© BELGAIMAGE

Hans avec les stars

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Trop lent pour les uns, trop brave pour les autres, Hans Vanaken semblait ne jamais pouvoir s’imposer à Bruges. C’était sans compter sur sa faculté à jouer avec le temps. Ils l’ont pris pour un mannequin désarticulé, alors que c’était un grand couturier.

« Il n’y avait rien à faire dans ce village.  » Voilà comment Neerpelt est résumé dans la bouche de Raf Simons, enfant de ce coin de Limbourg étouffé entre les Pays-Bas et l’Allemagne qui l’a vu naître en 1968. Vingt-quatre ans après avoir accueilli les premiers cris de l’un des maîtres belges de la mode, Neerpelt a enfanté Hans Vanaken. Et même si l’homme qui valait quatre millions a passé toute son enfance à Lommel, le village est officiellement devenu une terre de créateurs. Parce que quand on s’ennuie, on finit toujours par inventer. Peu importe que ce soit avec une paire de ciseaux entre les doigts ou une paire de crampons aux pieds.

Amoureux de Zinédine Zidane, Vanaken n’aura jamais l’aura du numéro 10 le plus charismatique du tournant du millénaire.  » Si tu le croises dans la rue, tu ne peux pas imaginer que c’est l’un des plus grands talents des pelouses belges « , avait dit de lui Ivan Leko. La faute à un gabarit disproportionné, entre un dos voûté pour regarder dans les yeux des interlocuteurs loin de son mètre 94 et des bras tellement longs qu’ils semblent toujours se demander ce qu’ils doivent faire.

Hans, c’est l’Albatros de Charles Baudelaire.  » Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.  » Mais dès qu’un ballon arrive entre ses pieds, son envol est majestueux.  » Certains joueurs se disputent avec la balle mais toi, elle ne te met pas en difficulté « , affirme le père Vital à sa progéniture. Sans ballon, Vanaken est comme un infirme à qui on a confisqué sa canne. Comme s’il avait été génétiquement programmé pour courir balle au pied.

À Bruges, Hans Vanaken partage son quotidien footballistique avec Thomas Meunier. Le latéral des Diables a connu Víctor Vázquez, Maxime Lestienne ou Carlos Bacca, mais il est formel :  » Cela fait cinq ans que je suis à Bruges et pendant toutes ces années, je n’ai vu personne de meilleur que lui.  » Pendant que José Izquierdo et Lior Refaelov font crépiter les flashes des photographes en défilant entre les défenseurs adverses comme des mannequins sur un podium, Hans planifie la prochaine chorégraphie de l’attaque brugeoise.

LE CHARISME DE VÁZQUEZ

Raf Simons débarque chez Dior. Sa mission est délicate. Lui, le créateur discret au style qualifié de  » minimaliste « , doit remplacer l’exubérant John Galliano, coutumier des apparitions inattendues et tape-à-l’oeil lors du bouquet final des présentations de ses collections. Un océan de charisme, qui devient presque plus imposant que la marque qu’il représente. Dans la Venise du Nord, Hans Vanaken a dû cohabiter six mois durant avec le Galliano des Gazelles.

Tous les ballons brugeois passent alors par Vázquez, et l’ancien maestro de Lokeren semble oublier que les quatre millions payés par la direction blauw en zwart lui offrent de la légitimité. La cruelle comparaison est inévitable, même si Hans fait tout pour l’éviter en rappelant qu’il  » demande le ballon plus haut et se retrouve plus souvent dans le rectangle  » que l’Espagnol.

 » Avec Víctor, c’était parfois difficile sur le terrain, parce qu’on aime tous les deux attirer le jeu vers nous « , concède Vanaken dans HetNieuwsblad. Hans doit s’exporter sur un flanc, souvent sur ce côté droit qu’il fuit naturellement quand on lui laisse l’opportunité de se déplacer librement. Et ne reçoit jamais le ballon quand il l’appelle en même temps que Vázquez. Après avoir tenté la cohabitation, Michel Preud’homme renonce et opte pour l’alternance.

 » On lui a laissé le temps d’étudier notre football. Et il l’a assimilé « , se réjouit aujourd’hui l’entraîneur brugeois. Vanaken observe Vázquez, ingurgite les lignes de course d’un système bien plus tactique que celui de Peter Maes et finit par débouler dans l’équipe, adoubé par un Vázquez en route pour le Mexique :  » Hans est prêt à reprendre mon rôle.  »

La déclaration est un cadeau de Noël, repris de volée par Vanaken le 26 décembre, au stade des Éperons d’or : victoire 1-4 pour un Bruges qui a pourtant le mal des transports, et prestation cinq étoiles du numéro 20. Sans le moindre signe de pression. Pour la présentation de sa première collection Dior, Raf Simons était si calme que Bernard Arnault, le PDG de la marque, s’était publiquement étonné de la sérénité de son créateur. À Neerpelt, on intègre visiblement un système de refroidissement à l’hémoglobine des nouveau-nés.

