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Paulo Dybala, un « tueur » au visage d’ange

Le petit Paulo Dybala n’avait qu’un rêve: devenir footballeur professionnel à l’Instituto Cordoba. Voyage au centre de l’Argentine où Flogger est devenu La Joya.

Une voie de chemin de fer à l’abandon, qui semble mener vers l’infini, forme la frontière naturelle entre le quartier Jorge Newbery et La Augustina, le centre de formation du club de D2 de l’Instituto Atlético Central Cordoba.

Le décor est celui d’un quartier tout à fait normal de cette partie de Cordoba : des chiens errent, sans but précis, entre les détritus, et une femme conduit sa charrette en zigzagant entre les énormes nids de poule. Il y a 50 ans, c’était encore un territoire boisé sur lequel on chassait le gibier. Jusqu’à ce que les propriétaires du domaine, une riche famille des environs, cèdent leur patrimoine, ce qui a permis à l’Instituto d’étendre son centre d’entraînement au début des années 70. Celui-ci compte aujourd’hui dix terrains de football.

L'une des canchas du centre de formation
L’une des canchas du centre de formation « La Augustina » de l’Instituto Córdoba, où Paulo Dybala a débuté.© SARA ELISA GONZALEZ

Le château, bâti dans le style Disney, rappelle le passé prestigieux de l’endroit. « Autrefois, deux lions en pierre montaient la garde à l’entrée « , raconte Santos Turza, qui est salarié de l’Instituto depuis plus de 45 ans. » Un jour, on a fait irruption dans le château et les lions ont disparu. Mais, selon moi, les fauves sont partis de leur propre initiative parce qu’ils ne recevaient pas assez à manger.  » Et ça fait rire le bonhomme.

Turza ne tient pas bien sur ses jambes – les médecins ont dû l’amputer de quelques orteils parce qu’ils étaient rongés par le diabète – mais il n’a pas perdu son sens de l’humour. L’homme est une icône de l’Instituto : comme coordinateur général des jeunes et chasseur de talents, il a découvert entre autres Ernesto Corti (ex-River Plate), Oscar Dertycia (ex-Fiorentina et international argentin), DiegoKlimowicz (ex-Dortmund et Wolfsburg) et Silvio Romero (ex-Rennes et aujourd’hui au Club América, au Mexique).

Paulo Dybala est sa dernière grande trouvaille.  » J’ai été renseigné par quelqu’un de Lagune Larga, un petit village à une soixantaine de kilomètres de Cordoba dont Paulo était originaire « , explique Turza.  » Nous avons invité Paulo, alors âgé de dix ans, pour un entraînement, et après 15 minutes, j’en avais vu assez. J’ai interrompu l’entraînement pour discuter avec Paulo et puis j’ai annoncé à son père qu’il pouvait directement signer sa carte d’affiliation.  »

L'ancien coordinateur des jeunes Santos Turza a découvert Dybala dans son village de Laguna Larga.
L’ancien coordinateur des jeunes Santos Turza a découvert Dybala dans son village de Laguna Larga.© SARA ELISA GONZALEZ

En mémoire du père

Durant ses premières années à l’Instituto, Dybala n’est certainement pas meilleur que ses condisciples. L’Instituto parvient rarement à rivaliser avec les autres clubs de la ville, Talleres et Belgrano. Des matches qui dégénéraient souvent, à l’époque, et même un Dybala en feu ne pouvait pas faire la différence tout seul. Pourtant, son père Adolfo est convaincu que Paulo deviendra footballeur professionnel. Il veut à tout prix le voir réussir, après l’échec de ses autres fils, Gustavo et Mariano.

Trois fois par semaine, Dybala senior effectue le trajet entre Laguna Larga et Cordoba afin de conduire son fils à l’entraînement. À l’époque, il n’y a pas encore d’autoroute et il faut plus d’une heure pour parcourir les 60 kilomètres. Père et fils habitent un moment ensemble à Alta Cordoba, le deuxième district le plus peuplé de Cordoba, mais ils retournent à Laguna Larga après qu’un cancer eut été diagnostiqué chez Adolfo. Paulo reçoit le feu vert de l’Instituto pour être prêté six mois au club local, le Club Sportivo Laguna Larga. Après le décès de son père, l’adolescent retourne dans le club auquel il appartient, mais cette mort marque un tournant dans sa jeune carrière, estime-t-on à l’Instituto.

