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Docteur Aristide, Mister Bancé

La Belgique se souvient surtout de ses mèches blondes et de son court passage réussi à Lokeren. Mais l’homme est bien plus complet et complexe, lui qui constitue une sorte de personnage bipolaire capable de se battre avec une jeune maman ou de parcourir l’Afrique pour remercier une protectrice de sa jeunesse.

Entre 1999 et 2008, le Macédonien Pedrag Filipovic a traîné son allure de guichetier de la poste entre les clubs d’Alost, Lommel, Dender, mais également Lokeren. C’est d’ailleurs au Daknam qu’il a dû disputer la meilleure saison de sa respectable carrière, distribuant au passage 13 assists de son flanc gauche. Une dizaine de ses caviars ont alors été destinés à Aristide Bancé, le buteur burkinabé des Waeslandiens. Le défenseur gaucher n’en tirera certes pas un transfert dans un club plus huppé, mais il récupérera de cette époque… un nouveau Nokia. Un cadeau de son coéquipier à la chevelure blonde, alors en partance pour l’Ukraine.  » C’était un geste merveilleux « , confiera par la suite Filipovic au Nieuwsblad.  » J’ai trouvé ce téléphone complètement inutile et je l’ai traité de fou, mais il a insisté pour que je l’accepte.  »

Autre contexte, autre histoire. Deux ans exactement après son départ de Lokeren, le Burkinabé tente vainement de se relancer avec les Kickers Offenbach (Bundesliga 2). Début mai, son équipe déjà sauvée accueille le leader, le Borussia Mönchengladbach. En déroute contrôlée dans les premières minutes du match, les locaux lâchent complètement prise quand leur avant-centre pète les plombs et est exclu avant même la mi-temps pour un coup direct. Non content de laisser ses coéquipiers se ramasser une tatouille (1-7), Bancé accompagne les sifflets de ses supporters d’un doigt d’honneur tout propre qui lui vaudra cinq rencontres de suspension. Quand Pedrag vous dit que ce mec est fou…

 » J’entendais des détonations et des balles siffler  »

Pour tenter de comprendre le côté bipolaire de Bancé, ce philanthrope caractériel, il faut notamment remonter dans sa jeunesse où l’on comprend très vite que le gaillard n’a pas eu un début de vie idéal pour se lancer sur le chemin le plus stable de l’existence. Septième d’une famille de neuf, Bancé a rapidement quitté le Burkina-Faso à destination de la Côte-d’Ivoire. C’est dans son quartier d’adoption, Williamsville, qu’il a côtoyé Boubacar Barry Copa. Si celui-ci ne veut rien dévoiler sur cette époque pauvre et difficile, Aristide l’a fait lui-même il y a quelques années.

 » Régulièrement, j’entendais des détonations et des balles siffler dans le quartier où je résidais. J’ai perdu aussi quelques connaissances, tombées sous les balles. À un moment donné, je me suis dit qu’il était risqué de rester. Et je suis retourné avec mes parents à Ouagadougou.  »

Bancé possède toujours un attachement sans faille à la république du cacao, comme Giovanni Sio a pu le constater lors de leur passage commun à Augsbourg (2012-13)  » Il avait une vraie mentalité d’Ivoirien : il s’exprimait beaucoup en nouchi, le verlan ivoirien, il n’arrêtait pas de manger des plats nationaux et il aimait beaucoup la musique de notre pays : le zouglou.  » Ultra populaire dans sa deuxième patrie, Aristide Bancé continue de faire des dons pour le développement de Williamsville et n’a pas la mémoire courte. Enfant, quand il s’est retrouvé en galère, il a ainsi pu compter sur l’aide d’une vendeuse de riz. Dès qu’il a joué en Europe, il l’a recherchée, l’a retrouvée et lui a offert de l’argent en gage de reconnaissance. En clair, si la Côte-d’Ivoire l’a refroidi en le mettant à l’épreuve, elle semble aussi avoir nourri le côté bon Samaritain de Big Ari.

Timidité et insultes

« Au début de ma carrière, quand j’étais dans la dèche, Aristide voulait me payer des portes pour ma maison. C’est son côté généreux… qui peut cependant laisser place à une autre face. » Journaliste pour VTM et Het Laatste Nieuws, Hilde Van Malderen a entretenu une petite relation avec Aristide Bancé durant son époque lokerenoise. Dans un premier temps, Hilde a découvert un jeune homme effacé et fort timide.  » Il avait même quelques petites difficultés pour parler de manière fluide « , reprend-elle.  » Mais avec moi, il était très doux. Pas vraiment charmant, mais galant. Il prenait bien soin de moi dans la vie de tous les jours et pas en me couvrant d’argent ou de cadeaux. Il était aussi très reconnaissant quand je faisais la cuisine, par exemple.  »

Bancé lors de son époque lokerenoise durant laquelle il a inscrit près de 30 buts en championnat.
Bancé lors de son époque lokerenoise durant laquelle il a inscrit près de 30 buts en championnat.© BELGA

