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Quels sont les secrets de la réussite du Bayern ?

Les stars du Bayern Munich jouent ce soir à Bruxelles. Le club allemand doit composer avec la concurrence toujours plus accrue des nouveaux riches, même s’il reste au top mondial. Quel est le secret de son succès ?

« David ! « , crie Jupp Heynckes. David Alaba le regarde.  » Ce n’est pas toi, ça. Tu peux faire beaucoup mieux.  » Trois jours plus tard, Alaba, le dernier jeune formé par le Bayern à avoir rejoint l’équipe de base, aligne les bonnes passes et marque le 1-3 à Dortmund, le principal rival des Bavarois. À ce moment-là, Heynckes (72 ans) a dirigé sept matches depuis qu’il a remplacé Carlo Ancelotti. Il a rendu assurance et plaisir de jouer à l’équipe, il impose des séances plus longues, avec un échauffement d’une demi-heure au lieu de quelques minutes. Depuis qu’il a posté Javi Martinez au six, le Bayern n’encaisse pratiquement plus de buts. Il a battu Dortmund et Leipzig et emmène le classement, malgré quatre blessés, dont trois vont revenir : Jérôme Boateng, Thomas Müller et Franck Ribéry tandis que Manuel Neuer sera indisponible jusqu’à la trêve.

Si le Bayern n’a plus de dettes depuis 1984, c’est grâce à Karl-Heinz Rummenigge.

Il faudrait une catastrophe pour empêcher le Bayern de fêter son 28e titre en 118 ans. La coupe est accessible et le club est qualifié pour la suite de la CL, même si nul n’ose rêver d’une victoire finale, cette saison. Depuis son succès en 2013, sous la direction d’Heynckes, le paysage financier a changé en Europe. Les Bavarois doivent trouver la parade mais, avant tout, élire un successeur à Heynckes. Ensuite, il faut rajeunir le noyau. Pep Guardiola et Ancelotti n’ont guère prêté attention aux jeunes du cru, voulant des joueurs déjà prêts. Le prochain entraîneur devra parler allemand aussi.

Uli Hoeness est conscient de la vétusté de la Säbener Strasse, qui accueille les jeunes et est démodée, alors que Dortmund et Leipzig possèdent des académies ultra modernes, qui attirent les jeunes talents. Sachant que le Bayern s’est toujours appuyé sur une majorité de joueurs locaux, il a fait construire un complexe au nord de Munich, pour 70 millions. Première étape : faire remonter le Bayern 2 de la D4, pour que les jeunes apprennent à se produire sous pression et à un niveau plus relevé.

L’identité plutôt que l’argent

Kalle Rummenigge, Jupp Heynckes et Uli Hoeness : quel triumvirat !
Kalle Rummenigge, Jupp Heynckes et Uli Hoeness : quel triumvirat !© belgaimage

Le thème principal est ailleurs : le club va-t-il rester fidèle à son ADN, quitte à être écarté des premiers rôles sur la scène européenne ? Car le Bayern n’est pas un nouveau riche, contrairement à ces clubs financés par le Moyen-Orient (PSG, Manchester City), la Chine (Inter et Milan), les USA (AS Rome, Manchester United) ou la Russie (AS Monaco, Chelsea).

 » Qu’est-ce qui est le plus important ? Un Neymar ou un stade comme l’Allianz Arena ? « , a demandé Karl Heinz Rummenigge en réaction aux critiques émises en septembre par Robert Lewandowski dans les colonnes du magazine Der Spiegel. Le buteur polonais estimait que l’argent déterminait le succès et que le Bayern devait donc acheter quelques footballeurs très chers. Rummenigge n’est pas d’accord.  » Nous avons une philosophie différente. Nous ne voulons pas de transferts de ce prix et nous n’en avons pas les moyens non plus. L’opinion publique soutient notre choix. La loyauté fait partie de notre ADN. Nous avons gagné des tas de trophées pendant des décennies, grâce à notre philosophie. « 

Le Bayern ne doit quand même pas critiquer de manière trop virulente le Qatar. En août, il a conclu un contrat lucratif avec l’Hamad International Airport, l’aéroport de Doha, la capitale de l’Emirat. Son logo orne les manches des maillots depuis le début de la saison, pour six ans. D’après L’Équipe, le contrat rapporte sept millions par an au Bayern, sans compter les recettes d’un fan shop à l’aéroport de Doha. En échange, pendant la trêve hivernale, les joueurs devront se rendre en stage à Doha et y disputer quelques matches de gala. C’est le seul moyen pour le Bayern de compenser des recettes moindres en droits TV que la Premier League ou l’absence d’investissements étrangers (en Allemagne, les étrangers ne peuvent posséder la majorité au sein des clubs).

