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Carcela, son histoire vraie

Thomas Bricmont

En trois ans, la vie du génial gaucher du Standard a connu de nombreux rebondissements. Retour sur un début de carrière mouvementé.

« J’ai joué avec beaucoup de grands joueurs et Mehdi dispose du potentiel pour en faire partie. En un contre un, il est quasiment imprenable, il me fait penser à Lionel Messi. Il a cette même faculté d’éliminer un joueur. Maintenant, il doit comprendre l’importance du groupe, du collectif pour passer un palier. » Le compliment émane de Samuel Eto’o, en personne. C’était il y a plus d’un an, peu après avoir rencontré Mehdi Carcela, longuement dans le centre de Liège.
Le quadruple Ballon d’Or africain nous avait joint par téléphone afin de témoigner de l’affection qu’il portait à son équipier d’alors. Aujourd’hui, Mehdi est de retour au Standard. Difficile donc de parler de palier franchi quand un joueur revient à la maison. Par la petite porte diront certains, malgré une communication autour de son transfert totalement maîtrisée et l’ovation reçue par Sclessin, le 1er septembre, quelques minutes avant le match face à Courtrai.

La hype Carcela

En novembre 2010, la short-list de Zinedine Zidane faisait les choux gras de la presse espagnole. Une liste de joueurs susceptibles de renforcer le Real Madrid au sein de laquelle on trouvait le nom de Carcela, sa présence étant argumentée par les liens existant entre le légendaire numéro 10 français et son ancien agent, Lucien D’Onofrio. Plus tard, le clan Carcela nous avait confirmé que cette rumeur n’avait rien de fantaisiste et qu’il y avait bien eu contact entre le joueur et la direction madrilène.

Il y a trois ans, la hype Carcela battait son plein. Le joueur hésitait alors entre rejoindre les Diables Rouges ou les Lions de l’Atlas avant d’opter définitivement pour la sélection marocaine. En fin de saison 2010-2011, Witsel, surtout, Carcela, décisif à plusieurs reprises, et Defour allaient porter les Rouches lors de play-offs renversants. Et ce jusqu’à ce 17 mai 2011, date de l’ultime journée qui devait décider du titre entre Genk et le Standard.

Peu avant la 25e minute, le génial gaucher du Standard débordait sur son flanc droit avant d’être mis au tapis par un high-kick du Français, Chris Mavinga. Une scène d’une violence inouïe qui glaça le sang des joueurs et des observateurs présents sur place. «  »D’après les médecins je suis passé à deux millimètres de la mort » dit-il. L’homme se releva quelques jours plus tard mais la carrière du joueur allait connaître un sérieux coup d’arrêt.
« Plusieurs clubs qui s’intéressaient à moi ont décroché après ma blessure, craignant que je ne revienne jamais à mon meilleur niveau. Les dirigeants d’Anzhi n’ont pas eu ces craintes », explique-t-il. En fin de mercato, alors que le Standard avait basculé de l’ère D’Onofrio à l’ère Duchâtelet, Carcela s’envola pour le Daguestan où pointaient déjà Samuel Eto’o et Mbark Boussoufa. Cette destination exotique avait comme priorité d’assurer financièrement ses arrières. Surtout quand les inquiétudes sont grandes de ne pas retrouver l’intégralité de ses moyens et que les dettes s’accumulent (son contrat sous D’Onofrio était l’un des plus bas du groupe). « J’ai eu très peur pour ma carrière », avoua-t-il d’ailleurs après coup. « Mon premier entraînement avec Anzhi fut terrible. Toutes mes frappes partaient dans les nuages. Il m’a fallu au moins deux mois pour que je retrouve toutes mes sensations. »

A l’Anzhi, alors tout puissant, l’enfant de Droixhe va palper un salaire d’environ deux millions d’euros nets ( !) sur quatre ans, de quoi contrebalancer une destination de prime abord peu commode, surtout pour quelqu’un de très attaché à sa ville, Liège. Chez les Carcela, on ne roulait pas sur l’or.
Francisco, le père, originaire d’Andalousie, nous confia il y a quelques années: « Je faisais les brocantes pour essayer de joindre les deux bouts. Quand Mehdi avait deux entraînements sur la journée, je restais au Sart-Tilman, je l’attendais: l’aller-retour me serait revenu trop cher en essence. »
Le changement est donc brutal, Mehdi troque en quelques années les tours de Droixhe pour un joli quartier résidentiel de Moscou où les autres joueurs d’Anzhi ont également posé leurs valises. Malgré le faste et les soirées mondaines où il lui arrive de casser la croûte dans un restaurant chic de la capitale russe en compagnie de Roberto Carlos (alors actif dans le staff d’Anzhi) et de… Zinedine Zidane, le néo-international marocain ne se plaît guère dans un pays gigantesque où les voyages en avion sont incessants.

