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 » L’histoire, elle est écrite « 

Après une saison compliquée à Liverpool, Christian Benteke est à nouveau l’un des buteurs les plus craints et respectés de Premier League. Rencontre avec l’autre Big Ben de Londres.

Le 26 avril dernier, Tottenham l’emportait à Crystal Palace (0-1) grâce à un but de Christian Eriksen et enregistrait son huitième succès de rang en Premier League. Après avoir fait tomber Chelsea et Liverpool sur leurs bases, les Eagles sont, cette fois, restés muets. Une première durant un mois d’avril où Christian Benteke s’est envolé avec 5 buts au compteur.

Les prémices de ce retour au premier plan avaient eu lieu un mois plus tôt, à Sotchi, où  » The Beast  » avait inscrit un doublé et provoqué un penalty en 45 minutes lors du partage (3-3) de la Belgique face à la Russie. Le lendemain du match face aux Spurs, nous le retrouvons dans un bar plutôt cosy à quelques pas de son domicile de Wimbledon, quartier chic et tranquille du sud de la capitale.

Quand on regarde de plus près ton parcours, on a le sentiment que tu fonctionnes beaucoup à la confiance.

CHRISTIAN BENTEKE : Je crois que c’est un peu le cas de tout le monde. Et en tant qu’attaquant, on est dans une position injuste : t’as beau bien jouer, si tu rates une occasion, on va justifier cet échec par un manque de confiance. Mais parfois c’est simplement une histoire de réussite, de chance.

Comment expliques-tu ces périodes où rien ne rentre ?

BENTEKE : C’est compliqué à expliquer. Il t’arrive de faire le bon mouvement au bon moment mais au dernier instant, le défenseur dévie ta frappe ou le gardien s’interpose. Et quand tout te réussit, tu profites de pas mal d’erreurs. Mais pour moi, le plus important reste le fait d’être impliqué. Contre Chelsea, Liverpool, je sentais que je jouais juste. Par contre, si je suis obnubilé par le fait de marquer, mon match risque d’être pourri. Contre la Russie ou Chelsea, mon seul objectif était de bien jouer. Le reste…

 » Face à Thibaut, je savais ce que j’allais faire  »

Ton but face à Chelsea (une louche devant Thibaut Courtois, ndlr) démontre une confiance totale par contre.

BENTEKE : Si j’ai réussi ce geste, c’est parce que j’étais bien dans mes prises de balles, dans mes choix, je venais de donner un assist à Wilfried Zaha. Et pourtant, j’étais dans une période délicate au niveau des statistiques. Mais dès que j’ai reçu la balle, je savais très bien ce que j’allais en faire, je n’ai jamais hésité.

C’est parce que tu connais bien Courtois que tu réalises ce geste ?

BENTEKE : En quelque sorte. Avant le match, je parlais avec Eden, et il me disait que Thibaut m’avait bien étudié et que ça allait être chaud pour marquer. Et vu son amplitude, je savais que si je réalisais un plat du pied, il y avait un risque qu’il l’arrête. J’ai préféré le coucher et enchaîner avec une louche.

Par contre, tu n’as plus l’occasion de tirer les pénos pour améliorer tes stats.

BENTEKE : Désormais, c’est Luka Milivojevic (ex-Anderlecht, ndlr), qui a une très bonne technique de frappe, qui les tire. J’en ai raté 2 sur 4 dont un important un peu après l’arrivée de Sam Allardyce. Et je peux donc comprendre qu’il ait décidé de changer de frappeur.

L’an dernier, alors que ta situation personnelle est compliquée à Liverpool, tu marques un penalty plein de sang-froid à Crystal Palace dans les arrêts de jeu d’un match où vous l’emportez finalement. Ça démontre aussi un gros mental.

BENTEKE : Le coach (Jurgen Klopp, ndlr) ne voulait pas que je le tire. C’est Divock Origi, qui était sur le banc, qui a dû le rassurer en lui disant que j’allais le mettre au fond. Quand je dois prendre mes responsabilités, je ne me cache pas.

Quand tu signes cet été à Palace, tu as le sentiment de faire un pas en arrière ?

BENTEKE : Pas vraiment, car ça reste la Premier League. En restant à Liverpool sans jouer, là c’eût été un pas en arrière. Certes, c’est Palace, c’est pas le niveau de Liverpool mais on peut toujours batailler et battre les plus grands. La preuve face à Chelsea et Liverpool dernièrement.

 » Je ne peux pas parler d’échec à Liverpool  »

Mais quand tu signes ici, c’est dans l’optique de mieux rebondir après ?

BENTEKE : Dans l’optique de me faire voir, de retrouver mes sensations et la confiance.

Ton échec à Liverpool, tu l’expliques comment ?