 » Nous avons toujours trouvé que Paulo était un bon footballeur, mais avant ses 15 ans, il y a toujours eu des garçons qui étaient meilleurs que lui « , raconte Pablo Alvarez, un quadragénaire qui a entraîné Dybala lorsqu’il évoluait en U15.

 » Avec la disparition de son père, il a perdu son guide. Mais en même temps, il a tiré de la force de son chagrin. Sa famille a veillé à ce qu’il puisse se concentrer sur le football. En Argentine, on peut très vite tomber très bas. J’ai vu beaucoup de footballeurs très talentueux qui ont abandonné leurs études pour tout miser sur le football et qui ont finalement dû arrêter le sport. Ils ne trouvent pas de travail, basculent dans la criminalité et finissent par atterrir en prison.  »

Dybala n’a disjoncté qu’une seule fois. Au repos du match Independiente – Instituto, il a été remplacé à juste raison par l’entraîneur, mais il est alors allé se plaindre auprès du délégué de l’équipe.  » Paulo jouait tellement mal qu’il devait y avoir quelque chose qui le tracassait « , explique son ancien équipier et ami Federico Beltràn.  » Subitement, nous l’avons vu s’en prendre au team manager. Ce n’était pas dans sa nature. Il a même haussé la voix. Nous avons pu suivre toute la conversation depuis le vestiaire… Finalement, Paulo a dû admettre qu’il ne se sentait pas bien parce qu’il avait rêvé de son père, la nuit précédente.  »

Avec la disparition de son père, il a perdu son guide. Mais en même temps, il a tiré de la force de son chagrin.  » Son entraîneur en U15

Fête de printemps

Alors que quelques équipes de jeunes de l’Instituto disputent leur dernier match de la saison, des gamins entrent et sortent de l’internat de La Augustina. Le bâtiment est situé en face de la cancha 7, que l’on a baptisé terrain Alberto Kempes. Plus loin, le terrain numéro 10 a été baptisé canchaOsvaldo Ardiles, du nom d’une autre légende locale. C’est sans doute pour cela que l’Instituto se considère, sans aucune prétention, comme la cantera del mundo.  » L’internat a été ouvert au début 2011 « , explique Maria-Teresa, l’une des fondatrices de La Augustina.  » En été de cette année-là, nous avons hébergé quelques arbitres retenus pour la Copa América. Tout était encore propre et net. Nous avions même installé la télévision par câble et placé des écrans LED. Après le tournoi, des voleurs ont tout vidé…  »

Maria-Teresa, l'une des figures de l'internat, pose devant la chambre numéro 3 qu'occupait Dybala.
Maria-Teresa, l’une des figures de l’internat, pose devant la chambre numéro 3 qu’occupait Dybala.© SARA ELISA GONZALEZ

Maria-Teresa s’arrête subitement devant la chambre à coucher numéro 3.  » Regardez, c’est ici que Paulo a dormi avec deux ou trois autres garçons. De quoi je me souviens de lui ? Un hombre muy tranquilo. C’était un garçon très calme, à la limite de la timidité. Et il aimait la propreté. Les garçons ne doivent pas beaucoup aider à l’entretien des locaux mais la partie de la chambre réservée à Paulo était toujours bien rangée. J’étais aussi étonné par sa modestie. Lorsqu’il a été promu en équipe Première, tout le monde a appris à le connaître. Parfois, on le réveillait pendant sa sieste parce que d’autres garçons voulaient poser en photo avec lui. Il ne s’en est jamais plaint, il était toujours disponible lorsqu’on le sollicitait. Bref, Paulo était un garçon amical, ouvert et simple.  »

Dès le premier jour, Dybala se lie d’amitié avec Nahuel Ruiz et Federico Beltrán, qui deviendront des compagnons inséparables. Ils proviennent tous les trois d’un milieu pauvre et rêvent de devenir footballeurs professionnels dans la Primera División argentine. Ils passent leurs temps libres à jouer à la PlayStation, organisent des tournois de football de table et boivent le maté.  » Paulo restait parfois dormir chez moi « , raconte Beltràn, qui a déménagé à Turin avec Ruiz il y a deux ans et est depuis le compagnon de chambre de Dybala.  » On sortait souvent danser. Ou on allait à la Fiesta de la Primavera, une fête de printemps célèbre dans la petite ville voisine de Carlos Paz dont beaucoup de garçons sont originaires.  »

