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 » Le foot a besoin de gens malins comme lui « 

René Weiler a affiché toute sa personnalité lors de sa première saison sur le banc d’Anderlecht. Reportage à Winterthur, là où le Suisse a développé son caractère en acier trempé.

La fraîcheur du sombre hangar soulage enfin les organismes de la chaleur étouffante de ce jour d’été à Winterthur, en Suisse. À l’intérieur, plusieurs objets auraient facilement leur place dans n’importe quelle brocante du pays. Comme cette chaise, sur laquelle repose un grand cadre dressant le portrait d’un jeune enfant.  » C’est le premier fils de René Weiler. Aujourd’hui, il est adolescent « , révèle Bruno Huber, maître des lieux.

C’est lui qui a lancé la carrière de l’entraîneur du Sporting d’Anderlecht quand il avait 17 ans. Ici, il stocke tous les souvenirs du passé des joueurs dont il s’est occupé. Cette véritable caverne d’Ali Baba est parfaitement rangée. Mais ça ne l’empêche pas de prendre plusieurs minutes avant de mettre la main sur le dossier Weiler.

 » René n’a pas le temps de venir rechercher ce qui lui appartient ici « , glisse Bruno Huber. De la farde s’échappent de vieilles coupures de journaux et plusieurs photos dont une où le jeune René Weiler, l’air timide, pose avec son maillot du FC Winterthur. La légende indique que Michel Platini est son idole. Quelques secondes plus tard, Bruno Huber extirpe un des premiers contrats de son protégé, alors en deuxième division suisse.

On y découvre qu’il touchait 500 francs par mois, une somme modique à l’échelle du pays. Puis soudain, au milieu de cette pile de papiers, une série de lettres manuscrites apparaissent. René Weiler avait l’habitude de beaucoup écrire à son conseiller. Sourire en coin, celui-ci relit avec tendresse ces quelques lignes où le garçon confiait qu’un jour, il ouvrirait un café.

 » René m’avait aussi dit qu’il voulait devenir journaliste car il trouvait qu’ils écrivaient trop de choses négatives « , se rappelle Bruno Huber, amusé. Celui-ci a joué un très grand rôle dans la carrière et la vie de René Weiler. Comme lorsqu’il accepta de l’héberger pendant quelques mois dans sa vaste demeure non loin du centre-ville. Il venait de passer professionnel au FC Winterthur, à l’aube de ses 18 ans.

 » René m’a dit : -Je viens chez toi. Il n’arrivait pas à vivre chez son papa ou chez sa maman qui habitaient pourtant chacun en ville. Il savait que la famille, ça ne fonctionne pas toujours comme on le veut. Mais il était capable de se distancer des choses négatives et d’avancer.  »

Au FCW à 7 ans

Winterthur. Avec sa centaine de milliers d’habitants, elle est la sixième plus grande ville du pays. Elle reste tout de même bien plus tranquille que Zurich, sa soeur aînée située à 25 kilomètres au sud-ouest. Un magasin bio, des bureaux de la célèbre compagnie d’assurances Axa Winterthur, un petit restaurant asiatique et une belle église : voilà ce qu’on peut trouver aux abords du stade Schützenwiese, l’antre du FC Winterthur.

Les gradins sont encore parsemés de gobelets en plastique et de fascicules de match. La veille, Die Löwen (Les Lions) s’inclinaient 1-3 face à Schaffouse, en deuxième division. Les volets rouges du chalet blanc qui sert de fanshop sont fermés. Tout comme la Wurststation, le commerce de saucisses, et la Sirupkurve, l’endroit spécialement réservé aux enfants lors des rencontres à domicile.

À droite d’une tribune principale en plein nettoyage, une grande bâche couvre la terrasse du restaurant du club et un Playmobil géant aux couleurs du FCW. Derrière elle, le chrono du marquoir d’un terrain synthétique secondaire tourne dans le vide, s’arrête à 90 : 00 et recommence à zéro, inexorablement. Avant, c’était du gazon naturel. Celui que René Weiler foulait quand il a pris sa toute première licence à sept ans.

