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 » EN FRANCE, ON N’A PAS LA MÊME CULTURE DU FOOTBALL « 

Quel regard portent les deux Français sur notre championnat ? Ludovic Butelle et Benoît Poulain parlent de la saison du Club Bruges, de l’aura croissante de la Jupiler Pro League et de l’humour dans le vestiaire.

Anderlecht et le Club Bruges filent côte à côte, à la fin du championnat régulier. Des Français jouent un rôle central dans les deux équipes. Le Club compte sur Ludovic Butelle et Benoît Poulain en défense, le Sporting sur l’Algérien Sofiane Hanni, qui a grandi dans l’Hexagone, et Adrien Trebel pour animer son entrejeu. Tous les clubs de l’élite ont recruté en France ces dernières années, avec succès. Butelle vient ainsi d’être élu meilleur gardien au gala du Soulier d’Or.

Que pensez-vous de la saison du Club ?

LUDOVIC BUTELLE : Difficile. Nous avons connu des hauts et des bas mais nous sommes bien revenus, malgré nos récentes défaites à Gand et à Lokeren. Comme toujours, les PO1 seront décisifs. Il faudra être au sommet de notre forme.

BENOÎT POULAIN : Nous avons connu une période faste de Charleroi le 14 octobre au déplacement à Gand fin janvier. Avant, nous avons manqué de régularité, sans parler des blessures.

BUTELLE : En plus, tous nos adversaires brûlaient d’envie d’être les premiers à battre le champion. Il nous a fallu du temps pour le comprendre et nous adapter.

POULAIN : La préparation avait été bonne et notre premier match à Malines excellent. Nous étions donc en confiance, sans doute trop. On s’installe vite dans une zone de confort alors qu’il faut toujours se livrer à fond. Le mois d’août est difficile, à cause du mercato et de l’incertitude qu’il génère, davantage dans un grand club encore.

La campagne européenne n’a-t-elle pas accentué l’aspect négatif de ce début de saison ?

BUTELLE : Nous avons fait trop de cadeaux ! Nous étions trop tendus lors du premier match. À Copenhague, nous avons manqué de chance. Ensuite, ça a été mieux mais l’absence de points est très frustrante. D’autre part, je pense que ça aide le noyau : la campagne européenne aurait pu avoir des conséquences en championnat mais nous avons redressé la tête et prouvé que ces faux-pas étaient surtout malheureux.

POULAIN : N’oubliez pas que nous avons rarement pu jouer au complet en Ligue des Champions.

BUTELLE : Les attentes étaient colossales, puisque nous avions été privés de la CL pendant onze ans, mais la plupart des joueurs découvraient ce niveau. Enfin, nous n’avons pas été suffisamment tueurs devant le but.

C’est à ce moment-là que tu as été controversé.

BUTELLE : Je jouais au niveau de l’équipe. Personne n’était bon, moi pas plus que les autres. L’essentiel dans un moment pareil est de ne pas céder au doute : on ne perd pas ses qualités du jour au lendemain et j’en possède quand même quelques-unes.

PAR-DELÀ LA FRONTIÈRE

Pourquoi avoir opté pour la Belgique sur le tard ?

BUTELLE : Je voulais remplir mon palmarès. J’avais déjà vécu pas mal de choses avec Lille et Valence, j’étais ambitieux. Ce n’était pas facile car un jour, Angers parlait de reconduire mon contrat puis le lendemain de me transférer. Angers lutte pour le maintien année après année. Sa période à la deuxième place il y a un an était exceptionnelle. Le Club était plus attrayant.

D’après Vincent Mannaert, convaincre un joueur de Ligue 1 de jouer en Belgique montre que l’image de notre football s’améliore, y compris en France.

POULAIN : Quand Ludo a signé ici, je n’ai pas entendu beaucoup de commentaires positifs. C’était plutôt un scandale. J’étais en Belgique depuis quelques mois sinon je n’aurais pas vu les choses sous le même angle. Ces commentaires ne venaient pas de journalistes mais d’anciens joueurs, de connaisseurs. C’était peut-être du chauvinisme. J’ai entendu beaucoup de bêtises, en tout cas. Le titre et les prestations individuelles de Ludo ont en tout cas démontré qu’il avait fait le bon choix.

BUTELLE : Ceux avec lesquels j’ai discuté trouvaient que je devais saisir cette chance, la plupart des autres considéraient que c’était une erreur. Pourtant, en PO1, on n’affronte que de bonnes équipes, dans des beaux stades. Les matches sont intenses.

Mais tu parles des play-offs, qui durent deux mois.

BUTELLE : C’est pareil en championnat mais la France n’en parle pas. Les journalistes ne débarquent ici que pour les play-offs.

