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LE ROI D’AOÛT

Avec un douze sur douze que personne n’aurait prédit lors de la parution du calendrier, Charleroi trône avec Bruges en tête du championnat. Détour dans les coulisses d’un été parfaitement négocié.

Le football est rempli de superstitieux. Charleroi n’échappe pas à la règle, entre un Mehdi Bayat qui a mis longtemps à quitter son rituel de passage chez le coiffeur avant chaque match, ou un Felice Mazzù qui maintient les entraînements de fin de semaine à huis-clos en argumentant que le dénouement heureux d’un vendredi à l’abri des regards l’incite à ne pas changer une formule qui fonctionne. Dans le Pays Noir, on murmure désormais une autre loi tacite du football carolo : les play-offs 1 vont se chercher au mois d’août.

 » L’année passée, c’est en début de saison qu’on a décroché notre place dans le top 6 « , entend-on au sein du club. Avec un 10 sur 15 dans les bagages, le Sporting avait effectivement atteint la première trêve internationale de la saison avec la première place du championnat. Si les cimes du classement au bout des vacances d’été dépendent encore du verdict de la cinquième journée, le départ comptable sera d’ores et déjà meilleur que la saison dernière.

Avec un douze sur douze, le Sporting a carrément marqué son histoire. Felice Mazzù a utilisé cette dimension historique d’un sans-faute après quatre journées pour motiver ses joueurs, avant de monter sur la pelouse de la Luminus Arena.  » Le coach nous a dit que ça faisait quarante ans que ça n’était plus arrivé « , explique ainsi Amara Baby au bout des nonante minutes dans le Limbourg.

L’histoire rappelle aussi que les affirmations carolos sur l’importance du mois d’août ne sont pas qu’une question de superstition. Si on enlève les points engrangés lors des cinq premières rencontres du classement de la phase classique 2016-2017, Charleroi ne pointe qu’à la septième place, à égalité avec Genk mais deux points derrière Malines, que les Zèbres ont finalement devancé dans la course aux play-offs 1. Le Sporting démarre son marathon avec la réactivité d’un sprinter sorti des starting-blocks.

UN MERCATO VITE FAIT, BIEN FAIT

À Genk, Charleroi a démarré la rencontre avec ses quatre recrues estivales sur le terrain.  » Ils sont parfaitement intégrés « , s’exclame Mehdi Bayat.  » Quand je vois leur débauche d’énergie, ils ont compris ce qu’est Charleroi.  » Les fameuses valeurs, martelées à chaque conférence de presse par Felice Mazzù, ont été digérées rapidement par Nurio Fortuna, Marco Ilaimaharitra, Dodi Lukebakio et même Kaveh Rezaei, qui passe au-delà de la barrière de la langue (il ne parle que quelques mots d’anglais) pour s’imprégner de l’état d’esprit du football carolo.

Cette intégration rapide, c’est notamment le fruit d’un mercato bouclé rapidement. En faisant le bilan du stage à Mierlo, Mehdi Bayat se félicitait d’avoir conclu ses transferts entrants dès le 9 juillet, date de l’arrivée d’Ilaimaharitra, soit seulement huit jours après l’ouverture officielle du marché. Dès la reprise des entraînements, Felice Mazzù soulignait d’ailleurs cet avantage sur la concurrence :

 » J’ai 18 joueurs de champ et trois gardiens à ma disposition, je pense que d’autres clubs ne peuvent pas en dire autant.  » Un aspect surligné par Mehdi, qui rappelle que le sang frais du mercato a été injecté dans un groupe quasiment inchangé :  » Nous avons cette stabilité dans le vestiaire qui nous permet d’être en avance par rapport à d’autres équipes qui devront se préparer un peu plus, le temps que les automatismes se mettent en place.  »

Un coup d’oeil au classement valide le raisonnement carolo : Gand et ses multiples transferts pointent déjà à dix points, pour ne citer qu’un exemple.  » À quelques détails près, nous restons la même équipe « , résume Javier Martos.  » Il y a peut-être un peu plus de talent.  »

 » J’ai la chance d’avoir un groupe qui se connaît, il n’y a pas énormément de choses à travailler « , reprend Mazzù, qui peut ainsi se concentrer pendant la préparation sur l’intégration tactique de ses nouveaux éléments à l’équipe. On le voit ainsi beaucoup parler avec Dodi Lukebakio, surtout au niveau de son replacement défensif, ainsi qu’à Nurio, dont le nom résonne souvent depuis le banc dans les travées des stades où se déroule la préparation carolo.