Mais un déclic semble se produire à partir du moment où le Burkinabé enchaîne les caramels en D1. Petit club familial, Lokeren vit alors uniquement pour permettre à Bancé de devenir meilleur buteur de la compétition.  » Il était beaucoup plus en confiance et ça influençait son attitude : il était moins doux avec moi, il osait dire : -Maintenant c’est comme ça !  »

Leur relation prend encore d’autres proportions quand Hilde découvre qu’il a une autre femme dans sa vie…  » À partir de là, il a changé du tout au tout : il était très fâché et a commencé à m’insulter. J’ai donc découvert ses côtés plus noirs et pas toujours respectueux.  » La journaliste croit que le changement d’attitude d’Aristide est également lié aux différents conseillers qui tournaient autour de lui à ce moment-là.  » Il a probablement été perturbé par l’influence et la pression des nombreux managers qui tournaient autour de lui en parlant de contrat et d’argent.  » Le succès comme élément déclencheur pour faire tourner la tête du grand Bancé ? L’hypothèse ne doit pas être écartée.

Bouleversante Ukraine

Été 2006, après avoir planté 15 buts en D1 belge, le Burkinabé répond aux sirènes du Metalurg Donetsk. Un passage qui va faire tout sauf stabiliser le joueur et l’homme. Sportivement, le bilan comptable ukrainien est catastrophique avec un total de deux buts en douze matchs. Et puis à côté…  » C’était vraiment dur la vie là-bas pour moi « , confiera-t-il au site Footballski.  » Déjà la langue, mais aussi les cris des spectateurs dans les tribunes. Dès que je touchais le ballon ou que je m’approchais d’eux, ils se mettaient à crier et ça, franchement, c’est très dur. Tu ne peux pas faire abstraction.  »

Hilde Van Malderen se rendra à l’une ou l’autre reprise à l’est du pays pour se rendre compte des conditions de vie difficiles de son compagnon d’alors, qui vit dans des bâtiments qui semblent  » abandonnés depuis les années 60 « , le tout dans un esprit  » très communiste avec des trous sur les trottoirs, des gens qui lui hurlent dessus dans la rue…  » Assez isolé, Bancé devient un autre homme, plus stressé. Il tente alors de se concentrer à 100 % sur sa carrière et se refuse toute sortie en fin de journée.  » Il ne quittait donc jamais le centre d’entraînement, il dormait là-bas dans l’espoir d’améliorer ses prestations sportives. Mais du coup, c’était très difficile de lui parler…  »

Bancé se referme et, après quelques mois, finit par désespérer de réussir en Ukraine. Il repart donc à la recherche de confiance et transite en quelques semaines par le GBA puis les Kickers Offenbach. Jusqu’en 2017, il découvrira encore 11 clubs différents dont Mayence, où il va faire la rencontre de Chadli Amri.  » Je pense que c’est pour retrouver le calme de ses débuts qu’il a si souvent changé de club dans sa carrière. Quand ça ne lui convenait pas ou plus, il allait voir ailleurs. Aristide aime être visible et marquer des buts, c’est ça qu’il lui faut.  »

Besoin de confiance

Partout où il passe, Aristide a besoin d’un fixeur, une personne de confiance qui va pouvoir l’aider à s’intégrer dans son nouvel environnement. C’est le rôle que Chadli Amri va jouer du côté de Mayence.  » J’étais notamment utile au niveau de la langue, quand il avait des soucis avec les documents, qu’il me demandait de faire des démarches ou de traduire ce qu’on lui disait…  » Et une fois qu’Aristide se sent à l’aise avec une personne, c’est pour la vie. Amri en a fait l’expérience quand le Big lui a téléphoné pour prendre de ses nouvelles juste après avoir pris le taxi du beau-père du joueur algérien.

Chris Goossens, ancien médecin de l’équipe nationale du Burkina-Faso, a également pu mesurer à quel point son ancien poulain pouvait se montrer reconnaissant et fidèle.  » Quand il jouait en Afrique du Sud, il m’a un jour téléphoné et m’a dit : -J’ai une blessure, je veux te voir, j’arrive ! Tout étonné, je lui ai répondu qu’il avait un médecin sur place, mais il ne voulait rien entendre. Il a pris l’avion jusqu’à Paris, le Thalys jusqu’à Bruxelles puis le taxi jusqu’à chez moi, près d’Anvers. Il m’a vu 30 minutes – il avait une entorse – puis il est reparti. C’est ça Aristide : il lui faut de la confiance et une fois qu’il en a, il s’attache aux gens.  »

Mais une fois que son environnement est moins rassurant, la donne change presque du tout au tout. En août 2009, alors qu’il s’apprête à quitter les infrastructures du club de Mayence, il est interpellé par une femme qui tient un bébé dans ses bras. Les médias allemands ont rapporté que celle-ci aurait alors assuré à l’attaquant qu’il s’agissait de sa fille, ce qu’il aurait fort mal pris au point de s’attaquer physiquement à son interlocutrice.  » Pourtant, Aristide n’était pas trop du genre à répondre facilement aux attaques « , assure Chadli sans connaître vraiment le fin mot de l’histoire.  » Je sais juste que tout a été réglé au niveau de la justice.  »

