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Belgique – Espagne: voyage sans ballon

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la première de Roberto Martinez à la tête des Diables rouges.

Ce n’est pas une rentrée comme les autres pour la petite Belgique. La voilà maintenant dans la classe de monsieur Martinez. Et après trois courtes journées passées à étudier une matière bien différente de celle qu’elle connaissait depuis quatre ans, la voilà déjà devant son premier contrôle de l’année. Le syndrome de la feuille blanche la guette. La Belgique doit écrire le prologue de son nouveau football de possession face à une équipe dont le dictionnaire contient le mot « ballon » à toutes les pages. Comme si un enfant qui voulait apprendre à courir vite commençait sa formation par un cent mètres contre Usain Bolt.

Le verdict est évidemment douloureux. La Belgique s’est assise devant le portrait de cette Espagne à qui elle voudrait tant ressembler, mais réalise vite que le tableau peint par la Roja est encore très loin d’être un miroir. « Ce qu’ils ont montré, c’est justement ce qu’on souhaiterait faire », dira d’ailleurs Jan Vertonghen après le match.

Jamais, en quatre ans de Marc Wilmots, les Diables n’ont affronté une équipe de possession de cette valeur. Parce qu’il en existe très peu. Mais cette rencontre a bouleversé l’une des rares certitudes de leur jeu. Les Belges ont toujours voulu le ballon. Ils ne savaient pas toujours pourquoi, ni ce qu’ils voulaient en faire, mais s’ils n’ont jamais été une équipe de contre malgré des joueurs nés pour les transitions, c’est parce qu’ils aiment trop la balle. Et l’Espagne les a contraints au sevrage. 37% de possession, et pas le moindre tir dans le rectangle adverse. Le portrait-robot d’une équipe qui ne sait pas contrer.

DUEL POUR UN BALLON

La rencontre commence pourtant avec beaucoup de ballon dans les intentions. Les hommes sont presque les mêmes (seulement deux changements par rapport au onze battu par les Gallois à Lille), mais la Belgique s’articule dans un vrai 4-3-3 avec Axel Witsel devant la défense, Radja Nainggolan en intérieur gauche et Kevin De Bruyne en intérieur droit. En pointe, la mobilité de Divock Origi doit priver les centraux espagnols de certitudes.

La Belgique des premiers instants presse bien. Ce n’est pas un hasard si son secteur offensif aligne des soldats de Klopp, Guardiola, Conte et Simeone, soutenus par un Nainggolan qui n’a pas besoin de professeur pour apprendre à étouffer son adversaire. Mis sous pression, les Espagnols ratent une passe sur sept. Mais ce sont surtout les six autres qui font mal. Les Diables ont l’impression de jouer une partie de cache-cache qui ne finit jamais, notamment derrière un Busquets insaisissable. Ils ne tiendront pas plus d’une demi-heure à la poursuite du ballon. Le problème, c’est qu’une fois la balle abandonnée, l’adversaire peut commencer à installer son jeu.

Avant le but de David Silva, la Belgique regarde l’Espagne dans les yeux. 44% de possession face aux maîtres du ballon, la preuve que l’idée de Martinez fait déjà son chemin, presque imperceptiblement. Elle est pourtant présente, cette idée, quand Witsel décroche entre ses deux arrières centraux pour initier une relance à trois qui sent bon la Catalogne.

L’impressionnant pressing espagnol empêche d’admirer une métamorphose, car les pieds fragiles de Courtois sont souvent contraints de chercher un Origi inaccessible par la voie des airs (48% de longs ballons pour Thibaut, un seul duel aérien gagné par Divock). Hazard fait une première différence sur le côté, mais son centre mal négocié par De Gea n’aboutit qu’à un tir à côté de Witsel. Les Diables récupèrent parfois haut, comme quand le milieu du Zenit dévore la trajectoire d’une passe de Silva aux abords du rectangle espagnol, mais tout cela ne débouche que sur des centres sans espoir pour Origi. Le milieu de terrain belge ne crée jamais de surprise. Nainggolan, De Bruyne et Witsel ne réussiront pas la moindre passe longue sur l’ensemble du match.

LA TOILE ESPAGNOLE

Même quand l’Espagne passe quelques instants à dix, le temps que Diego Costa prenne la place de Morata, la Belgique ne trouve pas la clé du bloc espagnol. Witsel ne trouve personne entre les lignes, où De Bruyne est presque injoignable dans ce costume étroit de milieu intérieur qui semble étouffer son football d’hyperboles. KDB cherche de l’air entre ses défenseurs, et vient toucher des ballons très bas. Une manoeuvre qui installe encore le bloc espagnol un cran plus haut, et élargit les lignes belges. Une aubaine pour David Silva, qui attendait la désertion de l’intervalle entre Meunier et Witsel pour apparaître.