Une grande famille

Arjen Robben, le Hollandais volant.
Arjen Robben, le Hollandais volant.© belgaimage

Le Bayern est une société ultra moderne mais il reste aussi une grande famille. Uli Hoeness et Karl-Heinz Rummenigge sont d’accord sur ce point : le Bayern doit rester familial. Cet esprit fait partie intégrante de son identité et la continuité est son principal pilier. Depuis qu’il a commencé à enfiler les succès à la fin des années ’60, il a toujours misé sur la stabilité de son équipe et sur des footballeurs issus de sa région, généralement formés par ses soins. Cette continuité sportive perdure, huit titulaires portent le maillot du Bayern depuis au moins cinq ans (Neuer, Müller, Ribéry, Robben, Rafinha, Boateng, Alaba et Martinez).

La Säbener Strasse prône la continuité à tous points de vue. Le Bayern favorise l’émergence des gens du cru, qu’il s’agisse des jeunes qui accèdent à la Première ou des anciens joueurs qui intègrent la direction ou le staff. Il est un fervent partisan d’une gestion saine et bannit donc les dettes comme les transferts excessifs.  » Quand nous allons à la banque, ce n’est pas pour emprunter mais pour déposer de l’argent « , a déclaré Uli Hoeness il y a quelques années. Fin octobre, le Bayern a publié son bilan annuel : il possède 190 millions sur son compte en banque, soit 14 de plus que l’année précédente.

Contrairement à la plupart des autres grands clubs européens, le Bayern n’a pas la moindre dette. Il a remboursé la prestigieuse Allianz Arena, inaugurée le 31 mai 2005, seize ans plus tôt que prévu. Il écoule ses 70.000 places à chaque match. Les chiffres donnent raison à Rummenigge. Fin octobre, il a fièrement annoncé que le Bayern avait engrangé un nouveau budget-record de 640 millions, avec un bénéfice net de 39,2 millions, toutes taxes payées.

Et ce, malgré son élimination en quarts de finale de la LC, qui a coûté 25 millions, selon les calculs du directeur financier, Jan-Christian Dreesen. Depuis que le Bayern s’est constitué en SA, en 2002, son budget a quadruplé et le nombre de membres payants a triplé pour atteindre 270.000. Sa fortune se monte à 424 millions et la charge salariale est de 264 millions, soit moins de la moitié, la limite qu’on considère saine.

Quasi en faillite

Le Bayern n’a jamais acheté ses succès, contrairement à d’autres clubs allemands. Le FC Cologne a été le premier à enrôler un footballeur pour la somme alors magique d’un million de Mark (un demi-million d’euros). C’était en 1976 et il avait transféré Roger Van Gool du Club Bruges. Un an plus tard, le HSV a été le premier à dépenser deux millions de Mark pour enrôler Kevin Keegan, propriété de Liverpool. Le record des années 80′ n’a pas été établi à Munich mais à Francfort : en 1987, l’Eintracht a dépensé trois millions de Mark pour le Hongrois Lajos Detari.

Quand nous allons à la banque, ce n’est pas pour demander de l’argent mais pour en déposer.  » Uli Hoeness

Durant cette période, Sören Lerby a été le transfert le plus cher du Bayern. Il a acquis l’Ajacide pour l’équivalent de 900.000 euros en 1983. Il a dû emprunter l’argent.  » Si le transfert avait été un flop, nous aurions sombré « , avait déclaré l’entraîneur du moment, Udo Lattek. Le Bayern a longtemps dû se passer de gros transferts. Quand Uli Hoeness a troqué son maillot de joueur pour le costume de manager, le Bayern frôlait la faillite.

Hoeness n’avait que 27 ans mais le nouveau président, Willi Hoffmann, auparavant trésorier du club, avait remarqué que le fils de boucher d’Ulm possédait aussi des qualités stratégiques et qu’il savait gérer l’argent. En 1978, encore joueur, il avait déjà trouvé un sponsor maillot pour l’équipe. La société de transport Magirus Deutz, implantée à Ulm, versait 600.000 Mark par an. Cette somme avait permis au Bayern de financer le retour de Paul Breitner, qui se produisait à l’Eintracht Braunschweig.

