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Pourquoi Neymar est le seul qui peut réconcilier la Seleção avec ses fans

Le revers 1-7 contre l’Allemagne durant son propre Mondial a dégoûté le Brésil du football.

Tout est paisible, ce jour-là, à Granja Comary, où quelques milliers de personnes assistent à l’entraînement du Brésil, peu avant la Coupe du monde. Subitement, la foule tressaille.  » Neymar ! « , crient les supporters, en montrant du doigt l’homme qui se dirige lentement vers eux. Ils se précipitent pour obtenir des autographes. Et se rendent compte que quelque chose cloche.

Gabriel Lucas mâche son chewing-gum en souriant, le regard dissimulé par des Ray-Ban. Depuis cinq ans, il est la doublure de Neymar et il joue ce rôle à merveille. Les lunettes, la démarche, les tatouages, la coupe de cheveux : tout y est. Au point que Lucas a également doublé la star dans un spot publicitaire pour la compagnie aérienne Gol.

Dans la séquence, Lucas dribble, ballon au pied, à travers l’aéroport. A la fin, il ôte ses lunettes solaires et regarde autour de lui. Une voix explique que Gol avait engagé le vrai Neymar pour le spot mais qu’il avait quelque chose de plus important à faire.

Gol avait programmé 80 heures de tournage avec Neymar mais il s’est blessé au pied en février à Paris.  » Sans lui, nous n’avons pas l’ombre d’une chance en Russie « , raconte Lucas, qui se produit aussi dans des réunions d’entreprises et des fêtes enfantines.

Cette petite phrase dit bien l’importance du nouveau dieu du football pour son pays. Au Brésil, tout tourne autour de celui qui est devenu le footballeur le plus cher du monde par son transfert de 222 millions d’euros du Barça au PSG.

Pendant des mois, le Brésil s’est demandé quelle équipe il allait déléguer en Russie : celle avec Neymar, qui s’est aisément qualifiée et qui serait une des favorites au titre mondial, ou celle sans lui, une bande désorganisée, chaotique aux yeux des Brésiliens, un groupe qui a encaissé sept buts en demi-finale contre l’Allemagne, sur ses terres.

Une affaire d’état

Le pire blâme jamais essuyé par le Brésil, une raison supplémentaire de faire de la santé de Neymar une affaire d’état.

Dès le mois de mars, des dizaines de chaînes TV assiègent donc l’hôpital de Belo Horizonte, dont Neymar a loué une aile entière pour son rétablissement. Une course contre la montre a commencé. Mission : permettre à la star de jouer dans trois mois.

Pendant sa revalidation, il loue une villa au bord de la plage. La presse se rue sur le moindre signe de vie et sur la moindre photo que le joueur poste lui-même sur Instagram. Un cliché qui le montre épuisé à l’issue d’une séance ardue ou une autre photo encore avec son amie, Bruna Marquezine.

Un cliché fait sensation : celui pour lequel il pose en souriant assis en chaise roulante, le jour du décès du scientifique Stephen Hawking, avec ces mots :  » Rester positif.  » Une autre photo provoque l’agacement : on le voit jouer au poker avec des copains. On se demande si la vedette prend son come-back au sérieux.

Jusqu’à ce que les supporters présents à l’entraînement de l’équipe nationale constatent soulagés, que pendant qu’ils bavardent avec son sosie, la star s’engage dans ses premiers duels, comme s’il ne s’était rien passé pendant trois mois.

A l’issue de cette première séance, ce n’est pas Neymar qui se rend à la conférence de presse officielle mais le médian Fred. Joueur du Shakhtar Donetsk, il a été contraint de déménager avec son club, suite au conflit qui sévit à l’est de l’Ukraine et il y aurait de nombreuses questions intéressantes à poser mais un seul thème retient l’attention :

 » Comment va le pied de Neymar ?  »

 » Neymar a-t-il senti quelque chose après l’entraînement ?  »

Un besoin de bonnes nouvelles

Le Brésil a manifestement besoin de bonnes nouvelles avant le tournoi. Pendant la préparation de la Seleçao, des camions ont bloqué les carrefours, entraînant des pénuries dans les grandes villes. Ils ont protesté contre l’augmentation des prix du carburant mais ce n’est pas tout.

La veille du Mondial, le Brésil sombre dans le chaos. Les quotidiens ne titrent pas sur la fête du football mais sur le chômage, très élevé, la corruption et la violence. En automne, les élections risquent de porter au pouvoir un populiste d’extrême droite.

Les sondages révèlent que la plupart des Brésiliens ne pensent pas au Mondial : ils ont d’autres chats à fouetter. Ceci dit, l’histoire nous apprend que l’atmosphère peut changer très vite quand l’équipe est performante en Coupe du Monde.

Tout dépend de Neymar. La plupart des Brésiliens restent convaincus qu’ils n’auraient jamais subi cette humiliation 7-1 si le Colombien Juan Zuniga n’avait pas touché le talon de Neymar en quarts de finale.

Avec lui, le match aurait connu un autre dénouement. Les autres Brésiliens auraient pu s’accrocher à lui quand ils se sentaient déraper contre l’Allemagne. Ils auraient eu un joueur capable de trouver des solutions. Bref, un leader.

