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Diables Rouges : un business d’enfer

Ils sont trentièmes au classement de la FIFA, mais troisièmes sur le marché financier des transferts. Plus « bankables » que jamais, les « nouveaux » Diables Rouges sont au coeur d’une vaste campagne marketing avec le Brésil en point de mire. Enquête sur une vraie marque qui séduit à nouveau les sponsors.

Il n’aura même pas fallu attendre 24 heures pour que les supporters relèvent le troisième défi imposé par les Diables. Un défi posté le 1er octobre dernier sur la page Facebook des Belgian Red Devils – en anglais fédérateur dans le texte – et qui invitait les fans à créer, pour le 16 octobre, « 1.000 mini-Stades Roi Baudoin à domicile ou dans les cafés » afin de fêter dignement le match de la Belgique contre l’Ecosse de ce mardi (remporté par notre équipe nationale sur le score de 2 à 0).

Un défi qui en suit deux autres imaginés par l’agence de pub Boondoggle (élue meilleure agence belge de l’année 2009) pour le compte de l’Union Belge de Football. Au début du mois d’août, les Diables demandaient en effet à leurs supporters de repeindre littéralement la Belgique en rouge pour le match amical contre les Pays-Bas et, un mois plus tard, le deuxième défi priait les Belges de faire un maximum de bruit – objectif : 500.000 décibels – via une ligne téléphonique « rouge » et la page Facebook des Belgian Red Devils, histoire d’impressionner les futurs adversaires gallois.

Ambitieux, ces trois défis ont été joliment relevés, démontrant la passion qui s’installe de plus en plus autour des « nouveaux » Diables Rouges. Un réel engouement qui est non seulement palpable sur la page Facebook de l’équipe – 40.000 fans enregistrés en deux mois – mais aussi en télé puisque le match des Belges contre la Croatie le 11 septembre dernier a réuni près de 1,8 million de supporters devant leur écran (750.000 téléspectateurs sur Club RTL et plus de 1 million sur la chaîne publique Canvas). Vendredi, sur La Une, 686.300 téléspectateurs ont suivi la victoire en Serbie tandis que, mardi, 680.800 téléspectateurs se sont branchés sur Club RTL pour suivre le match contre l’Ecosse et 1,2 million sur Sporza (VRT), avec un pic à 1,4 million en fin de rencontre. C’est donc, en tout, pas moins de 1,9 million de téléspectateurs qui ont suivi les exploits des Diables cette semaine.

La plus grande armée du monde
L’enjeu, il est vrai, mobilise les foules. Car ce n’est rien d’autre que la qualification pour la prochaine Coupe du Monde au Brésil en 2014 qui est ici en jeu. Et pour une fois depuis de (trop) longues années, la Belgique a toutes ses chances de pouvoir y participer. Sur le papier du moins, étant donné la réelle valeur sportive et financière des individualités reprises dans l’équipe nationale. Nul doute d’ailleurs que le buzz créé autour des derniers transferts de joueurs belges à l’étranger et l’enthousiasme actuel pour les footballeurs « noir-jaune-rouge » dans le championnat anglais lient également la sauce de la passion retrouvée pour les Diables.

==> DIAPORAMA: Découvrez en images la valeur des Diables Rouges sur le marché des transferts.
Des Diables qui eux-mêmes mouillent leurs maillots pour « leurs » supporters, comme cela est clairement exposé dans la nouvelle campagne marketing menée par l’agence Boondoggle et qui précise que le but ultime est « de constituer la plus grande et la plus fervente armée de supporters qui ait jamais existé ». Pour chaque défi des Diables, l’un ou l’autre joueur de l’équipe s’adresse ainsi directement, face caméra, aux supporters, promettant même une « contrepartie » amusante si le pari est relevé par les fans, comme par exemple peindre réellement trois Diables en rouge ou jouer au foot dans un déguisement de sumo gonflable, le tout étant bien entendu filmé et diffusé sur YouTube.