Avant d’affronter Bruges pour la dernière fois de la saison, Hein Vanhaezebrouck évoque les ratés des emplettes hivernales gantoises devant la presse. Et se prête au jeu des comparaisons avec le Club :  » La différence s’est faite cet hiver. Bruges a fait un transfert sortant crucial, qui a libéré Vanaken.  »

LE SIÈCLE DES STATISTIQUES

Affranchi de l’aura de Víctor Vázquez, Vanaken devient un titulaire incontestable. Il a appris à jouer avec Bruges, à Bruges d’apprendre à jouer avec lui. À le faire marquer, d’abord. Une arme trop souvent absente de l’artillerie de l’Espagnol, et que le Limbourgeois maîtrise à merveille. Contre Courtrai, c’est de la tête qu’il inscrit son premier but de l’ère post-Vázquez. Deux ans et demi plus tôt, c’était déjà son front qui l’avait présenté à la Pro League, sur la pelouse d’Anderlecht. Un 10 avec des centimètres, ça peut toujours servir.

Le départ de Vazquez a libéré Vanaken.
Le départ de Vazquez a libéré Vanaken.© ISOSPORT

 » Je marque surtout sur des services venus des flancs. Je pense que je choisis bien ma position dans les seize mètres « , souligne celui qui affirme que  » jouer très près du numéro 9 est ce qui me convient le mieux.  » S’il a mis (trop) longtemps à déverrouiller son compteur brugeois, Vanaken est reparti sur les bases de ses saisons waeslandiennes. Capital, près d’une dizaine d’années après que Luis Aragones a harcelé Xavi et Andrés Iniesta en leur montrant des vidéos des Anglais Frank Lampard et Steven Gerrard parce qu’  » un milieu de terrain sans but est un milieu imparfait « .

 » Je tente de maintenir une moyenne de dix buts par saison. Ce sont des choses qu’on regarde chez un numéro 10 « , déclare Vanaken, à nouveau auteur de dix réalisations en Pro League cette saison après deux années à onze et dix buts toutes compétitions confondues. Des stats flatteuses qu’il doit à son placement, mais aussi à un sang-froid hors-normes dans la zone de vérité. Son premier but de la saison, contre Malines, dépeint le portrait du Vanaken des seize mètres : un placement opportun sur un centre en retrait, une frappe contrée, puis une feinte de frappe délicieuse, un râteau pour exécuter le défenseur et un ballon déposé au fond des filets.

 » J’aime mélanger l’utile à la beauté « , explique Raf Simons quand il parle de ses créations. Vanaken opine du chef, lui qui réalise régulièrement un petit pont malgré un gabarit qui le placerait volontiers dans le rôle de la victime, et qui n’est pas opposé à l’idée de regarder ses équipiers conclure une action qu’il a initiée sans s’incruster sur la feuille de stats :  » Je ne suis pas obnubilé par les statistiques. Si je ne donne pas l’assist mais que je suis à la base du but ou que j’ai positivement influencé la phase, je suis tout aussi satisfait.  » Comme les grands couturiers, Hans aime faire défiler les autres.

TROP LENT ?

Encore fallait-il qu’ils acceptent de porter ses créations. Pour dessiner son meilleur football, le Limbourgeois a besoin d’être entouré de mouvement. Le retour en grâce d’Ayanda Patosi à Lokeren lui avait posé problème, d’autant plus que le meneur excentré sud-africain s’installait sur un flanc gauche où Vanaken aime aller chercher des ballons et de l’oxygène. Le même problème se présente à Bruges quand Hans et Felipe Gedoz doivent partager le ballon.

 » Pour mon jeu, c’est idéal d’avoir des flancs rapides qui prennent la profondeur « , reconnaît le numéro 20 des Gazelles. À Daknam, Jordan Remacle et Nill De Pauw permettaient à Vanaken de trouver de l’espace entre les lignes pour déposer les ballons dans l’espace. Un rôle interprété avec plus de talent encore par les vertigineux Refaelov et Izquierdo, complétés au casting rêvé d’Hans par les infiltrations tranchantes d’un Ruud Vormer qui fait figure d’expert dans le domaine. Les trois hommes passent autour de lui, s’appuient sur son sens de la déviation et sa faculté à créer de l’espace. Vanaken combine court, aère le jeu quand l’occasion se présente et poursuit sa course jusqu’au rectangle pour faire parler son flair.

