© AFP

Real-Barça, la rivalité qui rassemble une Espagne divisée

Le clasico Real Madrid-FC Barcelone, ce n’est pas seulement l’incarnation du conflit entre la capitale et la Catalogne, c’est aussi un trait d’union: avant les élections catalanes jeudi, personne en Espagne n’imagine se passer de ce rendez-vous centenaire du football mondial programmé samedi.

Tout oppose les supporters du Real, club « royal » lié aux cercles du pouvoir espagnol, et ceux du Barça, étendard de l’identité catalane. Quand les uns chantent « Viva España » au stade Santiago-Bernabeu, les autres scandent « Indépendance » et « Liberté » au Camp Nou.

Au pays du football-roi, les principaux acteurs de la crise politique catalane sont eux-mêmes de fervents supporters: le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy se veut « madridista » tandis que le dirigeant indépendantiste catalan Carles Puigdemont est « culé », même s’il soutient aussi Gérone, ville dont il a été maire.

« On dit habituellement du Real Madrid qu’il a des supporters plus conservateurs et plus +espagnolistes+. Et de l’autre côté, Barcelone a habituellement un public considéré comme plus catalaniste, plus indépendantiste », explique à l’AFP le politologue Pablo Simon.

Pourtant, Madrilènes et Barcelonais ont un point commun: samedi, ils seront tous au stade Santiago-Bernabeu ou devant leur téléviseur pour supporter leur équipe.

– Zidane: ‘Ça réunit tout le monde’ –

« C’est un événement rassembleur. Personne ne veut voir ce match disparaître, même dans le cas d’une indépendance de la Catalogne », analyse le journaliste Sid Lowe, correspondant sportif du quotidien britannique The Guardian et auteur d’un livre sur la rivalité entre les deux clubs.

« Et personne à Barcelone ne veut renoncer à ce match même si cela contredit potentiellement ses opinions politiques ou sociales », souligne-t-il.

Car pour beaucoup, le match Real-Barça est une grand-messe. Un match à voir en famille ou entre collègues, où le ballon rond est plus prétexte aux retrouvailles qu’aux déchirements.

« Le foot est la chose la plus regardée et la plus aimée dans le monde entier. Forcément, ça réunit tout le monde », fait valoir l’entraîneur madrilène Zinédine Zidane, qui vit en Espagne depuis plus de quinze ans.

Comme le Français, aucune figure du football espagnol n’accepte la fin de ce duel. Même au plus fort de la crise catalane cet automne, tous souhaitaient que Madrid et Barcelone, dont la rivalité centenaire fait le sel du Championnat d’Espagne, puissent continuer à s’affronter de manière régulière.

Les clubs concernés en premier lieu. « Je n’envisage pas une Espagne sans la Catalogne, ni une Liga sans le Barça », déclarait en octobre Florentino Pérez, président du Real.

« Nous voulons jouer la Liga et aujourd’hui notre participation est garantie », assurait pour sa part le président du Barça Josep Maria Bartomeu, malgré son positionnement en faveur du « droit à décider » de la Catalogne.

– La vie quotidienne paralysée –

Car le clasico, pour les 47 millions d’Espagnols dont 7 millions de Catalans, c’est un moment de communion. Deux fois par an en Liga, voire davantage si les tirages au sort des autres compétitions en disposent ainsi, deux géants planétaires s’affrontent en duel.

Avec 650 millions de téléspectateurs, c’est le match de clubs le plus suivi au monde, avec les deux meilleurs joueurs au monde, Lionel Messi et Cristiano Ronaldo.

« Moi qui ait pu le vivre comme joueur, qui le vis comme entraîneur, ce sont des émotions incroyables. Quand arrive ce moment, on est focalisé sur ça et c’est beau de vivre ces instants-là », raconte Zidane.

En Espagne, même les personnes ne s’intéressant pas au football font une exception pour cette rencontre, qui figure au patrimoine culturel commun, au même titre que la célèbre loterie de Noël (« El Gordo ») ou les festivités de Pâques (« Semana Santa »).