L’ouverture du score dessine à merveille l’installation progressive de la toile espagnole. Un pressing qui force Courtois à jouer long, suivi d’un duel gagné par Ramos et d’une possession de la défense ibère pour éliminer les envies belges de pressing. Thiago vient se joindre à sa défense et verticalise vers Silva, qui incarne parfaitement le plan espagnol : « construire à gauche, courir à droite » (59 ballons touchés par Carvajal, 47 par Vitolo, plus faibles totaux du onze espagnol). Le gaucher met Carvajal sur orbite, Vitolo fait parler sa pointe de vitesse face à Vertonghen, et Silva est encore là pour conclure sur le deuxième ballon. Dix joueurs espagnols ont touché le ballon. Tous, sauf Koke, qui sera pourtant le deuxième joueur le plus présent du match avec 130 ballons joués.

La Belgique est assommée, et l’Espagne l’empêche de reprendre son souffle en la faisant courir encore plus après le ballon. La première mi-temps se termine par un quart d’heure où les hommes de Lopetegui ont 71% de possession. La balle est intouchable. Quand Thiago est mis sous pression, il enchaîne deux roulettes pour étouffer dans l’oeuf une potentielle révolution diabolique.

IRRESPIRABLE

Martinez cherche le contrôle au retour des vestiaires en plaçant la protection de balle de Dembélé à la place de l’anarchie de Nainggolan. Mais la seconde période commence par un slalom de Silva devant le rectangle belge. Histoire de laisser les points sur les « i ».

Les Diables ne sortent pas de leurs trente mètres. Même aligner cinq passes ressemble à une mission impossible. Origi s’est résigné, revenant dans le bloc à plus de 70 mètres de David De Gea. Courtois enchaîne deux apparitions devant Piqué et Costa, et ne voit jamais le ballon repartir très longtemps. Il faut presque une passe décisive pour contourner le bloc espagnol. De Bruyne vient donc faire parler sa vista devant son propre rectangle, mais la séquence qu’il initie est conclue par un centre raté de Jordan Lukaku, dont le principal malheur aura été de gâcher son unique possibilité offensive du match au cours d’une rencontre passée à courir derrière le couloir laissé ouvert par les Espagnols.

Pendant trente minutes, la seule oxygène belge semble être cachée dans les chaussures de Carrasco. Habitué par l’école de Simeone, le Colchonero multiplie les courses balle au pied (3 dribbles, meilleur total belge du match) pour échapper à la toile d’araignée ibère. Malheureusement, les passes qui suivent ne sont jamais assez bien calibrées pour atteindre le rectangle espagnol. Asphyxiée, la Belgique perd sa lucidité et Jordan Lukaku concède un penalty enfantin après une séquence adverse pensée à gauche et courue à droite. Silva s’offre un doublé et le statut d’homme du match.

DE BRUYNE ET LES SIFFLETS

La montée au jeu de Romelu Lukaku permet à Alderweireld d’utiliser son jeu long, mais les appuis sur Rom’ devront attendre plus d’un quart d’heure avant de déboucher sur un tir. On joue la 83e minute quand le colosse d’Everton remise un ballon pour Mirallas, qui court vers l’intérieur du jeu pour perturber le bloc espagnol, trouve Hazard dont le décalage vers De Bruyne offre à la Belgique son premier (et dernier) tir cadré du match.

KDB enchaînera avec une deuxième frappe, très loin des standards de son été (4,2 tirs et 4,6 occasions créées par match à l’EURO). En se plaçant dans un rôle plus libre et plus à gauche en fin de rencontre, le rouquin des Diables est enfin apparu dans un match qu’il a finalement quitté sous les sifflets. En rationalisant son rôle dans un schéma plus strict dans les positions des joueurs, Roberto Martinez s’est sans doute privé de ce De Bruyne « auto-suffisant », qui crée des occasions de but uniquement par sa présence boulimique derrière l’attaquant de pointe. Un choix qui pourrait faire disparaître l’influence du Citizen sur le court terme. Mais un choix qu’a aussi posé Pep Guardiola.

Affamée de ballon, la Belgique veut devenir une équipe de possession. Elle a commencé son nouveau régime alimentaire face à l’équipe qui gèle le mieux la pelota sur la planète. Pas facile de manger quand la nourriture est cachée dans le congélateur.

Les Diables quittent le terrain sous les sifflets accusateurs d’un public qui leur reproche d’avoir snobé la rencontre. Paradoxal, tant les gradins étaient clairsemés pour le double accueil du nouveau sélectionneur et de la meilleure équipe nationale de la dernière décennie.

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