LA MÉTHODE SIMONIN

Si les noms des nouvelles recrues font le bonheur des journaux, un homme bien plus discret est l’une des clés de ce début de saison réussi. Philippe Simonin n’aime pas les projecteurs. Pourtant, le préparateur physique des Zèbres réalise un travail impressionnant depuis son retour au bercail, en début de saison dernière. Ardemment désiré par Mazzù, Simonin était l’un des artisans du fameux  » Felice Time « , qui a offert tant de points aux Carolos en fin de match la saison dernière, car de tels succès s’arrachent au mental, mais sont inimaginables sans une condition physique optimale. Les joueurs sont d’ailleurs unanimes, à l’heure de souligner leur excellent état de forme depuis le retour de Simonin.  » Le préparateur physique ne nous ménage pas, mais ça nous servira pour la saison « , souligne notamment Chris Bédia, sur les rotules au bout d’une séance harassante de la fin du mois de juillet.

Cet été, Charleroi a adapté son programme de pré-saison afin de donner les meilleurs outils possibles à son préparateur physique. Contrairement aux années précédentes, très peu de matches étaient prévus en début de préparation. La première semaine ne comportait que des entraînements, jalonnés de tours de terrain, de séances musculaires et musclées et de tests VMA, dominés par l’impressionnant Gaetan Hendrickx, toujours talonné par Amara Baby. Par la suite, le stage aux Pays-Bas n’a vu apparaître les matches qu’en fin de séjour.

 » Nous avons fait ce choix pour travailler le fond, et pour que Philippe Simonin puisse redonner de la puissance aux joueurs et qu’ils puissent acquérir au mieux cette base physique « , souligne Mazzù. Dès les premiers entraînements, Simonin se réjouit de voir que les joueurs ont suivi leur programme estival à la lettre. Il doit même tempérer les ardeurs de Dorian Dessoleil, qui s’inflige plusieurs séances de musculation supplémentaires par semaine afin de développer sa présence physique dans les duels.

Le résultat est frappant. Dès la première rencontre, face à Courtrai, Hendrickx dépasse la barre des treize kilomètres parcourus, et règne sur la D1A dans cette catégorie particulière. Le mois d’août s’enclenche ensuite autour des sprints incessants de Nurio, capable d’aller d’un point de corner à l’autre à toute allure, jusqu’à la nonantième minute, et des runs inarrêtables d’Amara Baby, lancé comme un train que les adversaires tentent désespérément de prendre en marche. Le Sporting est épuisant. Dessoleil l’explique à sa manière :  » Anderlecht, on les a étouffés dans le jeu.  »

UN BLOC PLUS HAUT

C’est sans doute là que Charleroi a changé. La saison dernière, Jordi Condom décrivait les Zèbres comme une équipe contre qui  » plus les minutes passent, et plus tu prends des risques pour leur mettre un but. Et eux, ils profitent de tes risques tout en continuant à bien défendre.  » Si Charleroi a conservé sa solidité défensive, Mazzù a décidé de jouer plus haut, pour rendre moins longues les courses de ses éléments offensifs une fois le ballon récupéré :  » On a évolué en préparation, on a réussi à mettre le bloc un peu plus haut sur le terrain, ce qui permet à nos attaquants d’avoir plus d’occasions.  »

David Pollet utilise aussi cet argument pour expliquer son début de saison réussi, qui trouve écho dans les chiffres offensifs zébrés. Lors des play-offs 1, Charleroi était le mauvais élève du top 6 dans le camp adverse : le Sporting ne tirait au but que 8,3 fois par match, et généralement dans des situations compliquées, qui expliquent en partie que seul un tir sur huit terminait sa course au fond des filets. Depuis le début de saison, par contre, les chiffres racontent l’histoire d’une équipe bien plus entreprenante : les Zèbres tirent 10,5 fois par rencontre, et marquent surtout plus souvent, avec un but toutes les 4,7 tentatives.