Dybala a moins de succès avec ses conquêtes féminines. Personne, à l’internat, ne se souvient qu’il ait un jour demandé une autorisation spéciale pour aller voir une fille à Cordoba.  » Il était trop timide pour aborder spontanément une fille « , explique Beltrán.  » Mais quand on sortait en bande, on l’utilisait comme appât. Il ne parlait pas beaucoup, mais son visage d’ange suffisait à attirer l’attention des filles. On devait seulement veiller à le positionner stratégiquement, et les filles venaient vers nous d’elles-mêmes. Car ce n’est pas en leur racontant qu’on était des joueurs de l’Instituto qu’on pouvait les impressionner. Il y a d’autres raisons qui expliquent que Paulo n’avait pas de succès, selon moi : sa coupe de cheveux et son style vestimentaire. À une certaine période, la mode en Argentine consistait, pour les garçons, à porter des jeans moulants et à aplatir ses cheveux sur les côtés. Ces gars-là étaient appelés des floggers. Pour le narguer, on l’appelait Paulo flogger.  »

Dybala et son pote Federico Beltràn (à gauche) ont joué des années ensemble à l'Instituto.
Dybala et son pote Federico Beltràn (à gauche) ont joué des années ensemble à l’Instituto.© SARA ELISA GONZALEZ

Contrat minimum

À 15 ans, Dybala est appelé dans le selectivo, un groupe d’élite d’une vingtaine de garçons, entraînés par Pablo Alvarez. Ils recevaient en quelque sorte un traitement de faveur : ils pouvaient s’entraîner à l’une ou l’autre reprise avec les Seniors, pendant la semaine. À la rigueur, ils recevaient une place sur le banc et ils étaient suivis de près par le staff de l’équipe A. Contre Newell’s Old Boys, l’un des deux grands clubs de Rosario, Dybala marque deux fois et fait pour la première fois parler de lui en dehors de Cordoba.

Beltrán se souvient encore parfaitement de la scène.  » L’entraîneur de Newell’s l’a approché : Viens jouer chez nous la saison prochaine. Je me trouvais aux côtés de Paulo et il a répondu sèchement : Vous me donnez combien ? Mais je sais qu’il n’aurait jamais accepté d’aller jouer là-bas. Il était un gamin de l’Instituto ! J’ai grandi à l’ombre du stade et je n’ai connu aucun autre club que l’Instituto, entre 5 et 22 ans. Mon père Walter a lui-même joué à l’Instituto et il m’a transmis l’amour du club. Quand j’étais jeune, je n’ai jamais songé à jouer pour un autre club argentin, et je suis certain que c’était le cas de Paulo également.  »

Sur le plan financier, l’Instituto ne peut pas offrir grand-chose à Dybala.  » Nous ne payons pas nos jeunes joueurs « , confirme Alvarez.  » Nous leur offrons le gîte et le couvert, et ils peuvent aller à l’école à nos frais. Tout est gratuit. Dans notre pays, il est aussi de coutume que les agents offrent des chaussures de football à leurs ouailles. Je n’apprécie pas trop cette pratique, mais bon.  »

Plus tard, Newell’s Old Boys se présente officiellement à La Gloria pour attirer Dybala.  » Savez-vous combien ils étaient prêts à offrir ? Nada « , s’insurge Turza.  » Ils voulaient nous le prendre gratuitement. Le pire, c’est qu’en Argentine, cette forme de vol de jeunes joueurs est tolérée. Un club loue le joueur et promet à son club de verser une petite somme à la fin de la période de location. Au terme de la première période, le club intéressé demande une prolongation du contrat de location. Un certain montant est de nouveau proposé pour conclure l’accord. Au bout du compte, le jeune joueur signe son premier contrat professionnel dans son nouveau club et le club formateur ne touche rien. Dans le meilleur des cas, il perçoit des cacahuètes.  »

Pablo Alvarez, le coach de Dybala en U15 :
Pablo Alvarez, le coach de Dybala en U15 :  » Avant ses 15 ans, il y a toujours eu des garçons qui étaient meilleurs que lui. « © SARA ELISA GONZALEZ

Dybala ne voit pas son départ d’un bon oeil et finit par signer un contrat minimum qui ne lui garantit même pas 1000 euros par mois. Le 12 août 2011, il débute en Primera B Nacional, la deuxième division argentine, contre Huracan. Il a exactement 17 ans, 8 mois et 28 jours. Le club avait pourtant acheté un grand nom à l’Atlético San Martín : Miguel Fernández. Mais, en début de saison, il devait encore purger une suspension d’un match. Dybala a donc commencé le championnat et il ne quittera plus l’équipe. Le pauvre Fernandez observe depuis le banc comment Dybala réalise le premier de ses deux hat-tricks de la saison contre Atlanta, début octobre. L’Estadio Juan Domingo Perón s’est découvert un nouveau héros après Kempes, Ardiles et Klimowicz.

Même s’il n’a passé qu’une saison à l’Instituto, son effigie trône dans les catacombes du stade aux côtés des autres légendes du club. Flogger est subitement devenu La Joya, la perle, un surnom que lui a donné la presse argentine.  » J’étais nouveau à l’Instituto et la direction m’avait demandé de jeter un oeil sur les Espoirs. Elle pensait sans doute que je pourrais utiliser l’un ou l’autre joueur pendant la saison « , explique Dario Franco, qui était le coach de l’Instituto durant la saison 2011-2012 et qui est redevenu, depuis 2017, l’entraîneur du club après une pause de cinq ans.  » J’ai directement remarqué Paulo parce qu’il avait beaucoup de personnalité et n’hésitait pas à prendre des initiatives. Les joueurs plus âgés sont d’emblée tombés sous le charme de ce gamin qui montrait beaucoup d’assurance, tant aux entraînements qu’en match. Il ne montrait aucun signe de faiblesse et il a su s’attirer les bonnes grâces de tout le monde. Généralement, les joueurs qui sont aussi sûrs d’eux ont un mauvais caractère, mais Paulo a été accueilli à bras ouverts par tout le monde parce qu’il n’a jamais perdu sa modestie. Sur le terrain, il montrait beaucoup d’assurance, mais en dehors, il préférait ne pas se faire remarquer.  »

À La Augustina, on se souvient aussi de Dybala comme d’un garçon calme et honnête. Alvarez :  » Un jour, au coeur de l’hiver, j’avais organisé un entraînement à sept heures du matin. Le terrain était gelé, mais les garçons avaient vraiment envie de s’entraîner. J’étais en train de préparer le matériel lorsque j’ai reçu un ballon en plein visage. J’ai demandé qui avait envoyé ce ballon, mais le coupable n’a pas osé se dénoncer. À la fin de l’entraînement, Paulo est venu vers moi pour me dire : Je m’excuse, coach, c’était moi. Il aurait pu ne pas se dénoncer, mais il l’a fait.  »

La chasse aux millions disparus

Moins d’un an après ses débuts au plus haut niveau, Paulo Dybala obtient un transfert vers la Serie A et plus précisément vers Palerme. En fait, il aurait dû aller à l’Inter Milan – au début de l’année 2012, Dybala et l’Instituto ont même un accord avec les nerazzuri. Une somme de 3 millions d’euros a été convenue. Mais l’affaire ne se conclut pas et Palerme dépose finalement 12 millions d’euros sur la table pour s’assurer les services de la nouvelle petite merveille argentine. Soit quatre fois plus que quelques mois plus tôt.

Le 29 avril 2012, le président de Palerme, Maurizio Zamperini, annonce officiellement le transfert.  » Dybala, le nouveau Sergio Agüero, est à nous !  » Ce même jour, la nouvelle est démentie par JoséTeaux, le secrétaire général de l’Instituto, parce que l’agent qui a réglé le transfert n’avait pas de mandat pour vendre Dybala. Et qu’a-t-on découvert ? L’attaquant, âgé de 18 ans à l’époque, a été vendu dans le dos des dirigeants par Gustavo Mascardi, un agent qui, avec son fonds d’investissement, Pencil Hill Ltd, détient 55 % des droits de transfert de Dybala. Le 22 juillet, la transaction est officialisée, mais cette fois c’est une somme de 9 millions d’euros qui y est assortie. La somme de transfert exacte est un secret bien gardé. À l’Instituto, on est convaincu que de l’argent s’est perdu en route et est tombé dans les poches d’un ou plusieurs intermédiaires.

Mais l’Instituto pourrait encore remplir ses caisses dans les années à venir. Si Dybala est vendu à un club espagnol, l’Instituto touchera 3 % de la somme de transfert totale. L’Instituto espère donc que Dybala brillera pendant la Coupe du Monde et que le Real Madrid et Barcelone se le disputeront. Il y a deux ans, les dirigeants argentins avaient sérieusement râlé lorsque la Juventus avait refusé une offre de 80 millions du Barça.

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