dois reconnaître que j’attends avec impatience, des jours à l’avance, les matches contre lui. Nous nous serrons la main avant le match mais ensuite, nous n’éprouvons plus la moindre once de pitié l’un pour l’autre. Nous y allons généralement fort. Un moment donné, nous avons quitté tous les deux le terrain avec une carte jaune ! En fait, je me reconnais en Steven: nous essayons d’entraîner les autres dans notre sillage, de leur communiquer notre rage de vaincre et nous sommes prêts à puiser au tréfonds de nos ressources. Il est peut-être trop impliqué émotionnellement dans ses matches. Il ne maîtrise pas toujours ses émotions. Il s’énerve quand ça ne va pas comme il le voudrait. Je l’entends jurer sur lui-même. Ses coéquipiers et l’arbitre ne sont pas épargnés non plus. Il commence à gesticuler. Ça peut se retourner contre lui mais en Belgique, il n’y a pas cinq joueurs possédant plus d’intelligence de jeu. Il a l’art de se créer des espaces. Sa polyvalence constitue un atout: placez-le en pointe de l’attaque et il se tirera d’affaire. « 

Par Alain Eliasy

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