BENTEKE : Je n’ai pas pu m’exprimer. Les gens me font rire quand ils rappellent cette stat que j’ai marqué quasi autant de goals contre Liverpool qu’avec Liverpool. Mais avec Liverpool, je ne jouais quasiment pas. Et pourtant, j’ai quand même inscrit 9 buts en championnat. Selon moi, un échec, c’est quand tu débutes un travail, que tu le termines et que tu échoues. Mais moi, je n’ai pas eu l’occasion de m’exprimer suffisamment pour parler d’échec.

L’an dernier, tu nous disais de façon un peu désabusée :  » De toute façon quand un entraîneur ne veut pas de toi, il n’y a rien à faire « .

BENTEKE : Je n’entrais pas dans ses plans, qu’est-ce que tu veux faire après ça ? Je lui ai demandé une chose : de me laisser partir en fin de saison. Mais pendant la saison, ce sont ses choix, je ne vais pas aller me plaindre.

Tu n’en veux pas à Jurgen Klopp ?

BENTEKE : C’est déjà oublié. Et je ne peux pas lui en vouloir. Je pouvais être frustré sur le moment même mais de toute façon ce n’est pas une personne qui va réussir à détruire ce que j’ai construit et ce que je vais construire. Dans tous les cas, je ne me serais pas laissé faire. Et dans ma tête, je suis plutôt du genre à me dire : si ça marche pas ici, ça marchera ailleurs.

Pour ton retour à Anfield, on imagine que tu voulais quand même montrer à Klopp qu’il s’était trompé.

BENTEKE : C’est humain mais je ne voulais surtout pas forcer mon jeu. Mais quand j’ai marqué et même si j’essayais de le cacher, j’étais très heureux. Mais je suis resté respectueux car beaucoup de joueurs auraient provoqué le coach, le public. Moi, ce n’est pas dans mon caractère.

 » J’ai été trouver Klopp  »

Tu n’es pas trop gentil pour milieu du foot ?

BENTEKE : Si je dois dire quelque chose, je le dis. Et l’an passé, j’ai été trouver Klopp pour lui dire ma façon de penser : que je comprenais sa décision mais aussi qu’il n’avait pas le droit de me bloquer pour la suite de ma carrière.

À Liverpool, tu disais évoluer de façon trop rationnelle dans le jeu.

BENTEKE : Oui mais c’est aussi dépendant de ce que le coach veut. Je n’étais pas le seul joueur qui a dû s’adapter. J’en ai d’ailleurs parlé à Titi (Henry, ndlr). Quand lui est arrivé au Barça, on lui a dit qu’il y avait une place disponible à gauche et il l’a accepté. Il voulait gagner des titres.

Toi qui a toujours été fan de Thierry Henry, ça a dû être spécial de le retrouver chez les Diables ?

BENTEKE : J’ai toujours été fan mais ce n’est quand même plus la même chose. Je suis grand maintenant (il rit). J’ai plus le  » wouaw  » d’avant, même si je lui ai dit que c’était mon joueur préféré. Ça fait bizarre mais je me dis aussi que c’est la preuve que le monde du foot est petit.

Il vous apporte quoi concrètement ?

BENTEKE : Ce n’est pas quelqu’un qui va afficher ses conseils en public. Mais il va te donner des petits trucs qui peuvent faire la différence. Il m’a par exemple expliqué que quand tu reçois un ballon dans le rectangle, tu as plus le temps que tu ne le penses. Il te rappelle qu’en tant qu’attaquant, c’est toujours toi le maître de la situation. Que si tu effectues le bon mouvement, un simple contrôle, ça peut tout changer. Souvent on se précipite et on gâche.

Un attaquant devient-il meilleur avec l’âge ?

BENTEKE : En tout cas, il maîtrise mieux les situations, il panique moins.

Tu as connu une carrière à rebondissements. Psychologiquement, ça doit être usant, non ?

BENTEKE : Quand je regarde en arrière, je me dis que je viens de nulle part. Et je n’ai donc rien à perdre. Tout ce que je vis là, c’est du bonus. On était plein dans le quartier à savoir jouer au foot, ç’aurait pu être un autre.

 » J’étais le plus sérieux et le plus déterminé  »

Mais pourquoi c’est toi qui as réussi ?

BENTEKE : Car j’étais le plus sérieux et le plus déterminé. Mes potes, quand il faisait froid, qu’il neigeait, ils ne voulaient pas s’entraîner, même chose quand il n’y avait pas de bus. C’était pas des débrouillards, moi je l’étais. C’est la seule différence car certains avaient plus de qualités que moi. Mais ils n’étaient pas courageux.

J’imagine que l’éducation de tes parents a joué dans ta réussite.

BENTEKE : Bien sûr. Je n’ai jamais été éduqué par rapport au foot, mais on m’a inculqué certains principes : être respectueux, ne jamais rien lâcher, être un homme, etc. C’était l’éducation de la vie. Mon père voulait que je termine l’école, que je fasse l’unif. Ça n’avait rien à voir avec le foot mais cette éducation m’a servi dans mon métier.

Ton parcours a aussi été une succession de combats.

BENTEKE : Oui, dans la vie, tu en as qui ont tout entre les mains, alors que d’autres doivent davantage se battre.

