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Ibrahima Seck: « Je suis fait pour la Premier League »

L’histoire d’Ibrahima Seck (28 ans) débute dans les rues poussiéreuses de Bargny, passe par les collines enneigées d’Épinal et se termine (pour l’instant) à Genk. Retour sur l’expédition agitée du nouveau Yaya Touré.

Au Sénégal, où les castes sont profondément ancrées dans la société, mieux vaut s’appeler Keita ou Coulibaly, des noms de famille à connotation noble. Les moins chanceux s’appellent Danté, Kouyaté, Koné ou Diabaté et sont vus comme des neenos, la caste considérée comme la plus basse de ce pays d’Afrique occidentale. Ce sont des artistes : poètes, musiciens, conteurs, menuisiers, tailleurs, ébénistes ou tisserands. Exercer une autre profession ne leur permet pas de changer de classe. Les Sénégalais vivent pour toujours avec la même étiquette. Bref, l’ex-colonie française n’est pas encore tout à fait entrée dans l’ère moderne.

Ibrahima Seck, dont le nom de famille est lié aux forgerons, a plus de chance. Ses pieds lui ont permis d’échapper à son sort. C’est sur les chemins de terre de Bargny que commence son histoire. C’est là qu’il dispute le championnat populaire, une compétition de quartier. « À l’âge de 15 ans, j’ai effectué mes débuts pour l’équipe de mon bled, Pañcuur. Dans le football de rue, il n’y a qu’une règle : on ne joue pas pour l’équipe d’un autre quartier ! J’en connais qui l’ont fait. Dans leur rue, on les regardait de travers, on ne leur serrait même plus la main…

À l’âge de 19 ans, je suis devenu pro à l’ASC Yakaar, dans la petite ville de Rufisque. Enfin, pro, c’est un bien grand mot. Sur papier, il s’agissait d’un championnat professionnel mais dans les faits, on était purement amateur. Mon contrat prévoyait un salaire de 75.000 francs, soit 120 euros : juste de quoi m’acheter de bonnes chaussures de foot mais je n’ai jamais vu cet argent. Ce contrat, c’était un torchon. Aujourd’hui, le championnat est mieux structuré, on y investit davantage. Génération Foot, le club qui collabore avec Metz, a été champion pour la première fois l’an dernier. Il a révélé des internationaux comme Papiss Cissé, Diafra Sakho et Sadio Mané. »

À quoi aurait ressemblé la carrière de Seck s’il avait pu signer un contrat à Brescia en 2008 ? Il y est resté six mois chez son frère et le club de Serie B était satisfait de son test. À l’époque, il avait 18 ans mais les Italiens avaient un problème : ils avaient déjà atteint leur quota de joueurs extra-communautaires. « La direction m’a demandé d’attendre l’ouverture du marché des transferts de janvier afin de pouvoir vendre un joueur mais ça m’obligeait à retourner au Sénégal pour prolonger mon visa. De nombreux amis m’ont conseillé de rester en Europe, dans l’illégalité.

Leur argument, c’était que tout le monde le faisait. J’ai pris l’avion et je ne suis plus revenu. En Italie, j’ai rencontré des compatriotes dont le permis de séjour n’était pas en ordre et je ne voulais pas vivre ça. Je ne souhaite à personne de vivre dans la clandestinité en Europe. Quand je suis au Sénégal, je le répète sans cesse aux jeunes : si vous n’avez pas de projet concret, n’allez pas en Europe. Les gens qui partent au petit bonheur la chance se plantent à tous les coups. »

Images d’Epinal

Dans le courant de l’année 2009, l’Europe offre une nouvelle chance à Seck. Une vraie, cette fois. Épinal, un petit club de quatrième division française, entame une collaboration avec l’ASC Yakaar et engage trois joueurs de 1,90 m : Cheikh Ndoye, Christophe Diédhiou et Ibrahima Seck. Ils n’ont pas encore 20 ans et débarquent à Epinal à la fin de l’automne. Les Vosges sont à deux pas et les trois garçons voient la neige pour la première fois de leur vie. La différence de température est de 40 degrés. Le froid est insupportable. Sur le plan sportif, Épinal n’est pas très fort et ils doivent se débrouiller avec un contrat fédéral de 1200 euros par mois, soit le SMIC. Aux normes sénégalaises, toutefois, c’est beaucoup d’argent.

« Notre seul problème, c’était de ne pas savoir quoi faire de nos temps libres », dit Seck. « On ne pouvait pas travailler sur le côté et les entraînements ne débutaient qu’à 18 heures. On se couchait donc à cinq heures du matin, on dormait jusqu’à 14 heures et on se préparait pour l’entraînement. Quand on est jeune, on ne réfléchit pas. Mais on a souffert. L’entraîneur estimait qu’on n’était pas suffisamment forts pour l’équipe première et on devait aller à l’entraînement à pied. On n’avait pas de permis de conduire et le club n’avait pas les moyens d’engager un chauffeur. De notre appartement au centre d’entraînement, il y avait 40 minutes de marche. Et pas moyen d’y aller à vélo : quand il neige dans les Vosges, on ne peut pas rouler. D’ailleurs, les Français ne roulent à vélo que le dimanche. »

Ibrahima Seck :
Ibrahima Seck :  » Quand je suis au Sénégal, je le répète sans cesse aux jeunes : si vous n’avez pas de projet concret, n’allez pas en Europe. « © belgaimage

Les trois jeunes hommes comprennent qu’on ne leur fera pas de cadeau et qu’ils ne pourront compter que sur eux-mêmes. Inséparables, après trois ans à Épinal, ils partent ensemble pour Créteil. La première saison se passe très bien : Créteil termine champion et monte en Ligue 2. Ce n’est qu’en 2015 que leurs chemins se séparent.

Diédhiou reste à Créteil avant de rejoindre Mouscron cette saison via le Gazelec Ajaccio. Ndoye part à Angers et joue aujourd’hui à Birmingham City. Seck, lui, opte pour Auxerre. Pour la première fois, il se retrouve tout à fait seul. « Du coup, j’ai appris à composer avec la solitude », dit-il. « Je suis très réservé et ce que je préfère par-dessus tout, c’est rester à la maison. »

Passeport français

Même s’il contrôle déjà mieux son agressivité que la saison dernière, le caractère posé de Seck tranche avec la témérité qu’il affiche parfois sur le terrain. Il y a un an, à pareille époque, il avait déjà écopé de trois cartons rouges. Cette fois, il n’est qu’à deux cartons jaunes. Après avoir analysé son jeu, il en a conclu qu’il pouvait utiliser ses longues jambes à de meilleures fins.

« Je suis un compétiteur et je veux jouer chaque semaine. À Beveren, je sais que ce sera le cas. Ça n’a aucun sens de signer un gros contrat dans un grand club pour suivre tous les matches du banc. Ceci dit, je suis fait pour la Premier League. Comme j’ai un passeport français, je n’ai même pas besoin d’un quota de sélections en équipe nationale pour pouvoir jouer en Angleterre.

Mais un transfert dans un grand championnat ne changerait pas grand-chose pour moi. Nous, les Sénégalais, nous sommes généralement modestes et nous n’oublions jamais d’où nous venons. Il est toujours difficile de dire où une carrière de footballeur nous mènera mais ce qui est sûr, c’est que tout a commencé au Sénégal. »

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