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Liverpool: mon nom est Rouge

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les milieux de semaines européennes sans match à Anfield étaient presque devenus une habitude. Mais les Reds sont de retour, avec une armada offensive terrifiante et une défense trop fébrile. Spectacle obligatoire.

Les coeurs sont encore plus humides que les corps, pourtant copieusement arrosés par une averse à l’anglaise. Anfield est incapable de sécher ses larmes. Une dizaine de minutes plus tôt, pourtant, Steven Gerrard a fait honneur à son statut de légende locale, déposant un coup franc en pleine lucarne. Mais c’était seulement une égalisation. Le but inscrit par Fabian Frei en première période suffit à Bâle pour rester devant Liverpool, dans le sillage lointain du Real Madrid, et ainsi terminer à la deuxième place du groupe B. Nous sommes le 9 décembre 2015, et la Ligue des Champions des Reds est déjà terminée.

Quelques mois plus tôt, le kop d’Anfield a vécu un autre genre de désillusion. Meilleur buteur de la Premier League, puis bourreau des Three Lions à la Coupe du Monde, Luis Suárez quitte le nord de l’Angleterre pour Barcelone, où il formera très vite la redoutable MSN avec Messi et Neymar. Une fois encore, Liverpool voit partir un joueur devenu trop grand pour un club qui continue pourtant à se voir à la table des géants du continent. En janvier 2011, déjà, Fernando Torres avait cédé aux sirènes de Chelsea. Et un an et demi avant le départ du Kid d’Anfield, c’est Xabi Alonso qui avait pris l’avion direction Madrid pour devenir un rouage essentiel de la Casa Blanca.

« Liverpool n’est pas un club qui vend des joueurs. C’est gravé dans le marbre », tonne aujourd’hui Jürgen Klopp en conférence de presse. Le coach allemand évoque son joyau brésilien Philippe Coutinho, convoité par un Barça considérablement enrichi suite à la vente de Neymar. Arrivé dans le nord de l’Angleterre au mois d’octobre 2015, l’ancien entraîneur à succès du Borussia Dortmund a reçu la même mission à Anfield que dans la Ruhr : refaire de son club un grand d’Europe. Et les grands ne vendent pas leurs joueurs clés aux autres.

Klopp horror show

Pour sa première saison complète chez les Reds, avec un calendrier allégé par l’absence de Coupe d’Europe, Klopp a permis à Liverpool de réintégrer le Big Four, et ainsi de retrouver la prestigieuse Ligue des Champions suite à un succès en barrages contre Hoffenheim. Un retour loin d’être anecdotique, pour un club privé de titre national depuis que l’avènement de la Premier League a plongé le football anglais dans la modernité. Incapable de venir à bout de Manchester United, de Chelsea, ou plus récemment de City, c’est sur le continent que les Scousers ont maintenu leur légende, pesant comme un outsider permanent dans une course à la Ligue des Champions remportée en 2005, avant d’être effleurée lors d’une nouvelle finale deux ans plus tard.

Pourtant, cette année, les Reds n’enregistreront que leur troisième participation sur les neuf dernières éditions. Et le pire, c’est que les deux apparitions précédentes de Liverpool sur la piste aux étoiles sont mortes en même temps que l’hiver, avec une troisième place en poules. Derrière Lyon et la Fiorentina en 2010, puis Bâle et le Real Madrid en 2014. La venue des Galactiques de Carlo Ancelotti, alors champions d’Europe en titre, est d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui la dernière fois où les tribunes de Liverpool ont fait parler d’elles. Et c’était à leurs dépens, puisque le chef-d’oeuvre footballistique proposé par les Madrilènes ce jour-là a fait entrer la victoire de Cristiano Ronaldo and co dans les mémoires. C’était « la symphonie d’Anfield », et les Reds n’y étaient que des figurants.

« Retrouver la Ligue des Champions, c’était très important », concède Jürgen Klopp une fois la qualification en poche. « Cela amène de la confiance chez nous tous. » L’Allemand ne néglige pas l’importance du mental dans la course contre le temps que mène Liverpool depuis son arrivée, en quête de sa gloire passée. Anfield doit à nouveau croire en la force des siens et intimider tout adversaire qui entend résonner le You’ll Never Walk Alone dans les tribunes quand il monte sur le terrain.

Cette force d’intimidation, Klopp la travaille aussi lors du mercato. Avant la clôture des transferts, en plus de faire le forcing pour empêcher le départ de Coutinho, il lâche environ 40 millions d’euros pour attirer Alex Oxlade-Chamberlain à Anfield alors qu’il avait déjà dépensé autant pour Mohamed Salah quelques semaines plus tôt. De quoi rendre les Reds plus effrayants ? Le manager en est persuadé : « Salah nous rendra plus difficiles à défendre, parce que la vitesse est la chose la plus difficile à défendre en football. Elle crée de l’espace pour les autres. Rien que la menace de la vitesse crée des espaces à d’autres endroits, et nous devrons pouvoir les utiliser. »

L’impatience rouge

Parce que Liverpool va de plus en plus vite, et que tout le monde connaît désormais le football prôné par Jürgen Klopp, la plupart des équipes modestes de Premier League se regroupent devant leur rectangle quand elles affrontent les Scousers. Toujours en difficulté face aux blocs bas, qui privent Salah et Sadio Mané de la prise de vitesse indispensable à leur meilleur rendement, les Reds donnent une nouvelle illustration de leur malaise face aux « petites équipes » dès la première journée de championnat, avec un improbable 3-3 face à Watford. La victoire 4-0 contre Arsenal deux semaines plus tard n’est qu’une demi-surprise, confirmant une tendance observée la saison dernière : face au Big 6, Liverpool a engrangé 20 points sur 30 possibles, sans jamais connaître la défaite (cinq victoires, cinq matches nuls).

Notre plus grand challenge, c'est d'être plus forts défensivement en tant que collectif, estime Jürgen Klopp
Notre plus grand challenge, c’est d’être plus forts défensivement en tant que collectif, estime Jürgen Klopp© BELGAIMAGE

Injouables quand ils reçoivent de l’espace, les Reds souffrent par contre pour percer des murs. C’était déjà le problème de Klopp à Dortmund, et les réalités de la Premier League mettent son fameux gegenpressing à rude épreuve. « L’Angleterre n’est pas facile pour les coaches », aime expliquer Rafael Benitez, l’ancien manager de Liverpool. « Elle brise des concepts qu’on manie dans d’autres pays. Le pressing, par exemple : ici, si tu presses sur un côté, le joueur anglais va simplement balancer le ballon vers ton rectangle, et ils vont chercher le deuxième ballon. Là, ton pressing est déjà démonté. »

Ce double problème, qui englobe la construction d’attaques placées et la chasse au fameux « deuxième ballon », est incarné par la figure de Jordan Henderson, installé en milieu défensif devant la charnière des Reds. L’international anglais a certes une qualité de passe intéressante, mais son jeu est surtout marqué par une incapacité à faire le bon choix sous pression, doublée d’un replacement hasardeux lors des reconversions défensives qui laisse sans protection une défense déjà fébrile. Sur la scène européenne, là où les milieux de terrain comme Toni Kroos ou Luka Modric font la loi, le coeur du jeu des Scousers manque d’une référence. En attendant l’arrivée du prometteur Naby Keita, arraché à prix d’or à Leipzig, mais qui débarquera seulement l’été prochain, le leader du milieu d’Anfield pourrait être Emre Can, actuellement utilisé comme un genre de version moderne de Sami Khedira, mais dont les qualités et le calme balle au pied pourraient rendre d’autres services aux Reds. Face à Hoffenheim, Can a régné sur le milieu de terrain comme Henderson n’a jamais semblé capable de le faire.

Des buts dans l’ADN

« Notre plus grand challenge, c’est d’être plus forts défensivement en tant que collectif », a rappelé Klopp lors de la présentation de cette nouvelle saison. Au printemps, il avait souligné les mérites de Chelsea, parlant d’une « équipe expérimentée qui sait être froide comme la glace » pour justifier le titre national des Blues. Dans un championnat qui se gagne d’abord derrière – seul Manchester United est parvenu à être champion avec plus de 38 buts encaissés depuis le début des années 2000 – les Reds sont clairement à la traîne. Depuis le départ de Rafa Benitez, en 2010, Liverpool n’a jamais terminé une saison sous la barre des 40 buts encaissés.

Les prestations de Dejan Lovren sont souvent pointées du doigt, tout comme celles d’un Simon Mignolet qui n’a visiblement pas la palette suffisante pour être le gardien d’une équipe qui veut pratiquer un football ambitieux. Mais ni le gardien, ni ses défenseurs ne sont aidés par la structure générale d’une équipe qui attaque sans penser à la façon dont elle devra éventuellement se défendre. Les milieux intérieurs accompagnent généralement le pressing sur les côtés et désertent ainsi un axe du terrain livré à l’adversaire quand la défense des Reds repousse un long ballon. Les défenseurs, pourtant pas inférieurs qualitativement parlant à ceux de l’époque de Benitez, font face à une perte de confiance qui a amené Klopp à vouloir recruter dans ce secteur. Virgil van Dijk, impressionnant sous les couleurs de Southampton, était la piste prioritaire du manager allemand, mais les négociations entre le joueur et les Scousers ont éclaté au grand jour, incitant le club à présenter ses excuses aux Saints et à interrompre les négociations.

La défense, talon d’Achille autoproclamé de Liverpool, reste donc inchangée, sans même être mieux protégée par un milieu de terrain où les changements de position sont si nombreux que les joueurs en oublient parfois où ils doivent se replacer à la perte du ballon. Mais défendre est-il vraiment un souci majeur quand on porte le maillot des Reds ? À l’époque où Rafael Benitez régnait sur les rives rouges de la Mersey, Sir Alex Ferguson aimait répéter que l’équipe du manager espagnol était beaucoup trop défensive par rapport à l’héritage que devrait laisser le club. Et dès sa première conférence de presse, Jürgen Klopp a affirmé que ses hommes allaient jouer « un football d’émotions. C’est important à Anfield. Tu ne peux pas avoir la meilleure ambiance du monde, et jouer d’une autre façon ».

L’histoire récente de Liverpool le confirme. Les dernières pages glorieuses de l’histoire du club se sont écrites avec une animation frénétique au tableau d’affichage. Pour atteindre la finale de l’Europa League en 2016, les Reds ont claqué un 4-3 épique face à Dortmund. Quinze ans plus tôt, c’est en venant à bout d’Alavés, après des prolongations conclues sur le score de 5-4 et un but en or, que le club remportait la Coupe de l’UEFA. Et entre les deux, il y a évidemment eu la mythique finale d’Istanbul, gagnée aux tirs au but face à un Milan AC qui menait pourtant 0-3 à la pause. Même la dernière fois que les Scousers ont passé les poules de la C1, leur aventure s’est terminée par un spectacle. Battus 1-3 à Anfield par Chelsea en quart de finale aller, les équipiers de Steven Gerrard avaient quitté la C1 sur un spectaculaire 4-4 à Stamford Bridge. Liverpool n’a jamais calculé, et Jürgen Klopp non plus. L’Europe est prévenue : l’Anfield show est de retour.

par Guillaume Gautier

Mané, c’est assez ?

Meilleur buteur du club la saison dernière, Sadio Mané s’est rapidement fait une place de choix dans le onze de Jürgen Klopp. Le mariage était une évidence entre les deux hommes, le Sénégalais étant passé par un Red Bull Salzbourg qui prône un jeu aussi électrique que celui de l’ancien coach de Dortmund. Désormais installé sur l’aile gauche, afin de pouvoir rentrer sur son bon pied et jouir de la même liberté que toutes les stars du football mondial sur le terrain, Mané est très vite devenu le joueur majeur du projet de Liverpool.

L'avenir continental des Reds dépend sans doute du plafond de Sadio Mané.
L’avenir continental des Reds dépend sans doute du plafond de Sadio Mané.© BELGAIMAGE

Son absence l’hiver dernier, alors qu’il disputait la CAN au Gabon, a coïncidé avec un coup de pompe fatal aux Reds dans la course aux trophées. Preuve de son influence déjà importante dans le vestiaire, il a incité le capitaine Jordan Henderson à convoquer une réunion entre les joueurs en lui expliquant qu’il avait suivi chacun de leurs matches depuis l’Afrique et qu’il n’avait pas reconnu l’équipe. Dès son retour, Sadio Mané a claqué un doublé contre Tottenham et a définitivement réinstallé les Reds dans le top 4. L’équipe est articulée en fonction de ses qualités, avec la présence en pointe d’un Roberto Firmino qui pense plus à faire marquer ses équipiers qu’à trouver lui-même le chemin des filets. Si Mané est le Ronaldo de Liverpool, alors Firmino est son Benzema.

Mais Mané peut-il être un Ronaldo ? C’est la question que doit se poser Liverpool, car la reconquête de l’Europe ne pourra pas se faire sans la présence d’un joueur majeur, capable de gagner de grands matches à lui tout seul. L’avenir continental des Reds dépend sans doute du plafond de leur ailier africain.

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