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Messi contre l’Argentine

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Après trois finales perdues de rang, Lionel Messi a voulu laisser son maillot albiceleste au placard. Mais le Diez est revenu pour un dernier défi : conquérir le monde en bleu et blanc.

Le popcorn est de sortie. Comme un hommage au football américain, sport qui vit de ses arrêts de jeu, c’est aux tirs au but que le Chili et l’Argentine vont se départager. À quelques kilomètres de New York, dans une enceinte qui accueille habituellement les Giants et les Jets, Lionel Messi a pris rendez-vous avec l’histoire. Celle de son pays, et celle de son sport. Face à lui, Claudio Bravo doit seulement jouer les figurants. Parce que quelques instants plus tôt, Arturo Vidal a inauguré la séance en offrant le ballon aux gants de Sergio Romero. Messi s’avance, et rate la lucarne d’un bon mètre. Après la Coupe du monde 2014 et la Copa América 2015, la Pulga rate le coche pour la troisième fois en trois ans. Pour son centenaire, la Copa América ne voyagera pas à Buenos Aires.

À ce moment-là, les cinq buts et quatre passes décisives qui ont emmené l’Albiceleste en finale ne comptent plus. Messi porte son numéro 10 et ses rayures comme des fardeaux, tellement lourds qu’il doit s’asseoir sur le banc pour ne pas s’effondrer. Pendant que ses coéquipiers consolent Sergio Agüero, en larmes, sur la pelouse, Leo contemple la scène avec un regard sombre et perdu.

Le combat semble inégal. Et Messi renonce. Même l’extraterrestre du ballon rond a des moments terriblement humains. « Je pense que l’équipe nationale et moi, c’est fini », lâche le quintuple Ballon d’or en quittant les States, affublé d’une injuste étiquette de loser. Qui d’autre que l’Argentine, pourtant, peut se targuer d’avoir atteint trois finales internationales de rang ?

LE COMPLEXE DE MARADONA

« Le problème, pour tous les joueurs argentins, c’est que Maradona est devenu une unité de mesure. Et la majorité ne résiste pas à la comparaison », explique Jorge Valdano, champion du monde aux côtés du dieu Diego en 1986. L’héritage du D10S pèse lourd. Il faut pouvoir supporter le poids des attentes de 43 millions d’Argentins, sevrés de sacre mondial depuis 32 ans. Ariel Ortega, premier homme à porter le numéro sacré de Maradona lors d’un Mondial après la retraite du Pibe de Oro, a échoué en quarts de finale, puis lors de la phase de poules. En 2006, le plus grand Juan Roman Riquelme n’a pu atteindre le dernier carré. Même l’association entre le sélectionneur Maradona et la star Messi a heurté le bloc allemand dès les quarts en 2010. Quatre ans plus tard, c’est presque seul, avec pour unique écuyer un Angel Di Maria blessé face à la Belgique, que Messi a affronté le monde. Et il n’a perdu que de justesse, par la faute d’une frappe de Mario Götze au bout des prolongations.

Battu à deux reprises par le Chili aux tirs au but, Messi a échoué dans sa quête maradonesque. Son talent n’a pas suffi à gagner un titre mondial. Et même si Xabi Alonso racontait encore récemment à El País que « le football des années 80, ça n’a rien à voir », le monde ne peut s’empêcher de jouer aux comparaisons.

« Au niveau footballistique, Messi fait ce que Maradona faisait il y a trente ans. Mais en 2018, c’est deux fois plus difficile », argumente Xavi dans La Nación, pour défendre sa thèse selon laquelle Leo est déjà le meilleur de l’histoire du jeu, qu’il soulève ou non une Coupe du monde. « Tactiquement, physiquement, techniquement et mentalement, tous les joueurs sont meilleurs aujourd’hui. »

Lionel Messi
Lionel Messi© ISOPIX

« Messi se sent très argentin », poursuit l’ancien maître à penser du football catalan. Comme s’il fallait justifier un sentiment national rendu discret par un exil précoce en Europe. Contrairement à ses plus illustres compatriotes, qui ont associé leur football à des couleurs locales (le Boca Juniors de Maradona en tête), Leo a conquis son pays à distance, laissant à ses concitoyens cette frustration permanente de le voir empiler les sacres en Catalogne, sans jamais soulever « son » Argentine.

QUITO OU DOUBLE

Six semaines après avoir manqué le cadre dans le New Jersey, Lionel Messi est revenu. « Mon amour pour ce pays et ce maillot sont trop forts », a justifié la Pulga, qui a repris le fardeau national sur ses épaules pour le soulever jusqu’en Russie. À bout de pieds, il a emmené l’Albiceleste de l’autre côté de l’Atlantique, dirigeant le ballon à lui seul lorsqu’il semblait fermement décidé à rouler contre l’Argentine. Au bord du gouffre sur la pelouse de Quito, après un but précoce de Romarío Iborra pour mettre l’Équateur aux commandes, tout le pays s’en est remis à son numéro 10. Un triplé plus tard, Messi validait le ticket argentin pour son quatrième Mondial. Le dernier ? Leo aura 35 ans au moment où le football mondial s’installera au Qatar le temps d’un hiver. Sans doute quelques années de trop pour pouvoir conserver sa splendeur.

« Perdre trois finales consécutives, ça m’a fait vivre des moments difficiles », confie aujourd’hui le capitaine de la Selección, visiblement marqué par son unique quête inachevée. « Il a la faim et le besoin de gagner quelque chose avec l’Argentine », confirme Xavi. « Pour lui, c’est une frustration terrible de ne pas l’avoir réussi. En réalité, pas seulement pour lui, mais pour toute cette génération qui a eu beaucoup de malchance dans des moments-clés. Perdre deux fois la Copa América aux tirs au but, la finale d’un Mondial aux prolongations… Pfff. Si le football est juste, il doit quelque chose à l’Argentine. »

Le problème, c’est qu’en bleu et blanc, le football semble terriblement injuste avec ceux qui veulent s’offrir le droit de tutoyer Diego Maradona. Pour revenir de Russie avec le titre, Lionel Messi ne devra pas seulement battre l’Allemagne, le Brésil ou l’Espagne. Il devra aussi gagner contre l’histoire et le football.

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