Les journalistes étrangers nous envient : ailleurs, le suspense disparaît en mars.

BUTELLE : Envier… Je trouve ça bizarre. On se bat pour les points pendant trente matches mais il suffit de deux ou trois matches moins bons en PO1 pour louper le titre. Il y a plus de suspense mais ailleurs, le titre revient à l’équipe la plus régulière.

Et toi, Benoît, pourquoi avoir choisi la Belgique ?

POULAIN : J’étais en fin de contrat à Nîmes. Une équipe du top dix de Ligue 1 m’aurait convenu mais fin mars, aucune ne s’était manifestée. Lutter contre la relégation ne m’intéressait pas. Je me suis donc ouvert à l’étranger. Certaines options étaient très exotiques, style Roumanie, Bulgarie. J’ai préféré la Belgique. Je ne connaissais ni Courtrai ni le football belge. Le nord de la France s’y intéresse mais pas le sud. J’ai été rapidement séduit par le peuple comme par le football, plus offensif que je ne le pensais. Je me rappelle qu’au début, Ludo s’est arraché les cheveux. Nous sommes des défenseurs et en France, on nous a inculqué des principes de base qui ne sont pas appliqués ici, style deux arrières latéraux qui peuvent monter de concert. On ne voit pas ça en France !

BUTELLE : Angers était très bien organisé défensivement. J’ai donc été surpris lors de mes premiers entraînements avec Bruges. je trouvais que nous laissions trop d’espaces et de possibilités de contre alors qu’il faut contraindre l’adversaire à chercher des solutions à ses problèmes. J’en ai parlé à l’entraîneur et à mes coéquipiers. Je comprends qu’il faille induire une supériorité numérique dans le camp adverse car notre équipe est offensive mais il faut aussi surveiller ses arrières.

POULAIN : Plus nous sommes offensifs, plus je m’amuse, même si j’aime aussi jouer bas, amorcer une action à trois, quatre voire cinq derrière… Les habitudes et le confort m’ennuient.

Tu as préservé tes filets à onze reprises. Cela veut-il dire que la stabilité défensive est acquise ?

BUTELLE : Soyons francs : on complimente le gardien mais le mérite revient à toute l’équipe. L’organisation, la communication… Nous avons été champions grâce à notre collectif. Nous avons été solidaires et costauds.

LES JEUNES

Les Français sont souvent capitaines et certainement leaders. Vous aimez les discussions ?

BUTELLE : Il y a conciliabule mais il faut suivre les consignes de l’entraîneur. Notre staff accorde beaucoup d’importance à tous les détails. Quand des choses nous irritent, nous en discutons tous ensemble. En groupe.

Les entraîneurs trouvent les Français contestataires.

BUTELLE : Tout le monde a un avis. Ce n’est pas parce que nous sommes français que le nôtre est meilleur.

Vous le donnez peut-être plus vite ?

POULAIN : Voilà.

BUTELLE : L’essentiel est que ce soit dans l’intérêt du club. Les anciens se doivent d’aider quand il y a un problème, de conseiller les autres.

POULAIN : À Courtrai, j’étais en excellents termes avec Yves Vanderhaeghe. Je parlais beaucoup sur le terrain, rarement dans son bureau. J’y ai été plus souvent pendant le semestre sous les ordres de Johan Walem et Karim Belhocine. Je ne cherche pas à m’imposer mais je suis là quand on a besoin de moi. Je pense que j’avais une certaine influence sur les autres Français. On peut être un leader en montrant le bon exemple, pas en faisant la morale. Après tout, qui suis-je ?

Laurent Blanc s’est déjà plaint du manque de respect. Le comportement des jeunes a-t-il changé en dix ans ?

BUTELLE : Oui. Jeunes, nous restions dans notre coin, nous ne demandions pas de soins, de massages, nous nous faisions tout petits. Maintenant, quand quelqu’un joue un ou deux bons matches, c’est comme si son apprentissage était achevé. Beaucoup de jeunes considèrent un contrat professionnel comme une fin alors que ce n’est qu’un début. C’est à nous, les anciens, de les recadrer.

POULAIN : Les jeunes ont plus de pouvoir, bien que le Club Bruges soit solide et que les jeunes ne puissent pas dérailler facilement ici, pas plus que dans les autres grands clubs. Quand les stars arrivent à temps et sont pros, les jeunes ne peuvent que les imiter.

LA CULTURE FOOTBALLISTIQUE

Les clubs français possèdent un énorme réservoir de talents. L’âge moyen de Toulouse est de 23 ans, celui de Monaco, le leader, de 24,7 ans.

