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Quel sera l’impact de Romelu Lukaku sur le jeu des Red Devils?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’arrivée de Romelu Lukaku à Old Trafford ne bouleverse pas la hiérarchie continentale, mais elle permet à José Mourinho d’affûter son plan. Levez les yeux, car Manchester United est de retour.

Ils roulent à gauche, payent en livres sterling et parviennent à garder les cabines téléphoniques à la mode. De l’autre côté de la Manche, le monde est décidément différent. Et le football aussi, évidemment. La Premier League a ses propres règles, et une bonne partie d’entre elles ont été écrites par José Mourinho. Débarqué à Chelsea à l’été 2004, le Portugais s’est proclamé Special One, et a justifié son surnom d’emblée en démodant la domination d’Arsène Wenger et de Sir Alex Ferguson dans les Iles.

Mourinho augmente le rythme des échanges pour asphyxier tous ses adversaires, et fait de Frank Lampard un Ballon d’or en puissance en utilisant son flair au rebond. Lamps est inévitablement à la chute des ballons déviés par Didier Drogba, attaquant puissant et boulimique d’efforts comme le Mou les adore. Chelsea rebat les cartes anglaises avec deux titres en deux ans, et les lois footballistiques du Special One deviennent la référence. Pour reprendre le pouvoir, Fergie devra compter sur l’éclosion de Cristiano Ronaldo, rapidement devenu le meilleur dévoreur d’espaces de la planète. Plus le match va vite, plus Ronaldo fait souffrir les défenses. Même Chelsea ne tient plus la distance, Roman Abramovich finit par perdre patience, et indique à Mourinho la porte de sortie.

Le coach de Setubal emmène ses règles ailleurs. De Milan à Madrid, puis à nouveau à Londres, l’histoire de ses championnats gagnés s’écrit toujours avec une défense de fer (28 buts encaissés par saison, en moyenne), et une attaque qui atteint systématiquement la barre des 70 buts.

Cette saison, pour la première fois depuis son arrivée aux cimes du football continental, Mourinho a terminé un championnat loin des honneurs. Une pâle sixième place, à 24 points du champion, et des problèmes flagrants dès qu’on jette un coup d’oeil aux tableaux. Si Man U affichait la deuxième meilleure défense du Royaume derrière Tottenham, avec seulement 29 buts encaissés, la division offensive n’a fait trembler les filets adverses que 54 fois.

Zlatan, l’anti-Mourinho

José Mourinho.
José Mourinho.© REUTERS

Le public d’Old Trafford pourrait se consoler en se rappelant qu’il n’a vu qu’une seule défaite des siens. Mais dans les travées du stade des Red Devils, on s’est surtout lamenté sur les dix matches nuls en 19 rencontres, avec seulement 26 buts marqués. « Si vous transformiez en victoire 90 % des matches nuls à domicile de la dernière saison, alors United aurait lutté pour le titre », analyse Gary Neville, ancien de la maison devenu consultant pour les médias britanniques.

Le problème est évident, dans une ligue où les buts s’achètent à coups de transferts millionnaires. La recette des huit derniers champions se concocte avec une star offensive à plus de 20 buts, souvent assistée d’un lieutenant au-delà des 10 réalisations. 17 fois buteur la saison dernière, malgré une blessure qui l’a privé des semaines de vérité, Zlatan Ibrahimovic a tenu son rang. Mais derrière lui, il faut descendre jusqu’aux 6 buts pour trouver la trace de Juan Mata, deuxième meilleur buteur de l’effectif mancunien en Premier League.

Confiné dans le rectangle par Mourinho, Zlatan n’a jamais permis à ses milieux offensifs d’augmenter véritablement le tempo pour faire décoller leurs chiffres. Le mariage semblait d’emblée irrationnel, entre l’homme qui avait installé à Madrid les contre-attaques les plus rapides de l’histoire et un attaquant qui était au centre du football au ralenti du PSG de Laurent Blanc. Le Mou est conscient du problème, et fait très tôt d’Antoine Griezmann sa priorité pour l’été 2017.

Dépensier à outrance ces dernières saisons, le club prépare un nouveau gros coup de trésorerie, à tel point qu’il se débarrasse de Memphis Depay et Morgan Schneiderlin l’hiver dernier, sans renforcer un noyau qui aurait pourtant eu besoin de sang neuf pour continuer à lutter sur tous les fronts. « Nous voulons économiser pour être capables d’attaquer lors du prochain mercato estival », justifie Mourinho. « Nous tenterons de trouver de grands joueurs, qui peuvent vraiment nous aider. »

Assaut sur les îles

L’interdiction de transferts qui frappe l’Atlético bouleverse les plans mancuniens. Griezmann, qui s’était lui-même donné « six chances sur dix » de rejoindre les Red Devils cet été, jure fidélité aux Colchoneros pour une année supplémentaire, et contraint Man U à se lancer dans de nouveaux dossiers offensifs. Mission périlleuse, car le marché des attaquants est terriblement fermé.

Impossible de déloger les Robert Lewandowski, Luis Suárez ou Karim Benzema, ces 9 de l’élite mondiale dont United aurait bien besoin pour faire son retour dans le gratin européen. Pour s’installer à nouveau dans le top 5 du continent, Mourinho devra donc composer avec un attaquant qui n’émarge pas au top 10 mondial. Un temps intéressé par Alvaro Morata, il jette finalement son dévolu et ses millions sur Romelu Lukaku.

Une carence palliée au prix d’un crack mondial, dans la folie d’un marché que le Mou déplore : « J’étais habitué à voir les clubs payer de grosses sommes pour les grands joueurs. Aujourd’hui, tout le monde paie de grosses sommes pour des bons joueurs. »

Le message est clair : si un retour en Ligue des Champions était l’objectif prioritaire de la fin de saison dernière, pour offrir de la crédibilité et des millions supplémentaires au projet Mounited, le Special One place le focus de ce nouvel exercice sur la reconquête de son Ile. D’abord, parce qu’il contrarie les plans de Chelsea, où Antonio Conte est brouillé avec Diego Costa, sur ce difficile marché des 9.

En finale de l'Europa League, l'Ajax a été terrassé par les longs ballons en direction de Marouane Fellaini.
En finale de l’Europa League, l’Ajax a été terrassé par les longs ballons en direction de Marouane Fellaini.© BELGAIMAGE

Lukaku était la cible prioritaire des Blues qui, dans l’urgence, se rabattent sur… Morata. Mourinho a besoin d’un adversaire à torpiller, et son ancien club est clairement sa nouvelle cible, en sa qualité de champion en titre. Le Portugais a neutralisé Eden Hazard l’an dernier, et a poursuivi sa guerre psychologique en conférence de presse, quand il a déclaré que « Chelsea est une incroyable équipe défensive. » Vous connaissez des coaches qui aiment être taxés de « défensifs » ? Aujourd’hui, même les Italiens détestent ça.

Transformer les nuls en victoires

Ensuite, l’arrivée de Lukaku répond précisément aux carences affichées par United la saison dernière. Contrairement à Morata, qui a l’expérience de la Ligue des Champions mais pas celle de la Premier League, Romelu est une certitude de l’autre côté de la Manche. Le Diable rouge sort d’une saison à 25 buts avec Everton, et affiche un ratio (22,7 % de tirs transformés en but) plus flatteur que celui de Zlatan (14,8%) devant les gardiens adverses.

Malgré son manque de flair pour détecter le bon déplacement dans les seize mètres, Big Rom’ est une garantie. « Ce n’est pas Messi, mais il marquera 20-25 buts cette saison », affirme Kevin De Bruyne. L’analyse de Ryan Giggs est assez semblable : « La raison principale pour laquelle José a acheté Lukaku, c’est pour transformer tous ces nuls à Old Trafford en victoires. »

Mais au-delà des buts, la mission de Lukaku sera aussi de faire marquer les autres. Une mission qu’il accomplira, sans doute, plus avec les cuisses qu’avec les pieds. Sa pointe de vitesse est une menace pour n’importe quelle défense, comme il l’a déjà montré face à Manchester City, de l’autre côté de l’Atlantique, à l’occasion d’un match amical où il a transformé en but un long ballon de Paul Pogba. « En un-contre-un face à moi, sur 40 mètres, je jure que personne ne peut m’arrêter », expliquait Romelu à SFR Sport la saison dernière.

Une menace qui a un effet inévitable : pour s’exposer un peu moins aux longues courses du sprinter belge, les défenses reculent. La Premier League empêche Lukaku de courir, et le Belge a tendance à arrêter de bouger quand la profondeur n’existe plus, mais sa position haute ouvre des espaces à sa ligne de trois milieux offensifs.