Eden Hazard, c’est différent par exemple…

BENTEKE : C’est très différent (il rit). Mais c’est ce qui rend le foot riche, c’est d’avoir des joueurs au parcours d’Eden et d’autres qui ont connu des galères.

Malgré la saison difficile à Liverpool, tu es resté très respecté en Angleterre par pas mal de gens.

BENTEKE : Ici, on n’a pas la mémoire courte, on n’oublie pas. Et depuis que je suis en Angleterre, j’ai toujours enchaîné des saisons à plus de dix buts en championnat sauf à Liverpool où je suis resté bloqué à 9. Et ça m’a frustré. Mais j’ai confiance en moi, je sais que si je joue, je vais toujours finir par marquer. Surtout si j’ai de bons centres comme maintenant avec des Townsend ou Zaha sur les côtés. Je suis un joueur qui doit recevoir de bons ballons, je ne vais pas décrocher, prendre la balle du milieu de terrain, dribbler tout le monde et marquer. Ma prestation est conditionnée par celle des autres.

Tu sembles très détaché par rapport au milieu du foot, de la médiatisation qui l’entoure.

BENTEKE : Même quand ça allait moins bien, comme l’an passé, j’arrivais à trouver mon bonheur ailleurs. Quand j’étais plus jeune, c’était plus difficile.

 » Je ne crois pas au hasard  »

Quel a été le moment le plus dur de ta carrière ?

BENTEKE : Je dirais ma blessure au tendon d’Achille qui m’a privé du Brésil. J’ai été absent pendant plus de six mois. Mais je n’ai jamais eu peur quant à mon retour, je savais que ça allait bien se passer.

Le fait que tu sois croyant, ça joue beaucoup dans ta manière d’aborder les événements ?

BENTEKE : Oui. Je vais te dire un truc : quand j’ai marqué contre Liverpool, j’étais content mais je n’étais pas étonné. Je savais au fond de moi qu’il y avait une forme d’injustice. D’un côté, je n’ai pas répondu aux attentes, de l’autre, on ne m’a pas vraiment donné ma chance. Et moi, je ne crois pas au hasard. Des 22 acteurs, c’est moi qui marque et qui fais gagner mon équipe. Ça vient de là (il regarde au ciel). Pour moi, l’histoire, elle est écrite. Tu ne peux pas vraiment changer le cours des choses.

Est-ce que le fait d’être devenu père de deux enfants, ça a changé ton regard sur les choses ?

BENTEKE : Oui, évidemment. Et c’est le meilleur des calmants. C’est au-dessus de tout. Avoir des enfants en bonne santé, c’est magnifique.

Tu as grandi à Droixhe dans un milieu populaire, aujourd’hui tu vis dans un quartier chic de Londres, qu’est-ce que tu veux transmettre à tes enfants ?

BENTEKE : Il faudra qu’ils voient les deux côtés. Il n’y a aucune chance qu’ils deviennent des petits bourgeois (il rit).

Et par rapport à tes amis d’enfance, c’est compliqué de garder le contact ?

BENTEKE : Au début, quand je suis arrivé en Angleterre, c’était un peu compliqué. Il y avait pas mal de demandes. Aujourd’hui, j’ai fait le tri, je sais qui est là pour Christian et qui est là pour Benteke le joueur. Mais je n’ai pas changé, j’ai toujours mes potes de Liège. Quand je rentre, on se fait un snack, on marche ensemble, des trucs simples. Je n’ai pas besoin de plus.

 » J’aime la vie à Londres  »

Tu la vois où ta vie après ta carrière ?

BENTEKE : En Belgique. Tout le monde ment sur la question. Car la première chose que les joueurs font, c’est de rentrer en Belgique. J’en parlais avec Eden, qui me disait qu’il irait vivre à Marbella en Espagne. Mais moi, je suis heureux en Belgique et la pluie, elle ne m’a jamais tué. Et ça t’empêche pas d’aller chercher le soleil quand les enfants sont en congé.

Qu’est-ce que tu aimes tant en Belgique ?

BENTEKE : Avant d’arriver à Londres, je t’aurais dit la nourriture car à Birmingham ou à Liverpool, c’était plus compliqué. J’aime vraiment la vie à Londres. Ce qu’on fait ici, se retrouver pour une interview dans un bar, tu n’aurais pas pu le faire à Liverpool ou à Birmingham. Ici, les gens te laissent tranquille, ils s’en foutent de qui tu peux bien être.

PAR THOMAS BRICMONT À LONDRES – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Je ne peux pas en vouloir à Klopp. Et, de toute façon, ce n’est pas une personne qui va réussir à détruire ce que j’ai construit.  » – Christian Benteke

 » Quand je regarde en arrière, je me dis que je viens de nulle part. Et je n’ai donc rien à perdre.  » – Christian Benteke

 » Mes parents m’ont inculqué certains principes : être respectueux, ne jamais rien lâcher, être un homme.  » – Christian Benteke

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