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La vie du commandant Custo

« Quand mes joueurs jouent à Uno dans le vestiaire, je repense aux moments où nous y jouions dans les caves, pendant la guerre », dit Adnan Custovic (39), le nouvel entraîneur d’Ostende. Voici l’histoire d’Adi, le réfugié bosnien.

Adnan Custovic : « J’ai grandi dans une famille musulmane typique de Mostar, une ville de Bosnie-Herzégovine, à l’époque où la Yougoslavie était encore unie. Mes parents étaient professeurs : mon père enseignait l’histoire et la géographie ; ma mère, le serbo-croate. Mon plus jeune frère était aussi un excellent joueur mais il aimait profiter de la vie et n’a jamais percé. J’avais déjà treize ans lorsque j’ai signé ma première carte d’affiliation dans un club. J’ai été repéré par Velez Mostar dans un tournoi inter-quartiers et j’ai été invité à m’y entraîner. C’est là que tout a commencé.

Mais un an plus tard, la guerre éclatait et nous sommes partis pendant un mois car une bombe avait touché l’immeuble à appartements où nous habitions. Ma mère a dit que nous devions partir, que c’était trop dangereux. Et le lendemain, nous sommes partis. A l’époque, il y avait des explosions chaque jour dans notre quartier, les sirènes retentissaient et nous devions nous cacher dans les caves. Aujourd’hui encore, quand mes joueurs jouent à Uno dans le vestiaire, j’y repense car, dans la pénombre des caves, c’est à cela que nous jouions. Que pouvions-nous faire d’autre ?

Nous avons pris un des derniers convois de bus des Nations Unies pour nous rendre en Slovénie. Seuls les femmes et les enfants étaient autorisés à partir. Mon père est resté à Mostar pendant un an et demi et a été fait prisonnier par les militaires croates. Il a passé six mois dans un camp de concentration, mal nourri, et il a été libéré grâce à l’aide de l’Europe. Alors, il nous a rejoints en Slovénie, où la famille s’est reformée. Jusqu’à ce qu’en 1996, mes parents et mon frère retournent à Mostar tandis que je restais pour terminer mes études. »

Le foot pour financer les études

« Quand je repense à la guerre, je dois admettre qu’elle m’a rendu plus fort. Tous ces événements m’ont aidé à mûrir plus rapidement. J’avais seize ou dix-sept ans lorsque je me suis retrouvé tout seul en Slovénie et que j’ai dû trouver le moyen de survivre. Il n’y avait pas d’autre solution : en Bosnie, il n’y avait plus rien. Tout avait été détruit et devait être reconstruit. Je voulais absolument poursuivre mes études car je voulais devenir quelqu’un. Même sans le football, j’y serais arrivé, c’est sûr !

J’ai terminé mes humanités en slovène, qui est une langue différente du serbo-croate, puis je me suis inscrit à l’université de Ljubljana. En fait, ce fut une belle période. J’étudiais, je jouais au football, je me faisais des amis. J’y ai aussi obtenu mon permis de conduire. Je partageais une chambre de 12 mètres sur 4 avec deux autres étudiants. Nous avions chacun un lit et une chaise, plus une table commune.

Le week-end, ils rentraient chez eux, tout fermait et je devais trouver refuge ailleurs. A l’époque, pour moi, le football n’était qu’un moyen de financer mes études. Avec ma bourse d’études plus l’argent du football, j’arrivais parfois à mettre 200 euros de côté, que j’envoyais à ma famille à Mostar qui, comme dit, était retournée là-bas.

En Slovénie, au préalable, nous avions vécu dans un camp pour réfugiés. Le mari de la directrice était entraîneur d’un tout petit club de football et a demandé qui voulait venir jouer. Le terrain se trouvait dans un bois, il n’y avait ni eau, ni électricité. Ça devait être en dixième division ou un truc comme ça. On nous donnait des tickets de bus pour aller à l’entraînement puis nous avons reçu un vélo. J’ai même oublié le nom du club. Je suis encore passé par une autre équipe puis je suis arrivé à Triglav Kranj, un club professionnel, où nous avons été champions nationaux en U18. »

La France, un autre monde

« J’avais 19 ans lorsque j’ai reçu ma chance en équipe première. Pour mes débuts, j’ai inscrit l’unique but de la rencontre. La saison suivante, j’ai marqué cinq fois au premier tour et j’ai été convié à faire un test au Havre. A l’époque, je poursuivais des études d’ingénieur civil à l’université de Ljubljana, je vivais dans une chambre d’étudiant payée par le club et je pouvais manger au restaurant du club mais je ne gagnais rien. Le secrétaire m’a avancé un peu d’argent pour que je puisse prendre l’avion pour Paris sur un vol réservé par un agent.

Mais l’aéroport Charles de Gaulle est immense et personne n’est venu. Vous me voyez là, complètement perdu ? L’agent n’est arrivé que trois quarts d’heure plus tard en s’excusant parce qu’il avait été coincé dans les embouteillages. Il m’a emmené dans sa grosse Mercedes et m’a installé dans un grand hôtel où les gens portaient mes bagages et m’ouvraient les portes. Un monde auquel je n’étais pas du tout habitué ! Nous étions le 28 décembre, je ne parlais pas un mot de français et je me souviens que, le soir de la Saint-Sylvestre, j’ai appelé mes parents pour leur souhaiter une bonne année puis je suis allé dormir immédiatement après avoir raccroché.

Une semaine plus tard, je signais au Havre mais j’étais le cinquième étranger alors que le club ne pouvait en aligner que quatre. Quelques jours plus tard, heureusement, l’un d’entre eux est parti et on m’a fait signer pour quatre ans alors que je ne m’y attendais pas du tout. En quinze jours, ma vie avait complètement changé. Moins d’une semaine plus tard, j’étais titularisé en D1 contre Strasbourg puis je jouais encore contre Lyon et Lens. Je jouais subitement devant 30.000 personnes, je roulais en Mégane, j’habitais dans un appartement et je recevais un bon salaire.

Mais je me suis blessé et, la saison suivante, les problèmes commençaient. Un nouvel entraîneur était arrivé et avait amené des joueurs plus âgés, le courant ne passait pas entre lui et moi. J’ai donc joué en équipe B jusqu’à ce que, à quatre matches de la fin, alors qu’il était acquis que nous descendrions, on me fasse encore jouer en équipe première. »

Buteur face à Barthez

« J’ai inscrit mon premier but en Ligue 1 contre Monaco, où jouaient Fabien Barthez, Thierry Henry, David Trezeguet et Willy Sagnol. Je n’allais jamais en marquer d’autres. A cause des blessures et du manque de confiance dont on me témoignait, je n’ai jamais véritablement reçu ma chance en trois ans et demi.

Je suis alors parti à Laval, une autre équipe de Ligue 2. La première saison fut bonne, même si je n’y étais pas toujours titulaire. J’ai tout de même inscrit neuf buts. Lorsque le coach qui m’avait écarté au Havre est arrivé, je n’ai plus beaucoup joué et, à l’issue de la saison, je me suis retrouvé sans club. Je me suis alors entraîné avec l’équipe du syndicat des joueurs jusqu’à ce que l’entraîneur que j’avais connu au cours de mes six premiers mois au Havre m’emmène à Amiens. Au terme de mon contrat là-bas, j’étais à nouveau sans club et je suis retourné m’entraîner avec les footballeurs-chômeurs. »

« Puis je suis arrivé en Belgique. J’ai passé un test avec Mouscron contre Troyes. Nous avons gagné 3-1 et j’ai inscrit deux buts. Saint-Trond était intéressé également mais, grâce à Geert Broeckaert, alors entraîneur de Mouscron, j’ai pu signer au Canonnier le lendemain. Ce fut un succès. La première saison, j’ai inscrit neuf buts. Et la deuxième, dix-huit.

Une image vieille de dix ans : Adnan Custovic exulte après avoir scoré pour Mouscron face à Anderlecht au Canonnier.
Une image vieille de dix ans : Adnan Custovic exulte après avoir scoré pour Mouscron face à Anderlecht au Canonnier.© BELGA

En tout, j’ai secoué 45 fois les filets en trois ans et demi et je suis devenu international bosnien. Je sentais qu’on avait confiance en moi et j’étais bien dans ma peau. C’est pourquoi je me suis installé à Mouscron, où j’habite encore. J’ai rencontré ma femme au Havre, nous avons trois enfants.

A la mi-saison 2009/10, le club, qui avait des difficultés financières, m’a vendu à Gand pour 250.000 euros, sans me demander mon avis. La concurrence en pointe était terrible mais j’y ai aussi connu une belle saison sous la direction de Michel Preud’homme : nous avons terminé deuxièmes en championnat et gagné la coupe. Mais quand Francky Dury est arrivé, j’ai senti que c’était l’heure de partir. Je pensais que le Beerschot était un bon choix mais je me suis trompé. J’y suis sans doute arrivé au mauvais moment. Et puis, les trajets quotidiens entre Mouscron et Anvers étaient longs. »

Un sentiment de dégoût

« Jacky Mathijssen a fini par me renvoyer dans le noyau B, je devais m’entraîner le soir avec les espoirs. On me disait qu’à 33 ans, j’étais trop vieux pour qu’on puisse encore me monnayer alors je suis retourné à Mouscron, qui m’a loué pour six mois et que j’ai aidé à remonter en D2. Mais Lille avait pris le pouvoir et m’a dit que le club ne comptait plus sur moi. J’étais tellement dégoûté par le professionnalisme que j’ai décidé de décrocher mon diplôme d’entraîneur et de jouer pour le plaisir à Tournai, en D3, tout en y entraînant les U8.

A la fin de la saison, trois joueurs, dont moi, ont repris la tête de l’équipe première puis le président m’a proposé un contrat de T1 pour seulement 300 euros de plus que ce que je gagnais en U8. J’ai refusé. Trois jours plus tard, Courtrai me contactait pour me proposer le poste d’adjoint d’Yves Vanderhaeghe. C’étaient mes premiers pas comme entraîneur professionnel.

L’année suivante, Yves passait à Ostende, où il emmenait tout son staff. Avec son autorisation, Gino Caen et moi avons suivi la formation Pro License. Après avoir participé trois fois aux PO1 1 et joué la finale de la coupe, nous avons vécu une période difficile : Yves a été licencié et on m’a proposé de lui succéder. Je lui ai immédiatement téléphoné pour lui dire que j’étais désolé pour lui et que je l’avais soutenu jusqu’au bout mais que c’étaient des choses qui arrivaient en football et que je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité.

Pour moi, entraîner un club de D1, c’est la concrétisation d’un rêve. Mais la vie continue et je dois me fixer d’autres objectifs : gagner des matches, continuer à entraîner au plus haut niveau et, un jour, en Angleterre. Je n’y suis pas arrivé comme joueur, j’y parviendrai peut-être en tant qu’entraîneur. Je sais que ce sera difficile mais si je n’y crois pas et que je ne travaille pas dur pour cela, je n’ai vraiment aucune chance.

Je ne sais pas où mon destin m’amènera. Peut-être que, dans deux ans, je serai au sommet. Mais je peux tout aussi bien être à Poperinge. Ainsi va la vie : on peut être directeur d’une multinationale et tout perdre. La seule chose qu’on puisse faire, c’est donner le meilleur de soi-même. Et, en ce qui me concerne, être honnête envers moi-même ainsi qu’envers les autres. Je crois en la vie et je fais des choix sur base de ce que je ressens. Il n’y a pas qu’une seule méthode qui mène au succès, il y en a plusieurs. J’ai la mienne. »

« Je n’ai jamais été fauché plus de trois jours »

Adnan Custovic
Adnan Custovic© BELGA

Adnan Custovic : « Des périodes difficiles que j’ai connues au cours de ma carrière, je retiens que je suis resté concentré tant que le coach croyait en moi. Quand je ne jouais plus, sous le coup de la déception, j’ai souvent commencé à sortir et à faire des bêtises, comme jouer au casino. Je le faisais parce que j’étais malheureux et peut-être parce que j’étais influencé par les autres. Ma famille et mes amis me manquaient, je cherchais à compenser. Mais cela aurait pu être pire. Il y a des jeunes joueurs qui, dans de tels moments, se mettent à boire ou à se droguer.

Ma femme m’a permis de relever la tête. Elle m’a apporté la stabilité dont j’avais besoin. Mais la foi m’a aussi beaucoup aidé. J’ai l’impression que Dieu a toujours été présent. En Slovénie, il y a eu des moments où je n’avais plus un euro mais, à chaque fois, de l’argent tombait de quelque part. Je n’ai jamais été fauché plus de trois jours. En fait, je n’ai jamais manqué de rien. Au foot, dans les moments difficiles, j’ai toujours continué à travailler car j’étais convaincu que tout finirait par s’arranger.

Je crois au destin. Cela m’aide à accepter la réalité, même si le résultat n’est pas ce qu’on voudrait qu’il soit alors qu’on a tout fait pour y arriver. Quand ton père meurt d’un cancer à l’âge de 62 ans, tu acceptes beaucoup de choses. Je me dis qu’il y a des enfants qui meurent de cette maladie et cela m’aide à ne pas me murer dans le chagrin ou les regrets mais à vivre avec. Cela m’aide aussi à me donner à fond pour mon travail, sans stress. »

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