Une donnée nouvelle, qui n’existait pas avec un Ibrahimovic que l’adversaire tentait absolument de garder le plus loin possible du rectangle, et dont devraient profiter les Rashford, Martial, Lingard ou Mkhitaryan pour augmenter leurs chiffres de la saison dernière.

Rom et Paul

Le spectre d’un appel en profondeur de Lukaku pourrait également installer Pogba un cran plus haut sur le terrain. Installé dans un rôle à la Patrick Vieira pour son retour à Manchester, le Français a souffert de l’absence d’un véritable numéro 6 dans le noyau mancunien.

La présence de Michael Carrick et d’Ander Herrera à ses côtés a coïncidé avec la meilleure période des Red Devils, mais les jambes vieillissantes de l’Anglais empêchaient Man U d’augmenter le rythme, sous peine de voir le milieu de terrain noyé face à l’énergie d’adversaires qui comptent sur des Victor Wanyama ou Ngolo Kanté pour asphyxier les abords du rond central.

Un milieu défensif semble d’ailleurs être la prochaine priorité du mercato de José Mourinho, car cette recrue lui permettrait de libérer Paul Pogba, pour le rapprocher du rectangle adverse et lui offrir les espaces entre les lignes libérés par la menace Romelu.

Lukaku devra évoluer dans son volume de jeu pour devenir l’attaquant rêvé de son nouvel entraîneur. Mourinho raffolait des marathons de Drogba et de Diego Costa, et il hérité d’un buteur qui s’était distingué, lors de la saison 2015-2016, pour être le joueur de champ à parcourir le moins de kilomètres par 90 minutes en Premier League. L’an dernier, encore, le Rom’ a abattu 8,69 kilomètres par rencontre. Moins qu’Ibrahimovic. Mais avant tout ajustement tactique, son corps d’athlète est déjà un atout pour le Special One.

Mourinho s’est inscrit dans la course aux muscles qui gouverne désormais la Premier League. Chelsea proposera sans doute un milieu de terrain Kanté-Bakayoko qui va arracher tous les ballons à la concurrence. Le pressing de Jürgen Klopp et de Pep Guardiola se fera avec des formats de poche, mais à l’énergie impressionnante. Mou répond avec des centimètres. Ceux de Lukaku (191cm) et de Victor Lindelöf (187) sont venus s’ajouter aux gabarits impressionnants de Pogba (185) et Bailly (187), dans un noyau où les joueurs sous le mètre 80 font office d’exceptions.

Tête en l’air

La taille et les sprints doivent faire entrer Manchester dans le cercle fermé des maîtres du football moderne. Mourinho a donné un aperçu de son plan la saison dernière, en finale de l’Europa League. Ce jour-là, les Ajacides ont été obligés à jouer long par un pressing ciblé, et les centimètres de Man U ont fait la différence à la chute du ballon.

À l’inverse, quand l’Ajax voulait priver les Mancunians de tranquillité dans leur moitié de terrain, Chris Smalling balançait un long ballon. Vers l’immense Marouane Fellaini ou dans la course des flèches offensives, peu importe. L’objectif était ailleurs : « Si le ballon n’est pas là, qui vont-ils presser ? »

Le Special One compte bien se réinstaller au centre du jeu. Débarrassé de sa dépendance aux jambes fatiguées d’Ibrahimovic et de Carrick, Man U devrait pouvoir augmenter le tempo. Mais Mourinho a compris que son rythme infernal d’antan ne suffisait plus face à des équipes qui ont appris à utiliser le ballon pour baisser le volume d’une rencontre.

Aujourd’hui, la Premier League ne s’envisage plus sans le pressing. Et la réponse du coach portugais est un Belge, tellement confiant en ses capacités qu’il pourrait défier Usain Bolt si on lui offrait une paire de spikes. Cela suffira-t-il en Ligue des Champions ? La logique et l’histoire récente de la compétition répondent non. Mais qui défie mieux la logique qu’un homme qui a emmené Porto et l’Inter sur le toit de l’Europe ?

L’objectif de Lukaku

Combien de buts doit marquer le meilleur buteur du champion d’Angleterre ? Réponse, avec les hommes qui ont porté leur club vers le titre depuis l’arrivée de José Mourinho à Londres:

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PAR GUILLAUME GAUTIER

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