 » C’est à cet âge-là que je l’ai vu pour la première fois « , se rappelle Markus Wanner, l’un de ses coéquipiers en équipes d’âge au FCW, dans un français teinté de suisse allemand.  » J’ai passé toute ma jeunesse à ses côtés. Nous n’habitions pas au même endroit, mais chaque après-midi de congé, on jouait au football ensemble. Les deux ou trois entraînements qu’on avait pendant la semaine ne nous suffisaient pas.

On se lançait des petits défis et tant qu’il n’y avait pas de vainqueur, on continuait. Il nous arrivait d’être occupés pendant six heures. Chacun voulait être le premier, mais lui encore plus. On travaillait aussi physiquement, pour progresser. Il était d’ailleurs toujours un peu plus fort que moi. Avec son pied droit, c’était l’une de ses principales qualités. En revanche, en match, il fallait parfois travailler défensivement pour lui. Ce n’était pas Aubameyang, mais il était souvent décisif comme milieu droit « , rigole-t-il.

Une mentalité de vainqueur

Arrivé à cinq ans avec son grand frère et sa petite soeur en provenance d’Eglisau, un petit village du nord du canton de Zurich, René Weiler a rapidement consacré beaucoup de temps au football. D’abord pour passer au-dessus d’une vie de famille compliquée suite au divorce de son papa policier et de sa maman mère au foyer. Ensuite parce qu’il a vite décelé ce don ancré en lui : celui d’un futur grand joueur à l’âme d’un maître technicien.

 » En U16, il est allé trouver notre coach pour lui dire qu’on ne jouait pas assez au ballon et qu’on courait trop. Déjà à ce moment, il réfléchissait comme un entraîneur. Un vrai petit maestro « , ajoute Markus Wanner. Et Giorgio Contini, qui l’a fréquenté des U13 jusqu’en Seniors au FCW, de confirmer.

 » Tactiquement, il connaissait déjà beaucoup de choses. On voyait qu’il avait un certain talent pour ça, même à 14 ans. Instinctivement, il savait où se placer. Ses relations avec les entraîneurs n’étaient d’ailleurs pas toujours très harmonieuses mais il les respectait.

Lui n’avait aucune crainte de leur dire ce qu’il pensait alors que généralement, les jeunes se taisent. Et avec ce qu’il faisait sur le terrain, tout le monde savait qu’il serait le prochain à intégrer l’équipe Première. Il avait déjà cette mentalité de gagnant qui voulait faire son truc dans le milieu, mais pas comme les jeunes d’aujourd’hui qui se réfèrent à Messi ou Ronaldo. Il ne se mettait jamais en avant. Par contre, dans sa tête, ses objectifs étaient bien définis.  »

Il n’y avait pas que le football dans la vie du jeune René Weiler. Il aimait regarder le tennis et comme aujourd’hui, il s’intéressait au hockey sur glace. Fervent supporter des Kloten Flyers en Ligue Nationale A, il n’hésitait pas à affronter son ami Markus, fan du HC Davos, l’un des rivaux au plus haut échelon suisse.

 » On jouait davantage au hockey avec les maillots de notre équipe favorite. Nous sommes aussi allés voir quelques matchs à la patinoire de Kloten. Il parlait souvent avec les gens de ce club de village situé dans la périphérie de Zurich. Cette petite entité était une inspiration pour lui : elle n’a pas beaucoup d’argent mais fait du très bon travail.  »

Intelligent et cultivé

Le jeune homme était également bon élève et très curieux. S’il ne subsiste aujourd’hui que peu de traces de ses années d’école, son CV est par contre assez éloquent. À 20 ans, avant son premier transfert au FC Aarau pour la saison 1993-1994, il avait déjà enchaîné plusieurs expériences professionnelles, tout en terminant son apprentissage en école de commerce.