Par un jour froid de février, le cauchemar resurgit quand Neymar s’effondre, sans qu’il y ait eu contact.  » C’est comme si le coeur n’était plus irrigué « , raconte le médecin de l’équipe, José Luiz Runco. Depuis lors, le Brésil a inventé un mot qui exprime sa dépendance : la Neymardependencia.

Une star qui pose débat

Tite, le sélectionneur qui a repris l’équipe deux ans après le 1-7, est conscient du problème. Pour augmenter le sens des responsabilités des autres joueurs, il fait circuler le brassard pendant l’indisponibilité de Neymar. Il le confie à Philippe Coutinho, qui a remplacé Neymar à Barcelone, ou au jeune Gabriel Jesus, qui vient d’être champion d’Angleterre avec Manchester City.

Mais les observateurs n’en démordent pas.  » Sans Neymar, nous ne sommes qu’à 50 % de nos moyens « , déclare l’ancien avant Dario José dos Santos, devenu analyste, comme tant d’autres grands footballeurs.

Dos Santos, mieux connu sous son surnom, Dada Maravilha, a fait partie de la légendaire formation brésilienne de Rivelino, Gerson et Carlos Alberto, championne du monde en 1970. Il sait de quoi il parle. Mais il n’était pas titulaire. Le Brésil avait un meilleur joueur à sa position : Pelé.

 » Quand l’un de nous était dans une situation délicate, nous volions à son secours et c’était notre principale force. Carlos Alberto était le patron, Gerson notre dirigeant et Pelé le génie. Comment Neymar peut-il être tout cela à la fois ?  »

Pelé partage son avis. Avant le Mondial, il a souligné, inquiet, que le Brésil ne formait pas une équipe et que ce n’était pas là le discours d’un vieil homme qui pense que tout allait mieux de son temps.

 » La nouvelle mentalité, que Neymar personnifie, nous inquiète. Les anciens trouvent qu’il vit trop le football, un sport collectif, comme si c’était une discipline individuelle. Ils ne comprennent pas qu’il ait quitté une équipe de format mondial comme le Barça pour aller jouer au cirque de Paris.

Quel plaisir trouve-t-il à se disputer sur le terrain avec Edinson Cavani pour savoir qui va botter un penalty ? Et maintenant, Neymar réfléchirait à une offre du Real, qui est disposé à allonger jusqu’à 400 millions d’euros.  »

Neymar : un dix qu'on aime au Brésil.
Neymar : un dix qu’on aime au Brésil.© BELGAIMAGE

Un soupir et des larmes de soulagement

L’ancien international ne supporte pas cet égocentrisme, pas plus que les dribbles inutiles de Neymar, qui en use pour provoquer l’adversaire. Bref, il déteste le comportement des nouvelles stars d’un football de plus en plus commercialisé.

L’écrivain José Miguel Wisnik, qui a toujours été enclin à défendre le joueur, issu de Santos, le club qu’il supporte, pense qu’il s’agit là d’une grande tragédie brésilienne. Plus Neymar grimpe les échelons de son univers, plus le joueur de rue ressort en lui.

Il est peut-être dépassé. Quand le sélectionneur du Brésil a défendu son avant, critiqué pour avoir rejoint Paris, Neymar a été tellement ému qu’il a quitté la salle de presse en pleurs.

Fin mai, trois mois après son opération, il s’est à nouveau exprimé en public, dans la mixed zone. Quelques jours plus tard, il est entré au jeu à la mi-temps d’une partie amicale contre la Croatie. D’un coup, le jeu, jusqu’alors terne, s’est animé.

A la 67e, il a éliminé trois adversaires avant de propulser le ballon dans les filets et tout le Brésil a poussé un soupir de soulagement.

Un court moment. Car Neymar a du mal à trouver son rythme au Mondial. Il a pleuré à l’issue du deuxième match de poule, contre le Costa Rica, alors qu’il a fait la différence en fin de partie, une joute contestée, durant laquelle on lui a refusé un penalty et montré une carte jaune. Il a pleuré malgré la victoire et la qualification qui allait de pair.

Ricardo Kaka, international brésilien et champion du monde en 2002, à la retraite depuis 2017, comprend son émotion.  » Ce sont les larmes de soulagement de quelqu’un qui est sous les feux de la rampe du matin au soir. La pression qui l’accable est énorme, dingue. On juge son rendement, sa classe mais aussi sa coupe de cheveux et même les valises qu’il porte.

Il n’est pas seulement un grand joueur mais une célébrité. Il n’est pas facile de gérer tout ça. Neymar doit encore apprendre à vivre avec sa double personnalité, celle de champion et de célébrité.  »

Un grand talent, mais…

Indépendamment du Mondial, Kaka ne peut prédire si Neymar va devenir le plus grand footballeur brésilien de tous les temps, supérieur à Ronaldo, Ronaldinho ou même Pelé :  » A 26 ans, il atteint tout doucement les meilleures années de sa carrière. Nous devons patienter encore un peu avant de poser un jugement. Il est un grand talent mais nous ne pourrons mesurer son impact réel que dans quelques années.  »

Par Marian Blasberg et Alessandra Bocci.

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