« Sur ce point, on peut dire qu’il s’agit d’une campagne typiquement belge, pleine de surréalisme et d’autodérision, car je ne pense pas que de tels défis seraient envisageables avec des joueurs de l’équipe nationale française ou italienne, commente Stef Selfsdagh, creative director chez Boondoggle. Mais le but recherché est surtout de nouer un pacte entre les Diables et leurs supporters, et même idéalement de créer une véritable communion pour que tous les Belges représentent finalement ce fameux 12e homme qui participe activement à la qualification pour la Brésil. En cela, je pense qu’il s’agit d’une campagne qui est assez unique dans le monde du football. »

Des sponsors aux aguets
Jouant résolument la carte de la complicité, « Les défis des Diables » surfent donc sur ce nouvel engouement qui a véritablement explosé lorsque 8.000 supporters belges ont fait l’effort de traverser la Manche en juin dernier pour assister au match amical Angleterre-Belgique à Wembley. Depuis, l’enthousiasme n’a cessé de gagner le grand public, mais aussi les entreprises qui se battent aujourd’hui pour rejoindre la très convoitée liste des sponsors privilégiés qui entourent les Diables Rouges. Mais contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la liste des partenaires est clôturée et surtout non extensible.

« Aujourd’hui, on affiche complet en termes de sponsoring, sourit Benjamin Goeders, commercial & sponsorship manager à l’Union belge de Football. Il y a actuellement 10 gros sponsors qui nous soutiennent et nous n’en acceptons pas davantage par respect pour ceux qui sont déjà présents. Car plus il y a de partenaires, moins il y a de visibilité pour eux. Il est donc logique que l’on prenne soin de nos sponsors actuels, d’autant plus que ces partenariats se construisent sur le long terme. »

Parmi les 10 partenaires privilégiés des Diables Rouges qui ont chacun une exclusivité sectorielle figurent, par ordre alphabétique, Belgacom, BMW, Burrda Sport, Coca-Cola, ERGO, ING, Jupiler, GLS, PWC et Verelst. Chaque société signe pour une durée renouvelable de quatre ans et débourse un montant minimum de 350.000 euros par an qui peut gonfler en fonction du package d’activation choisi pour le partenariat. Dans la liste, certains gros sponsors n’hésitent donc pas à payer 500.000 euros pour maximiser leur présence annuelle aux côtés de l’équipe nationale.

En plus de ces tout gros sponsors et d’un partenaire institutionnel qui est la Loterie Nationale, les Diables peuvent aussi compter sur une dizaine de partenaires commerciaux et cinq fournisseurs officiels qui versent respectivement 75.000 euros et 25.000 euros pour associer leur image à l’équipe, d’une manière beaucoup plus discrète cette fois. Au total, ce ne sont pas moins de cinq millions d’euros qui rentrent ainsi dans les caisses de l’Union Belge de Football grâce à ces différents sponsors, auxquels il convient d’ajouter une somme appréciable d’environ 4 millions d’euros pour les droits télé accordés à RTL et à Sporza, le label des émissions sportives de la VRT. In fine, cette enveloppe d’un bon 9 millions d’euros représente quasi 25 % du budget total de l’Union Belge qui était, selon les chiffres de la Banque nationale de Belgique, de 35 millions d’euros pour l’exercice 2010-2011 (lire aussi l’encadré ci-dessous: « A quoi sert l’argent des sponsors ? »)

Une marque qui fait vendre
Avec le réel potentiel des nouveaux Diables, l’Union Belge de Football est désormais sur du velours pour ses partenariats. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, si l’on en croit le responsable du sponsoring de la Fédération en place depuis cinq ans : « J’ai connu une époque, pas très lointaine, où moins de 10 supporters belges accompagnaient les Diables pour un match en Arménie, se souvient Benjamin Goeders. Et il y a deux ans à peine, certains patrons de sociétés me riaient encore au nez lorsque je les sollicitais pour un partenariat. C’était une époque difficile et nous devions beaucoup réfléchir à la meilleure manière de faire nous-mêmes la promotion des Diables. Aujourd’hui, ce n’est même plus nécessaire ! Avec la succession des transferts de joueurs belges vers l’étranger, ce sont les journalistes qui font désormais la promo. Nous sommes dans une spirale positive et la « starisation » de nos joueurs est aujourd’hui un argument de vente auprès des sponsors. Les Diables Rouges sont devenus une marque qui attire, une marque qui vend. »

Une marque. Le mot est lancé. Pour Claude Boffa, maître de conférences en marketing à la Solvay Brussels School, les Diables Rouges sont bel et bien une marque « si l’on considère qu’une marque sert traditionnellement à identifier le produit – ici l’équipe nationale de football – en se différenciant des autres et en créant de la valeur ajoutée ». Mais au-delà de ce constat presque évident, le professeur d’université voit plutôt une stratégie latente dans le marketing relifté des Diables : « Ces dernières années, l’Union Belge de Football a accumulé les casseroles avec les changements d’entraîneur et aussi plusieurs dossiers comme celui de la Division 2, précise Claude Boffa. Or, une des bonnes manières d’éviter le buzz négatif, c’est de l’oblitérer par un buzz positif. Donc, plutôt que de dépenser de l’argent dans une campagne qui consisterait à dire « On fait bien notre boulot à l’Union Belge ! », il est plus efficace d’attirer l’attention sur certains points forts et donc sur la marque Diables Rouges qui véhicule des valeurs de combattivité, de belgitude et d’esprit d’équipe. Si c’est la stratégie mise en place par l’Union Belge, alors c’est plutôt bien joué ».

Nous aurions évidemment aimé soumettre cette analyse du professeur Claude Boffa à l’Union Belge de Football, mais Bob Madou, son directeur de la communication (sic), a tout simplement refusé de répondre aux questions de Trends-Tendances, préférant se concentrer sur « l’aspect strictement sportif » des deux prochains matchs des Diables…

Belgacom, BMW, même combat ?

Perçue dorénavant comme une marque qui prend de la valeur aux yeux des entreprises, les Diables Rouges enthousiasment en priorité les sponsors qui l’entourent. Fidèle parmi les fidèles, Belgacom apporte ainsi son soutien à l’équipe nationale depuis 20 ans déjà et vient de reconduire son partenariat jusqu’en 2016. Si l’expérience s’est jusqu’ici caractérisée par « de bons et de moins bons moments », elle n’en reste pas moins profitable pour l’opérateur télécom. « Ce partenariat est précieux pour nous parce que les Diables Rouges touchent beaucoup de monde : les Flamands, les francophones, les jeunes, les vieux, les ouvriers, les cadres, les hommes et même les femmes, tranche Muriel Oostens, responsable du sponsoring sportif chez Belgacom. C’est une marque fédératrice et surtout une valeur sûre quand on mesure la participation dans nos actions. »

S’il n’est pas dans les habitudes de l’entreprise de communiquer sur le montant exact du sponsoring en question, elle reconnaît toutefois que le retour sur investissement est d’ores et déjà garanti cette année en termes de visibilité, étant donné la ferveur retrouvée pour les matchs des Diables. Un bénéfice qui sera évidemment multiplié si d’aventure les Belges se qualifient pour la Coupe du Monde au Brésil.

Pour BMW, le sponsoring des Diables Rouges est, en revanche, beaucoup plus récent. Signé l’année dernière, le partenariat est devenu effectif le 1er juillet dernier et s’étire sur une période de quatre ans. Un partenariat qui est d’ailleurs inédit pour le constructeur automobile puisque, nulle part dans le monde, il ne s’était associé jusqu’ici à une équipe de football, préférant sponsoriser logiquement des sports moteur, mais aussi des compétitions plus « haut de gamme » comme la voile, le golf ou le hockey. On peut dès lors s’étonner que la marque de prestige « s’abaisse » à s’immiscer dans un sport étiqueté « populaire ». Mais chez BMW, tout est évidemment mûrement réfléchi : « Ce partenariat avec les Diables Rouges fait partie d’une stratégie assez logique qui va dans le sens de l’élargissement de notre gamme et donc de nos clients, précise Christophe Weerts, porte-parole du constructeur automobile. En une dizaine d’années, notre gamme a évolué, passant de trois ou quatre produits à 10 produits aujourd’hui. Et comme cette gamme se développe vers des voitures plus urbaines et plus familiales, nous avons la volonté de toucher plus de monde et donc d’aller vers un public que l’on ne connaît pas encore. En Belgique, le sport médiatisé qui réunit l’ensemble du public belge est le football. Et comme les Diables Rouges ont une image améliorée, populaire certes, mais de bon goût, qui épouse certaines valeurs de notre marque comme le défi et le dynamisme, nous sommes entrés en contact avec l’Union Belge. »

Une frénésie footballistique Une affaire qui marche, les Diables ? Certainement. Plus de 8.000 abonnements pour les matchs de qualification au Stade Roi Baudouin ont été vendus et le solde des places pour le prochain match contre l’Ecosse est sold-out depuis belle lurette. Sans parler des maillots officiels de l’équipe nationale qui sont aujourd’hui en rupture de stock.