 » Le coach veut un pressing assez permanent. Quand tu récupères le ballon plus haut, c’est beaucoup plus facile pour tout le monde « , décrit Pollet, rejoint dans son analyse par Nicolas Penneteau, toujours lucide à l’heure d’évoquer le football de ses couleurs :  » Notre 4-4-2 demande beaucoup d’efforts, mais on est bien physiquement, et ça nous permet de faire flancher l’adversaire. Le système nous permet d’apporter beaucoup de percussion, et de gêner notre opposant dans ses sorties de balle.  »

Sur la pelouse de Genk, on a souvent vu Cristophe Diandy ou Ilaimaharitra s’installer sur les talons de Sander Berge lorsque le Racing avait le ballon, une semaine après avoir vu la même scène se dérouler dans le dos de Leander Dendoncker. Charleroi veut récupérer le ballon plus haut, et Felice Mazzù s’est même offert le luxe d’installer le très offensif Cristian Benavente dans son duo de milieux de terrain pour la réception de Courtrai, en ouverture du championnat. Comme une preuve de velléités plus ambitieuses que la saison dernière, principalement construite autour d’une défense renforcée.

LE DÉCLIC MAUVE

Si le coach des Zèbres continue à insister sur les valeurs collectives qui animent son Charleroi depuis plusieurs saisons, la palette offensive du Sporting a évolué en même temps que le onze de base. Installé sur le flanc droit, Dodi Lukebakio affiche une qualité de conservation du ballon qui permet aux Zèbres de respirer balle au pied dans le camp adverse. Son jeu très axial ouvre le couloir aux déboulés de Stergos Marinos, à la base de l’un des deux penalties convertis par Pollet depuis le début de saison. L’autre, obtenu au Canonnier, a été décroché par Nurio, arrière latéral présent dans la surface adverse à la réception d’un centre venu de la droite, comme un autre signe d’un football plus débridé.

Les certitudes d’un groupe déjà bien établi, dont l’aisance aux entraînements a impressionné plusieurs des nouvelles recrues de l’été, ont été décuplées par la victoire face à Anderlecht. Dans le vestiaire, certains avaient mal digéré le titre fêté par les Mauves sur la pelouse du Mambour en fin de saison dernière. Une défaite qui faisait écho à celle de la phase classique, où les Zèbres avaient dominé la rencontre avant de céder en fin de match sur deux exploits de Lukasz Teodorczyk.

 » Cette victoire face à Anderlecht, ça nous a confirmé qu’on pouvait faire quelque chose cette saison « , affirme Amara Baby. Une confiance ouvertement affichée sur la pelouse de Genk, où le Sporting a déroulé sa première période avec une aisance rarement vue dans les rangs zébrés.  » C’est la première fois depuis que je suis au club qu’on a autant de maîtrise sur une mi-temps « , confirme d’ailleurs un Nicolas Penneteau qui semble presque étonné par la prestation des siens.

Quelques mètres plus loin, Siebe Schrijvers explique à la télévision du nord du pays à quel point il est difficile de jouer contre Charleroi. On cherche la réponse chez Amara Baby :  » En fait, je n’ai même pas les mots pour expliquer ce qu’on fait pour l’instant. Notre force, c’est juste qu’on ne lâche rien.  » Une attitude sans cesse soulignée par Felice Mazzù. Après la victoire à Mouscron, le coach a applaudi au débriefing vidéo un sprint défensif de David Pollet, revenu en position d’arrière gauche pour gratter un ballon alors que le marquoir était déjà largement à l’avantage des Zèbres. Comme pour rappeler sans cesse ces valeurs résumées en une phrase par Dorian Dessoleil :  » On doit rester humble, on est Charleroi.  »

par Guillaume Gautier – photos Belgaimage

Le Sporting démarre son marathon avec la réactivité d’un sprinter sorti des starting-blocks.

 » Notre force, c’est juste qu’on ne lâche rien.  » Amara Baby

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