D’abord parce que son père était exigeant par rapport aux études. Mais aussi parce que le ballon rond ne lui suffisait pas. Formation d’entraîneur de jeunes, travail à l’aéroport de Zurich, dans les assurances, chez un procureur : René Weiler voulait savoir comment se passait la vie en dehors des pelouses. Parcourant du regard les 15.000 places du stade du FCW, Giorgio Contini confirme.

 » On discute encore de beaucoup de choses différentes du football car il a d’autres centres d’intérêt. Et cela se fait toujours avec intensité. René est quelqu’un qui a quelque chose dans la tête. Il est très intelligent et très cultivé.  » En dehors ou sur le terrain, René Weiler a donc toujours fait preuve d’une grande détermination dès son plus jeune âge, en se souciant peu de l’avis des autres. C’est aussi ce qui fait son succès à Anderlecht.

 » Quelques mois après notre rencontre, nous étions devenus bons amis « , poursuit Markus Wanner, actuellement à la tête du FC Seuzach en Erste Liga (4e division suisse).  » Un jour, dans le vestiaire, il a dit à l’entraîneur qu’il ne voulait plus de moi comme capitaine. Nous avons donc procédé à un vote. Tout le monde sauf lui voulait que je continue avec le brassard. Mais quel courage d’oser s’affirmer à ce point « .

 » Il était plutôt réservé mais quand il mettait ses crampons, il pouvait parfois devenir méchant sans pour autant prendre des cartons « , complète Giorgio Contini, actuellement T1 de Saint-Gall.  » Aujourd’hui c’est la même chose. Dans le privé, il est calme, tranquille et réfléchi. Mais il est concentré et très sévère quand ça concerne le travail. Il ne regarde pas à gauche ou à droite, il fonce. Sans cette mentalité, il n’en serait pas là.

Il a fait beaucoup pour le FCW mais il ne s’est pas fait que des amis à cause de ses méthodes très directes. Désormais tout le monde parle de lui en bien.  »

À la rencontre de Joachim Löw

Un jacuzzi est niché dans un coin du jardin de la maison de Bruno Huber, à quelques mètres de la piscine. Le parasol protège les crânes mais aussi le pain, les olives, la salade de fruits de mer et tous les autres mets préparés pour ce repas de midi.

 » Je crois que j’étais la personne la plus proche de lui dans son parcours de joueur « , estime Bruno, assis à table, sirotant un espresso.  » Je connais tous les épisodes positifs et négatifs de sa vie, dans le football et à côté. Mais le privé, c’est quelque chose de très important pour lui. Il n’a jamais aimé et n’aime toujours pas qu’on en parle publiquement et il veut qu’on respecte ça.  »

Encore aujourd’hui, René Weiler cultive la discrétion quand il s’agit d’autre chose que le cuir. Bruno Huber pourrait écrire  » plusieurs livres sur lui  » mais préfère s’étendre sur ses deux carrières de joueur et d’entraîneur.  » Un gars de l’équipe Première de Winterthur m’avait demandé de venir voir un jeune talent qui évoluait en Espoirs mais à qui on ne donnait pas encore sa chance. C’était René, à 17 ans.

Je suis allé et après dix minutes, je me suis dit qu’il deviendrait un grand joueur. Je lui ai demandé s’il voulait devenir professionnel. Il m’a dit oui. J’ai alors discuté avec le club pour qu’il fasse un entraînement. Deux séances plus tard, il était déjà dans l’équipe « , raconte celui qui s’est aussi occupé de la carrière de Roberto Di Matteo et d’anciens internationaux de la NATI.