Hoeness était considéré comme l’avant le plus rapide d’Europe. Il courait le 100 mètres en onze secondes. Il avait disputé 239 matches pour le Bayern, gagné trois LC et trois titres, comptait 38 sélections nationales et un titre mondial (1974) mais quatre opérations au genou l’ont renvoyé sur le banc, un rôle qui lui seyait peu. Il est donc devenu dirigeant. Les chiffres qu’il a découverts l’ont stupéfié. Il a entamé son mandat avec une dette de 3,5 millions d’euros pour un budget annuel de six millions. Il a donc dû épargner. Son premier transfert a été celui de son frère Dieter. Coût : 85.000 euros. Un achat très contesté qui allait s’avérer un excellent investissement.

Rummenigge efface les dettes

Karl-Heinz Rummenigge, le CEO du Bayern.
Karl-Heinz Rummenigge, le CEO du Bayern.© AFP

Ses premières années lui ont toutefois insufflé une peur bleue des dépenses. C’est pour ça que jamais le club n’a acheté de star absolue comme Zinédine Zidane, Marco Van Basten, Thierry Henry ou Ruud Gullit. En 2003, il a validé en soupirant le transfert de l’avant néerlandais Roy Makaay pour 18,75 millions d’euros, en soulignant que c’était la limite. Deux ans plus tard, quand Chelsea a versé 36 millions pour le Marseillais Didier Drogba, il a jugé que c’était irresponsable. Peu après, ce même Drogba allait aider Chelsea à évincer le Bayern en Europe.

Le Bayern doit en fait sa santé financière à l’homme qui est désormais aux côtés d’Uli Hoeness. Karl-Heinz Rummenigge a éclos à 24 ans, en 1980, dans le match pour le titre du Bayern. C’était un garçon timide, auquel il fallait arracher les mots. Il avait rêvé d’une carrière en tennis de table mais s’était distingué en football. Schalke 04 avait déjà frappé à la porte de son club, Lippstadt, quand il avait treize ans, mais son père avait refusé sans même en parler à son fiston.

En 1974, un certain Max Merkel, un des grands entraîneurs des débuts de la Bundesliga, lui a demandé de rejoindre le Bayern. Dans le vestiaire, le jeune joueur se faisait tout petit. Son père lui serinait que pour réussir, il fallait travailler et se taire. Aux journalistes, il servait des clichés, style :  » Il y a du pour et du contre en tout  » ou encore  » je n’ai pas d’avis « . Sur le terrain, par contre, bien servi par Breitner, il faisait des ravages.

Le 13 mars 1984, le Bayern l’a vendu à l’Inter pour 5,2 millions d’euros, assez pour rembourser ses dettes. En octobre 1991, le président Fritz Scherer a eu une si bonne idée qu’il n’en a pas parlé à Hoeness : il a installé deux anciennes stars à la vice-présidence. Franz Beckenbauer et Karl-Heinz Rummenigge allaient répondre aux questions difficiles, lui permettant de travailler en paix. Hoeness a avalé son café de travers en lisant le journal.  » Il est seul, sans personne pour lui signaler ses erreurs. Or, même Hoeness en commet « , selon Beckenbauer.

Qui pour la relève ?

À l’exception de quelques locations en fin de carrière et d’une peine de prison pour fraude fiscale, Hoeness n’a pas quitté le Bayern depuis 1970. Rummenigge est dirigeant du club depuis 26 ans. Aucun autre club au monde ne s’appuie sur une telle continuité, à tous points de vue.

Les deux sexagénaires commencent à se soucier de leur succession. Oliver Kahn et Philip Lahm sont les plus cités mais ils n’ont pas envie de travailler sous les ordres des deux hommes forts du Bayern. Le précédent directeur sportif, Matthias Sammer, l’a expérimenté, même s’il a fait de l’excellent travail, avant que des troubles de la circulation cérébrale ne l’obligent à faire un pas de côté. Mais il supportait très mal les critiques. Évidemment, l’ancien joueur de Dortmund ne faisait pas partie de la famille.

Hasan Salihamidzic, un ancien footballeur du Bayern, occupe son poste. Le Bosnien de 40 ans y a disputé plus de 300 matches, toutes compétitions confondues, de 1998 à 2007. Il est parmi les amis d’Hoeness et entretient de bons contacts avec les joueurs mais il manque de charisme. S’il ne réussit pas, Hoeness et Rummenigge se replongeront dans l’album de famille. Il comporte beaucoup d’autres noms intéressants.

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