Orchestrée par l’agence Boondoggle, l’actuelle campagne de marketing menée autour des Diables participe à cette frénésie footballistique. Une campagne qui joue sur la symbiose parfaite entre la marque et ses fans et qui tire parti du dialogue qui peut s’établir sur Facebook entre joueurs et supporters. « C’est la première fois que l’on utilise, pour l’équipe nationale, cette espèce de communication à deux sens sur les réseaux sociaux et qui renforce le sentiment d’adhésion, constate le professeur de marketing Claude Boffa. Bien sûr, dans un passé lointain, le contact existait vraiment entre joueurs et supporters en dehors du terrain, mais au fil du temps, ce contact s’est effacé avec l’explosion des salaires et la starisation des Diables. Aujourd’hui, avec Facebook, on retisse ce lien social et on restaure véritablement ce sentiment d’appartenance à une équipe qui promeut la Belgique unitaire. »

Car la politique, évidemment, s’en mêle discrètement. Etonnant hasard du calendrier : si le gouvernement ne tombe pas d’ici là, les prochaines élections fédérales belges devraient, en théorie, être organisées exactement pendant la prochaine Coupe du Monde qui se déroulera au Brésil du 12 juin au 13 juillet 2014. Que se passera-t-il, dès lors, si les Diables Rouges sont qualifiés pour cette compétition de prestige, boostant encore davantage le sentiment de fierté nationale ? Si certains comme Benjamin Goeders, de l’Union Belge de Football pense sincèrement que « les électeurs réfléchiront à deux fois dans l’isoloir » face à la tentation séparatiste de certains partis, d’autres en revanche ne croient pas du tout à « l’effet Diables Rouges » sur le contexte politique belge, comme Jean-Michel De Waele, doyen de la Faculté des Sciences sociales et politiques de l’ULB. « Je ne pense pas que cela puisse influencer un vote aux élections, tranche le professeur d’université, également auteur du livre Football et identités. Et ce n’est pas une victoire des Diable Rouges au Brésil qui va sauver la Belgique, ni changer l’avis des patrons du Voka sur Di Rupo. Il ne faut pas surinvestir dans le succès de l’équipe nationale. En France, la victoire des Bleus en 1998, qui était une équipe très métissée, n’a pas empêché l’arrivée de Le Pen au second tour des présidentielles qui ont suivi. Même constat pour l’Espagne : sa récente victoire à l’Euro 2012 a mis du baume au coeur des Espagnols, mais cela ne les a certainement pas empêché de manifester contre le pouvoir en place. Il faut donc relativiser nettement l’impact politique des Diables Rouges, d’autant plus que de mauvais résultats peuvent rapidement inverser la tendance euphorique. »

En revanche, le business, lui, continue de tourner. Car la marque est forte ; la fascination pour les stars, intacte ; et la campagne de pub, rondement menée. Et puis les Diables sont surtout devenus « bankables ». N’est-ce pas Messieurs les sponsors ?

Frédéric Brébant

A quoi sert l’argent des sponsors ?

Tout ce qui rentre dans les caisses de l’Union Belge de Football est censé être réinvesti dans l’intérêt du football. Car la Fédération est une ASBL qui, en théorie, ne peut pas thésauriser. L’argent que rapportent les Diables Rouges en termes de sponsoring et les droits télé – soit une belle enveloppe de 9 millions d’euros cette année – rejaillit donc, d’une façon ou d’une autre sur les 450.000 affiliés, les 2.200 clubs et les 150 employés que compte l’Union Belge de Football. « Plus le succès des Diables est grand, plus le foot se développe en Belgique, résume Benjamin Goeders, commercial & sponsorship manager à l’Union Belge de Football. Il n’y a donc aucun scrupule à avoir lorsque l’on fait du marketing éthique autour des Diables Rouges. Car c’est tout bénef’ pour le foot ! »

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