Puis, à l’été 1992, Wolfgang Frank remplace Charly In-Albon comme coach du FCW, et Joachim Löw, actuel sélectionneur de l’Allemagne, est capitaine. Rapidement, René Weiler remarque plusieurs choses qui ne lui plaisent pas dans la manière de voir le jeu du nouvel entraîneur. Il souhaite lui parler mais Frank décline.  » Il est alors allé trouver Löw pour qu’il aille transmettre son avis concernant le jeu trop défensif et la tactique catastrophique. Le capitaine a finalement organisé une réunion avec Frank et René pour discuter. Le coach était choqué de voir qu’un si jeune footballeur dise aussi facilement ce qu’il pensait. Il ne cherchait pas le conflit. Il voulait juste aider le groupe à devenir meilleur. Il était déjà très perfectionniste et il réfléchissait comme un entraîneur.  » Un comble pour celui qui n’avait jamais réellement projeté de devenir professionnel comme T1 d’une équipe de foot.

Une lettre à la FIFA

René Weiler était promis au succès. Mais une cheville défectueuse l’empêcha de réaliser les rêves qu’il s’était fixés. À 26 ans, il se fait opérer par un spécialiste allemand dégoté par Uli Hoeness himself. Mais il ne retrouvera jamais toutes ses sensations. Une énorme frustration pour un athlète très fort physiquement et irréprochable dans son hygiène de vie.

 » Il compense cet échec en se donnant tant et plus dans son travail et en demandant beaucoup à son noyau « , commentera Giorgio Contini.  » C’était un choc pour lui. Il n’y croyait pas. Heureusement, il a toujours fait le nécessaire en dehors des terrains pour préparer son après-carrière ou s’il se blessait gravement. Ça prouve qu’il était déjà visionnaire et qu’il réfléchissait sans cesse à l’avenir. Son ouverture d’esprit lui a permis de bien négocier cette déception.  »

Son ancien conseiller marque une pause puis reprend.  » En fait, il est trop intelligent pour ce sport. Pour tout vous dire, je ne suis pas sûr qu’il restera encore entraîneur pendant de longues années. Il aime trop la vie « . En 1998, l’actuel meilleur coach de Belgique envoya une lettre à la FIFA pour pouvoir y travailler. Il estimait qu’il fallait des jeunes dans cette grande structure internationale.

Mais c’est finalement comme entraîneur par intérim qu’il entama sa reconversion, à Winterthur. Puis il devint directeur sportif à Saint-Gall en janvier 2005. Heinrich Schifferle, grand ami de Bruno Huber, ancien membre du comité du FCW et actuel président de la Swiss Football League, se souvient de ce passage.

 » J’estimais que ce job venait un peu trop tôt pour René et que c’était une mauvaise idée. Je l’avais même dit à un membre de la direction. René l’avait appris et le lendemain, sans me prévenir, il était venu à mon bureau à Berne pour me demander des explications. Sa droiture, son honnêteté, sa manière directe de procéder : voilà pourquoi il est là maintenant. Je suis fier de le connaître et d’avoir été capable de suivre sa carrière car René est spécial. Je lui ai souvent dit de faire attention et de ralentir. Mais lui était déjà deux étapes plus loin dans sa réflexion, en étant certain de faire le bon choix.  »

L’aventure saint-galloise se termine pourtant sur un clash avec l’un des sponsors principaux du club alémanique. René Weiler enchaîne ensuite plusieurs postes, avant de se révéler à Nuremberg, en seconde division allemande.  » Quand cette aventure s’est finie, je lui avais dit que s’il attendait un peu, il se trouverait sûrement une place en Bundesliga. Puis il est parti à Anderlecht. Je pensais que s’il échouait en Belgique, il serait grillé en Allemagne. Mais il a remporté le titre. Donc il a encore prouvé que sa décision était la bonne « , ajoute Heinrich Schifferle.  » Le football a besoin de gens malins comme lui.  »

PAR VALENTIN THIÉRY À WINTERTHUR – PHOTOS REUTERS

 » René m’avait dit qu’il voulait devenir journaliste car il trouvait qu’ils écrivaient trop de choses négatives.  » – Bruno Huber, proche de rené weiler

 » Un jour, René est allé trouver Joachim Löw pour qu’il aille transmettre son avis concernant le jeu trop défensif et la tactique catastrophique de l’équipe.  » – Bruno Huber, ex-entraîneur

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