BUTELLE : Le PSG et Monaco disposent d’énormes moyens. Les autres misent beaucoup plus sur la formation. Les trois quarts de l’Olympique Lyon proviennent de son école. La Ligue 1 est un championnat de haut niveau et les Qataris ont accru le rayonnement du PSG, qui reste malgré tout un bon tremplin. les Français n’ont pas peur de lancer les jeunes au feu. Le football est une économie : il faut vendre pour faire face aux frais. Il est dangereux de parier sur les transferts : on peut perdre beaucoup d’argent. Il vaut donc mieux l’investir dans ses jeunes.

Que pensez-vous de notre championnat ?

POULAIN : Le classement européen des clubs est un bon indicateur. Je constate que le PSG a sauvé la France, ces dernières années. Sans lui, je ne sais pas si nous devancerions la Belgique. Le Club Bruges a joué les quarts de finale d’Europa League il y a deux ans, presque tous les autres se sont qualifiés pour la phase par élimination directe cette année. Genk et Gand sont respectivement septième et huitième. Quand on voit leurs qualités… Le championnat ne se dispute plus entre trois ou quatre clubs. Toutes les équipes progressent. Les meilleurs joueurs rejoignent régulièrement de grands championnats. Certes, ils ne sont pas chers mais quand même. Je ne parle pas de l’Allemagne ni de l’Angleterre mais la Belgique n’a pas à être jalouse de la France, de l’Espagne ni de l’Italie. Et puis, il y a la passion que génère le football. Même contre de petites équipes, nous jouons généralement devant 8 à 10.000 personnes.

BUTELLE : L’ambiance est top à Malines et à Charleroi. Gand et le Standard ont de beaux stades. Le nôtre est toujours comble. En France, le premier affronte le dernier devant 10.000 personnes alors que nous, le 26 décembre, nous faisons stade comble contre Mouscron. La France n’a pas la même culture du football : on vit pour les affiches, on suit les équipes qui tournent.

POULAIN : La France a une culture de la fête, du spectacle. Mais les clubs… Quand Nîmes perdait, il n’en était pas toujours affligé. Le championnat de France est le seul à perdre des spectateurs, je crois, même si ça va mieux cette année : Paris, Monaco, Lille, Nice, Marseille qui a reçu une bouffée d’oxygène…

Avec un peu de chance, il y aura trois gardiens français en PO1. Quel est votre secret ?

BUTELLE : Nous profitons d’exemples comme les Bats, Barthez, Lama, Mandanda, Lloris.. Le mien, c’était Fabien Barthez. Son style, sa sérénité, sa longue carrière.

POULAIN : Je n’avais pas d’idoles : ce ne sont jamais des défenseurs.

Comment as-tu commencé à jouer ?

POULAIN : Toute ma famille a joué, y compris ma mère, mais pas à un haut niveau. J’ai commencé à cinq ans et demi dans l’équipe du village, près de Montpellier.

CONTRE LA PRESSION

Quel est le meilleur Français de Belgique ?

BUTELLE : Difficile à dire. Je ne les connais pas tous et je ne les vois pas constamment au travail. Dutoit et Penneteau sont bons. Sinon… Berrier ?

POULAIN : Ne cherche pas plus loin, Ludo, les deux meilleurs sont à cette table. Gigot est encore jeune mais il aurait pu éclore en Ligue 1.

BUTELLE : Nous avons été coéquipiers à Arles-Avignon. Il débutait et Gaël Givet l’a beaucoup aidé. Il a joué à Monaco, Blackburn et en équipe nationale. Gigot a bien écouté les anciens.

L’ambiance est-elle différente par rapport à un vestiaire français ?

BUTELLE : Il y a la langue. Tout le monde parle français mais de là à comprendre une blague…

Nous sommes plus vite froissés ?

BUTELLE : Plutôt moins attentifs aux jeux de mots…

POULAIN : Parfois, une plaisanterie de Ludovic perd son sens une fois traduite. Ce qui ne l’empêche pas d’en faire.

BUTELLE : La barre est placée haut dans un grand club. C’est pour ça qu’on y vient. On veut être champion, relever un défi mais ça ne doit pas devenir une obsession. Nous travaillons sérieusement mais il faut que des joueurs mettent de l’ambiance, pour soulager un peu la pression. Notre métier est chouette mais stressant. Imaginez que nous soyons ici tous les jours sans nous parler, en silence, chacun dans sa bulle… Ce n’est pas mon truc. Je veux parler, avoir des contacts. Et plaisanter, même si tout le monde ne comprend pas.

PAR PETER T’KINT – PHOTOS BELGAIMAGE – JASPER JACOBS

 » Tout le monde a un avis. Ce n’est pas parce que nous sommes français que le nôtre est meilleur.  » – LUDOVIC BUTELLE

 » La Belgique n’a pas à être jalouse de la France, de l’Espagne ni de l’Italie.  » – BENOÎT POULAIN

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