Louboutin, chicha, Camaro

« A Moscou, si tu oublies vite d’où tu viens et que tu ne restes pas toi-même, tu peux vite péter un câble », avoue-t-il. Les premiers mois sont distrayants mais la suite très vite lassante. Malgré la présence récurrente sur place de son agent et cousin, Rochdi Benrahib et de de son frère cadet, Adam, les proches, la famille, la maman, Najat, manquent à l’appel. Sportivement, Carcela n’arrive jamais à se faire une place au soleil malgré quelques fulgurances.
« Revenir à Liège était son désir depuis un moment », admet Jean-François de Sart. « Voilà pourquoi les contacts avec Mehdi remontaient bien avant qu’il ne signe. Pour nous, il était une priorité. » Lors de la conférence de presse qui salua le retour du fils prodigue, le directeur sportif du Standard avait estimé que Carcela était le chaînon manquant. « Je le confirme encore aujourd’hui. Il possède un profil qu’on ne possédait pas jusque-là. C’est quelqu’un qui est capable de dribbler deux joueurs dans un mouchoir de poche, de perforer une défense, d’être l’ouvre-boîte face à un adversaire regroupé en défense. Des caractéristiques différentes d’autres joueurs de flancs comme Geoffrey Mujangi Bia ou Paul-José Mpoku. »

Un chaînon manquant qui a un prix puisque Carcela est le joueur le mieux payé de l’effectif rouche devant Igor de Camargo. Une somme importante (on évoque un salaire de 1,4 million brut) pour un club belge, ce qui reste très éloigné de ses émoluments russes. Si Mehdi a changé de dimension en revenant sur ses terres, il a gardé quelques attributs clinquants de sa période moscovite. Les « baskets » Louboutin à 900 euros, une montre dernier cri à deux chiffres ou son bolide, une Chevrolet Camaro avec laquelle il avait pris la mauvaise habitude de monter dans les tours. « Je crois que quand on a vécu à Moscou et côtoyé des joueurs comme Samuel Eto’o, il est difficile de revenir les pieds sur terre », poursuit l’un de ses amis.

« Même s’il restera toujours un chambreur professionnel, je le trouve plus mûr qu’avant. Humainement, c’est quelqu’un de bien, une bonne personne avec un grand coeur. Et il est bien plus calme qu’à sa première période au Standard où il pouvait multiplier les conneries. Ça ne sert de toute façon à rien de faire la morale à Mehdi. Il ne change son caractère qu’à partir du moment où il estime qu’il est en tort. » Comme cette prise de conscience récente par rapport à la consommation de chicha (ou narguilé). Depuis son passage en Russie, Carcela avait pris la mauvaise habitude de tirer un peu trop sur l’embout d’une chicha dont il ne se séparait que très rarement pendant la journée ou en soirée. Vu les effets néfastes pointé par de nombreux médecins, on peut raisonnablement penser que cette consommation excessive ait pu le ralentir dans la recherche de sa meilleur forme.

Home sweet home

Après avoir officialisé son retour au Standard, l’entourage de Carcela s’est mis à la recherche d’une villa en-dehors de Liège, pour avoir plus de calme et fuir les nombreux « gratteurs ». « A Liège pas mal de gens ont voulu profiter de ma situation. Aujourd’hui, je sais qui sont mes vrais amis, l’équipe est faite. Et c’est une équipe de mini-foot », assure-t-il. Après avoir multiplié les nuitées dans le cinq étoiles de liège, l’hôtel Crowne Plaza, Mehdi a mis la main sur son home sweet home, une bien belle et grande bicoque de 7 chambres proche de la Cité Ardente.
« En restant deux ans en Russie et malgré un temps de jeu réduit, Mehdi a gagné en maturité et en expérience », poursuit De Sart. « Il est toujours difficile pour un joueur de s’imbriquer dans un collectif en arrivant fin août. D’autant qu’il n’avait pas connu une préparation optimale en Russie… . Il avait aussi besoin de s’adapter à un système de jeu, à la tactique de son nouveau coach. En tout cas, il n’a rien perdu de ses grandes qualités. »

Pour son pote, Réginal Goreux, actuel exilé russe, le doute n’était pas permis. « Je n’ai jamais été inquiet du retour en forme de Mehdi. Avec lui, la question du physique de ne pose pas. Il a tellement de classe que son talent finit toujours pas payer. »
Le préparateur physique du Standard, Carlos Rodriguez, explique les difficultés à l’allumage rencontrées par Mehdi Carcela. « C’est vrai qu’il n’était pas fit-fit en arrivant fin août au Standard. On a donc tenté de combler ce retard en lui prodiguant des compléments d’entraînement individuel après celui collectif. Les lendemains des matches auxquels il ne participait pas, on lui faisait faire des exercices avec et sans ballon. Il a répété les courses, tout en augmentant l’intensité et en respectant son organisme, car il ne fallait pas le cramer. Il aurait été facile de le faire travailler à côté de l’équipe pour qu’il soit prêt plus vite, sauf que le coach en avait besoin directement.

On critique souvent le système de rotation de Guy Luzon et pourtant c’est ce système qui a permis à Mehdi de retrouver du temps de jeu rapidement et de monter en puissance. Face à Bruges, il a effectué son premier match complet. On l’a vu tant offensivement que défensivement. Je sais qu’il a un démarrage sur les trois premiers mètres qui peut déstabiliser pas mal de monde. On fait en sorte à ce qu’il arrive à les répéter. Je connais Mehdi d’avant son départ pour la Russie. Quand il est revenu au club, je l’ai senti très motivé. Dès qu’on s’est revu, il m’a dit: -On va bosser, je veux revenir au top. Il a toujours eu un côté nonchalant, un air de ne pas y toucher, mais je vous assure qu’il est très impliqué dans son travail physique. »

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