Magouilles orientales

Avec un total de 19 clubs différents sur son CV, Aristide Bancé est loin d’être considéré comme un joueur forcément stable. Pourtant, quand il s’exile aux Emirats Arabes Unis à seulement 26 ans, il sort de deux superbes saisons avec Mayence. Rien ne laissait donc présager qu’il allait laisser tomber le haut niveau européen alors qu’il semblait être arrivé à maturité.

 » C’est un vrai Africain « , justifie Mathias Bolly, qui l’a côtoyé au Fortuna Düsseldorf en 2013-14, pour évoquer le côté pigeon voyageur de Bancé.  » Il aime bien le foot, mais il n’en est pas complètement fan : il le considère surtout comme un travail, une manière de rapporter de l’argent. Il décidait donc peut-être de s’en aller dès qu’on lui faisait de bonnes propositions.  » C’est le cas à l’été 2010 quand, fâché que sa direction ne lui ait proposé qu’une augmentation de salaire de 5.000 euros par mois, il délaisse Mayence et signe pour quatre ans à Al-Ahlib Club… qu’il quitte quelques mois plus tard à destination d’Umm-Salal SC, au Qatar. Les raisons ? D’abord la sécurité – à Dubaï, sa maison a été cambriolée et sa voiture volée – et puis quelques magouilles.  » Pour mon agent c’était un bon business de faire venir un nouveau joueur tous les ans à Al-Ahlib. Du coup, je suis parti au Qatar pour libérer une place et ainsi permettre à mon agent de signer un nouveau joueur au club d’Al-Ahlib.  »

Ces deux expériences orientales constituent deux des plus gros fails de sa carrière. Mais des saisons à moins de 15 matchs, Aristide en a connu d’autres en Finlande, au Kazakhstan ou encore en Lettonie. Des castings loupés à cause de son entourage ? D’après Hilde Van Malderen, ça ne fait aucun doute.  » Je pense qu’il aurait toujours eu besoin de quelqu’un qui joue un rôle de père, quelqu’un qui le connaît et sait le guider, comme Willy Verhoost le faisait à Lokeren. Quand il est devenu une star, il a pensé pouvoir tout contrôler seul, mais selon moi, il n’y est pas parvenu.  »

PAR ÉMILIEN HOFMAN

Plus populaire que le pape

Aujourd'hui, Bancé est de retour à Abidjan, la ville où il a grandi, et évolue à l'ASEC Mimosas.
Aujourd’hui, Bancé est de retour à Abidjan, la ville où il a grandi, et évolue à l’ASEC Mimosas.© AFP

Les choix de carrière et les quelques coups de sang d’Aristide Bancé – comme son refus de participer à la CAN 2010 et ses accusations non prouvées d’insultes racistes en 2009 – n’ont pourtant jamais affaibli sa popularité tant auprès du peuple ivoirien que burkinabé. « Le Burkina-Faso avait Pitroipa, un gars qui aurait pu jouer au Real », débute ainsi Chris Goossens. « Mais la population a toujours préféré Aristide : un grand aux cheveux blonds qui n’était pas beau à voir jouer mais qui se manifestait avec tout son corps quand il était sur le terrain. Quand il shootait, il pouvait casser des côtes ! » Bien entendu, tous ses dons, financements d’écoles, visites et matchs de gala dans son quartier et ce soutien à deux stars burkinabées accidentées ne sont pas étrangers à sa très bonne réputation. « C’est un vrai grand frère », certifie Giovanni Sio. « Moi personnellement, il m’a beaucoup aidé pendant mes moments difficiles : il rassure, il conseille. Et il a vraiment cru en moi, ce qui m’a donné de grosses possibilités pour la suite. »

Évidemment, quand on est « capable de faire descendre plus de gens dans la rue que le pape », dixit Chris Goossens, les entourloupes ne sont jamais loin. Entre cette starlette ivoirienne de la chanson qui affirme sans preuve qu’il l’a frappée et ces dizaines de personnes qui ont débarqué dans les hôtels où il séjournait pour lui soutirer de l’argent, Aristide n’a pas toujours su où donner de la tête pour éviter les affaires. Mais il semble s’être rangé depuis ce jour d’automne 2016, quand il a décidé de rejoindre l’ASEC Mimosas, club situé à 7 kilomètres de son quartier de Williamsville. Depuis, plus de débordements à souligner, mais bien un nouveau cadeau fait à l’Eglise catholique Saint-Kizito : sa prime de meilleur joueur du mois de novembre. Le tout avec des cheveux toujours aussi jaunes. Un hommage à Djibril Cissé qui explique peut-être beaucoup de choses…

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