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Chypre – Belgique : crochets du gauche

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges à Nicosie.

C’est la fin d’une trop longue nuit de sommeil. La Belgique ne semblait pourtant plus vouloir quitter sa chambre, comme si elle préférait croire à jamais que la défaite face aux Gallois n’était qu’un affreux cauchemar. Pour son retour au pays, elle avait été endormie par l’intouchable possession espagnole. Finalement, c’est à Nicosie que la Belgique de Roberto Martinez est apparue. Et elle s’est levée du pied gauche.

Le flanc gauche, pointé du doigt face à l’Espagne, était l’ingrédient central du petit déjeuner préparé par le nouveau sélectionneur, entre un bol de défense à trois, une tasse de Marouane Fellaini et des morceaux de Romelu Lukaku. Il a seulement fallu attendre la troisième minute pour comprendre la ligne directrice du plan des Diables. Roberto Martinez voulait « être moins prévisible dans la façon de chercher à joindre Eden Hazard. » Sa surprise se cachait dans un 3-4-2-1 à la Hein Vanhaezebrouck. Yannick Carrasco doit jouer les équilibristes, les pieds sur la craie et sur la ligne du hors-jeu, tandis qu’Hazard rentre dans les demi-espaces (entre le flanc et le couloir central) pour se rapprocher d’un De Bruyne qui n’aura jamais vraiment occupé le côté droit. Le trio devient rapidement un triangle, mais le premier centre de KDB ne trouve personne.

Le Citizen dirige, avec Lukaku, les moments de pressing jusque dans les pieds du gardien chypriote. Hazard tire la langue pour empêcher le 6 adverse de faire respirer les siens, et la qualité catastrophique du terrain fait le reste. Panagi est contraint d’envoyer de longs ballons qui atterrissent souvent sur la tête de Fellaini, chasseur de deuxièmes ballons qui complète le plan belge.

Les hôtes ne sont pas en reste, et confirment leur profil d’équipe joueuse en malmenant les pieds des défenseurs belges. La relance fragile de Courtois est contrariée, mais la qualité technique d’une sortie de balle sous pression orchestrée par Vermaelen, Witsel et Meunier décourage rapidement les velléités chypriotes.

CARRASCO TÊTE BAISSÉE

Le ballon finit toujours par revenir à gauche. Parce que Carrasco le veut tout le temps, et que sa position excentrée le rend systématiquement disponible. Le Colchonero est frustrant, parce qu’il prend la balle avec les certitudes d’un homme qui se sent capable de tutoyer les sauts de Serguei Bubka sans avoir besoin de perche. Le déchet est aussi inévitable que les fautes adverses. Les Chypriotes en ont déjà plein les pieds quand, à la douzième minute, ils accrochent Yannick parti tête baissée dans un run entre deux défenseurs. Le coup franc qui suit est sorti de la confusion par un tir de Meunier, un passage par la transversale et une tête opportuniste de Romelu Lukaku. Les Diables sont devant.

Carrasco poursuit sa corrida, systématiquement relancé dans l’arène par Vertonghen et Alderweireld. Les Spurs se rappellent de leurs années ajacides et leurs bons pieds permettent de joindre rapidement Yannick, mais surtout Hazard et De Bruyne dans le camp adverse. Fellaini et Witsel se contentent de donner de fausses pistes pour permettre à leurs défenseurs de gagner quelques mètres balle au pied pour initier le décalage. Le reste du système est si offensif que Martinez peut se permettre de cantonner ses milieux de terrain à la récupération, évitant la lenteur de leurs enchaînements pour ne pas alourdir la possession belge.

La deuxième partie de la première période se déplace vers la droite du jeu belge, et les Diables perdent leur faculté à créer des un-contre-un dangereux. De Bruyne et Hazard finissent par trop reculer pour retrouver le ballon, et l’occasion la plus franche sera même à l’actif de Chypre, quand un coup franc inutilement concédé par Fellaini force Courtois à chauffer les gants au rebond.

LES PIEDS D’EDEN, LES YEUX DE KEVIN

Le match reprend, avec toujours autant de Carrasco mais surtout beaucoup plus d’Hazard. Eden et Yannick conduisent vers l’intérieur du jeu à tour de rôle pour faire tanguer le navire chypriote, mais Lukaku est trop seul dans le rectangle pour noyer la défense locale.

Hazard revient dans le demi-espace, entre les lignes, pour recevoir un ballon bien sorti par sa défense à l’heure de jeu. Le capitaine s’appuie sur De Bruyne, qui fait parler son sens du jeu à haute intensité pour déposer le ballon dans la course de Carrasco. Le tir est repoussé, mais Lukaku traine au rebond dans un rectangle surpeuplé de Belges pour s’offrir un doublé. Et faire taire ses détracteurs ? On vous a sûrement déjà dit que ce n’était « que » Chypre, et qu’il n’avait « plus qu’à » les mettre au fond.

Les lignes s’étirent en même temps que le marquoir, et Hazard en profite pour aller coller la ligne de touche à son tour. Eden libère ainsi l’intérieur du jeu pour les chevauchées fantastiques de Carrasco, et écrit une partition « à la Messi » en adressant quelques diagonales diaboliques dans la course de Rom’, de KDB ou de Meunier, dans le dos de l’arrière central gauche chypriote.

De Bruyne, sans attirer autant la lumière que dans les attaques à « peu contre peu » des meilleures heures de l’ère Wilmots, garde un pied dans toutes les occasions des Diables. Là où il avait disparu contre l’Espagne, il signe cinq key-passes (sans compter les phases arrêtées) et trouve des angles que la plupart des Chypriotes ne parviennent même pas à imaginer.

LE DRIBBLE UTILE

« Quand je vois un défenseur central qui dribble, je deviens fou », disait Marc Wilmots quelques semaines avant l’EURO. Jan Vertonghen a sans doute oublié les consignes de son ancien sélectionneur quand, servi par Courtois à son poteau de corner, il a dû effacer son vis-à-vis pour annihiler un dernier pressing chypriote. La suite, c’est encore le flanc gauche – à la base des trois buts – qui la raconte : décrochage de Carrasco, profondeur offerte à Eden Hazard, centre en retrait. De Bruyne tire, le gardien repousse, Hazard lève la tête et Carrasco marque. Un deuxième ballon, encore. Le genre de but qu’on ne marque qu’avec de la présence dans le rectangle.

C’est encore en partant du flanc gauche qu’Hazard provoque un penalty. Alderweireld, à une hauteur vertigineuse dans le camp adverse, fait parler sa diagonale amstellodamoise pour trouver Eden, qui profite de la présence axiale de Carrasco pour échapper à la vigilance locale. Rarement les dribbleurs nationaux se seront retrouvés aussi souvent en situation favorable.

Le loupé d’un Michy précipité (pris deux fois au piège du hors-jeu) ne gâche même pas la soirée. Parce que malgré une possession encore modeste (55%, 398 passes), les Diables sont parvenus à désarçonner la garde d’un adversaire qui ne se cachait certes pas derrière ses poings. Et dans cette situation-là, chaque crochet de notre flanc gauche fait aussi mal qu’un uppercut.

Par Guillaume Gautier

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