« Le clasico génère une paralysie de la vie quotidienne en Espagne. C’est pourquoi on recommande toujours d’aller au théâtre ou au cinéma ce jour-là, parce que les salles sont vides », observe Pablo Simon.

Au point que la préservation du clasico, question semblant assez triviale, a été l’un des sujets les plus débattus dans l’actuelle crise catalane.

« C’est absurde parce qu’il y a tellement d’autres choses à résoudre », souligne Sid Lowe. « Mais c’est ce qui a le plus occupé les gens: Barcelone va-t-il rester en Liga ? Le clasico existera-t-il toujours ? Et personne ne veut perdre ça. »

Real-Barça: les cinq clasicos les plus politiques

Dans les tribunes du Camp Nou, les drapeaux catalans se mêlent à ceux du Barça.
Dans les tribunes du Camp Nou, les drapeaux catalans se mêlent à ceux du Barça. © belgaimage

Le duel au sommet entre le Real Madrid et Barcelone samedi en Championnat d’Espagne prend une coloration particulière au vu du calendrier: placé deux jours après les élections de jeudi en Catalogne, ce match rejoint une longue série de clasicos teintés de politique.

. Le plus trouble

En juin 1943, l’ambiance est irrespirable en demi-finale de Coupe du Roi, alors appelée Coupe du Généralissime. Vainqueur 3-0 à l’aller, le Barça est inexplicablement pulvérisé 11-1 au match retour sur le terrain du Real. Etant donnée l’atmosphère trouble et controversée de l’après-guerre civile en Espagne (1936-1939), certains historiens évoquent des menaces préalables de la police contre les joueurs barcelonais, cibles par la suite d’injures et de jets de pierres.

. Le plus fondateur

Avec la question du transfert d’Alfredo Di Stéfano dans les années 1950, la rivalité entre Barça et Real prend corps et acquiert une véritable dimension politique. L’Argentin aurait pu jouer à Barcelone mais la « Maison blanche » arrache le génial attaquant, avec un coup de pouce de la fédération espagnole, dépendante du régime franquiste (1939-1975). Le premier clasico de Di Stefano, le 25 octobre 1953, est amer pour Barcelone (défaite 5-0), avec un doublé de l’attaquant.

. Le plus policier

En Espagne, on l’évoque encore comme « la nuit de Guruceta », du nom de l’arbitre de ce quart de finale retour de Coupe le 6 juin 1970. Battu 2-0 à l’aller, le Barça mène 1-0 au Camp Nou quand l’homme en noir siffle un penalty peu évident en faveur du Real. Dans les tribunes, c’est l’indignation puis la colère: les coussins pleuvent des gradins, le terrain est envahi et la police charge les supporters. Le malheureux José Emilio Guruceta est contraint de suspendre la rencontre sur le score de 1-1.

. Le plus libérateur

Le 28 décembre 1975, l’Espagne a changé d’ère. Le général Francisco Franco, à la tête du régime pendant près de 40 ans, est mort le mois précédent. Et le premier clasico sans le vieux dictateur a des airs de libération au Camp Nou: pour la première fois depuis des décennies, les supporters du Barça peuvent déployer sans crainte des drapeaux catalans en tribune. Les compositions des deux équipes sont d’ailleurs annoncées au micro en langue catalane. Et une banderole « Amnistie, liberté et statut d’autonomie » est déployée dans les gradins, avant d’être rapidement retirée par la police. Dans cette atmosphère de fête, le Barça bat le Real 2-1 avec un but à la 89e minute.

. Le plus revendicatif

La première démonstration de force des indépendantistes catalans remonte au 11 septembre 2012, jour d’une manifestation monstre organisée pour la « Diada », la fête de la Catalogne. Moins d’un mois plus tard, les supporters du Barça s’en font l’écho lors du clasico disputé le 7 octobre 2012 (2-2): une vaste mosaïque est déployée en tribune avant la rencontre pour représenter un drapeau catalan. Et à la 17e minute et 14 secondes de jeu, rappel de la chute de Barcelone devant les troupes du roi d’Espagne Philippe V en 1714, une bonne partie des 96.500 spectateurs du Camp Nou entonne ce cri: « Indépendance! »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire