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Les footballeurs de rue du Panama

Presque tous les joueurs panaméens qui affronteront la Belgique lundi à Sotchi ont grandi dans la rue. Au Panama, footballeur est un métier à risques…

Lucerne, 27 mars 2018. Alors que les Diables Rouges affrontent l’Arabie saoudite à Bruxelles, la sélection du Panama joue en Suisse, près du Lac des Quatre Cantons. Il s’agit de son deuxième match amical en Europe, après le Danemark. Hernán Darío Gómez, le coach colombien des Canaleros, veut que ses joueurs fassent connaissance avec le football européen de haut niveau. Son équipe s’apprête à faire ses débuts en Coupe du Monde et peu d’internationaux évoluent dans cette partie du globe. Ils sont cependant de plus en plus nombreux à porter le maillot de clubs étrangers. On est passé de 19 en 1999 à 48 aujourd’hui. Mais neuf seulement jouent en Europe et on n’en retrouve pas un seul dans un des cinq plus grands championnats. D’où l’importance de ces matches amicaux.  » Le football européen est très différent de celui auquel nous sommes confrontés en Gold Cup ou lors des matches de qualification « , dit Gómez.  » Les équipes européennes ont pratiquement toutes le même style : elles sont solides, rapides et dynamiques. De plus, et c’est le plus difficile pour nous, elles sont précises, elles jouent en une ou deux touches de balle.  »

Il s’en rend compte ce soir-là puisque la Suisse s’impose 6-0. Les visiteurs sont surclassés sur tous les plans : technique, tactique et vitesse d’exécution. Les Danois avaient éprouvé plus de difficultés puisqu’ils ne l’avaient emporté que 1-0. Le scout belge prend bonne note, sans plus. À Sotchi, tout sera différent.

Patriotes

Les supporters du Panama s’en fichent un peu. À Lucerne, ils sont quelques dizaines, vêtus des couleurs de leur pays. La pluie ne les dérange pas : ils chantent le même refrain tout au long de la soirée. L’un d’entre eux s’appelle Luis. Cela fait cinq ans qu’il habite en Suisse. Dans son pays, il était danseur.  » Je travaillais dans un hôtel de Boca del Toro, un endroit très touristique. C’est là que j’ai rencontré ma femme, une Suissesse. Elle a vécu deux ans au Panama puis elle est tombée enceinte. Nous voulions que le bébé naisse en Suisse et nous avons déménagé. Ici, il aura un meilleur avenir, une plus belle vie, de meilleurs soins de santé… Je travaille ici depuis cinq ans et nous avons un deuxième enfant.  »

Alors que le bus approche du stade, il hurle son soutien à son pays.  » En principe, le Panama est une petite équipe d’un petit pays mais les joueurs ont fait preuve de beaucoup de coeur au cours des dernières années. Chez nous, le sport qui attire le plus de spectateurs, c’est le base-ball.  » On lui demande s’il connaît les stars de l’équipe de foot, il rigole :  » Des stars ? Nous avons beaucoup de bons joueurs mais pas de véritable star. Ce sont des battants qui luttent pour l’honneur de leur pays jusqu’à la dernière seconde. Ils sont très patriotes. Je crains qu’au niveau footballistique, nous soyons un peu courts, mais nous compensons avec le coeur, jusqu’au bout. Notre symbole, c’est Román Torres, l’homme qui a inscrit le but décisif à la fin du match qualificatif.  »

Edgardo Vidal est commentateur à la radio et à la télévision. Comment son pays a-t-il fait pour se qualifier ?  » Tout au long de la campagne qualificative, nous avons lutté pour chaque point. C’est le couronnement d’une génération dorée qui a débuté en 2002-2003 et qui arrive en fin de carrière. En principe, cinq des titulaires sont des trentenaires. Nous les appelons los viejitos, les petits vieux. Ça peut sembler péjoratif mais ils ont fait beaucoup pour le pays. Luis Tejada, Felipe Baloy, Blas Pérez, Gabriel Torres, Jaime Penedo, … Notre gardien, on l’appelle San Penedo. Il y a quatre ans, nous avions été éliminés à la dernière seconde du dernier match. Cette mésaventure nous a aidés. Cette fois, il y avait à nouveau beaucoup de pression au moment d’aborder la dernière rencontre mais les joueurs sont restés calmes. Le style de l’équipe ? Elle est ordonnée, elle attend l’adversaire et elle tente de profiter de ses erreurs.  »

Irascible

Tous ceux à qui nous parlons soulignent le travail du sélectionneur colombien. Un homme qui a l’expérience des Coupes du Monde et qui, ces dernières semaines, a mis l’accent sur la préparation physique des joueurs, avec des entraînements très durs. Pour lui, c’est la clef.

Le Colombien connaît la musique. Il était déjà adjoint de l’équipe nationale de son pays lors des Coupes du Monde 1990 et 1994. En 1998, en France, il était le sélectionneur principal de la Colombie. Quatre ans plus tard, il dirigeait l’Équateur, qui était alors en pleine crise économique et sombrait dans la violence. Le football y était une affaire d’État. Un an et demi avant le tournoi, Bolillo (c’est son surnom) était au restaurant avec des membres de son staff lorsque des inconnus ont débarqué et lui ont reproché de ne pas avoir sélectionné le fils d’un ex-président du pays. Trois coups de feu ont été tirés. Touché par une balle, le sélectionneur a été transporté à l’hôpital, où il est resté deux jours. Les joueurs ont dû le persuader de ne pas démissionner. Six mois plus tard, l’Équateur faisait match nul face à l’Uruguay à Quito et se qualifiait pour la Coupe du Monde, la dernière de Gómez avant celle-ci.

Gómez est irascible. Un jour, au cours d’une discussion qui semblait amicale, il a pris le sélectionneur du Honduras à la gorge. Il a également dû démissionner de son poste de sélectionneur de la Colombie après avoir donné un coup à une femme dans un bar de Bogotá alors qu’il était ivre. Après la défaite (4-0) aux États-Unis, alors qu’on pensait que le Panama n’avait plus aucune chance de se qualifier et qu’il se plaignait du manque de soutien dans les médias, un journaliste qui suit le football depuis 30 ans lui a dit que ce résultat lui faisait de la peine. La réplique de Gómez fut cinglante :  » Ce n’est pas parce que tu fais ce métier depuis 30 ans que tu connais le football. J’ai vu des centaines de corridas mais je n’y connais rien en taureaux.  »

Métier dangereux

Lorsque le Panama a entamé sa campagne de qualification par une victoire (0-2) en Jamaïque, le 13 novembre 2015, Darwin Pinzón était sur le banc. Ne cherchez pas son nom dans la sélection : le meneur de jeu est en prison pour attaque à main armée. Ce soir-là, à Kingston, Amílcar Henríquez est monté au jeu. En avril 2017, il a été assassiné à Colón, la ville où il jouait.  » Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé « , dit Luis.  » Je pense qu’il s’agissait d’un règlement de comptes ou d’une histoire dans laquelle son frère était impliqué.  » Depuis ce jour funeste pour Amílcar, plus aucun joueur du Panama ne porte le numéro 21.  » Mais cette tragédie a également motivé l’équipe « , dit Edgardo Vidal.  » Je pense que sa mort, en pleine campagne de qualification, a joué un rôle dans notre qualification. C’était comme si les joueurs voulaient faire quelque chose pour lui.  »

N’empêche qu’au Panama, le métier de joueurs de foot comporte certains risques. Selon So Foot, les joueurs y gagnent moins que le salaire minimum (390 euros par mois) et sont donc parfois obligés de faire autre chose ou de tremper dans des affaires louches. Si ce n’est pas eux, c’est un ami ou quelqu’un de leur famille.  » Beaucoup de footballeurs viennent de la rue et ont connu des problèmes par le passé « , dit Luis.  » Dès qu’ils gagnent un peu d’argent, ils font des jaloux.  »

Le Mondial permettra-t-il au football panaméen de redorer son blason ?  » À condition d’obtenir de bons résultats « , dit Vidal.  » La qualification a déjà ouvert certaines portes. Sans cela, nous n’aurions jamais été invités par la Suisse, le Danemark ou l’Autriche. Le monde du football reconnaît notre existence. À nous de faire en sorte de ne pas ternir cette image. Pour cela, il faudra bien jouer en Russie.  »

Par Peter T’Kint

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