Emmené par nos soins dans les stades de play-offs 1 voici quelques semaines, Wesley Sonck n’a pas résisté au plaisir d’évoquer l’homme au centre du football brugeois :  » Vanaken me fascine. Si sa vitesse d’exécution était plus élevée, il serait encore meilleur.  » Les jambes interminables de l’échassier du Limbourg le privent en effet de ce fameux coup de reins qui semble être une clé indispensable pour s’ouvrir les portes du haut niveau. D’aucuns pensaient même que la marche brugeoise serait déjà trop haute – et surtout trop rapide – pour lui.

 » Certains pointent du doigt mon manque de vitesse « , reconnaissait le joueur dans les colonnes de la DH.  » Mais je dois faire sans, et j’y parviens.  » Parce que la distance démesurée entre son cerveau et ses pieds n’empêche pas l’information d’y circuler plus vite que de raison.

 » Le défilé n’a pas encore commencé que je pense déjà au suivant « , raconte Raf Simons pour décrire le rythme effréné imposé par Dior à son génie. Le créateur doit penser plus vite pour rester au sommet :  » Ce qui change, c’est le temps qui s’offre désormais à moi. Par la force des choses, j’ai pris l’habitude de travailler toujours plus rapidement « , conclut Simons. Vanaken n’a pas besoin de courir vite, il doit seulement penser avec assez de vélocité pour faire courir les autres. Son sens du jeu fait le reste. En une déviation, le maître à jouer du Club peut transformer une passe anodine en ballon de but. Ses interventions en un temps sont des robes de soirée avec talons aiguilles que ses équipiers peuvent porter avec le confort d’un jean-basket.

DÉFILÉ AU BREYDEL

Hans Vanaken ne doit pas seulement penser plus vite pour s’offrir le temps de donner le ballon, mais aussi pour le recevoir. Là, sa réponse réside dans le mouvement permanent.  » Vous devriez seulement analyser tout ce qu’il court « , explique Thomas Meunier.  » En plus, il le fait avec intelligence et subtilité. « 

Difficile de ranger Vanaken dans une case, parce qu’il fait tout pour s’en sortir. Pour défendre face à lui, Michel Preud’homme avait à l’époque d’ailleurs sacrifié Timmy Simons dans un marquage individuel afin de  » jouer à dix contre dix.  » Une tactique reprise par Westerlo cette saison, quand Arno Verschueren a vécu son baptême du feu en Pro League dans le costume de chien de garde d’un Hans pourtant souverain. Bilan de la soirée : deux buts et une passe décisive.  » C’était impossible de le suivre partout et tout le temps.  » Pas facile de jouer nonante minutes en ayant perpétuellement une seconde de retard.

Libéré de l’influence gargantuesque de Vázquez, Vanaken peut profiter d’une liberté presque totale :  » En possession, je reçois beaucoup de liberté. Je peux bouger entre les lignes, et c’est ce dont j’ai besoin.  » Preud’homme confirme, en évoquant un joueur pour qui  » le mouvement fait partie de sa nature « . Peu importe où il choisit d’aller, tant que cela se voit dans les offensives brugeoises.  » Chez Dior, une maison à l’héritage considérable, ma mission de designer est de faire la différence « , expliquait Raf Simons quelques mois avant de quitter la marque française. Depuis février, Vanaken a mis sa griffe sur le jeu brugeois, avec sept buts et trois passes décisives en treize rencontres, à une période de l’année où les blessures avaient pris la vilaine habitude de gagner leur duel perpétuel face à Victor Vazquez.

Voici quelques mois, alors que Vanaken était abonné au banc de touche et aux critiques, Michel Preud’homme avait joué la montre :  » Hans quittera Bruges pour une somme bien supérieure aux quatre millions dépensés pour lui « , et  » À terme, il va faire jouer cette équipe comme le fait Vazquez.  »

Le créateur de Neerpelt a organisé son défilé sur la pelouse du Jan Breydel. Pour présenter sa collection de printemps, il envoie un projecteur en profondeur sur le déhanché de José Izquierdo. Le flair de Vanaken pourrait emmener le Colombien en Une de Vogue. Hans se contente de quelques apparitions furtives. Le temps de célébrer un but supplémentaire, les bras écartés, comme s’il déployait ses ailes. Le port de Zeebruges n’est qu’à quelques kilomètres. N’est-ce pas un bel endroit pour voir un albatros voler ?

Par Guillaume Gautier

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire