© getty image

Le sauveur de l’italie

En engageant Cristiano Ronaldo, la Juventus fait rêver ses fans mais aussi toute la Botte.

16 juillet 2014, une ambiance de folie règne devant l’entrée du centre d’entraînement de la Juventus. Ça crie et ça siffle en direction de l’homme qui vient de faire son entrée, Massimiliano Allegri. Ses amis l’appellent Max mais à Turin, il en a peu. Les visages des fans sont tendus : ils ne veulent pas de cet homme qui a offert le titre à Milan, n’a jamais rien dit de sympa au sujet de leur club et vient s’asseoir sur le trône du roi que les Juventini adoraient : Antonio Conte, l’entraîneur qui, après des années de vaches maigres, leur a offert trois titres consécutifs, atteignant même une fois le record historique de 102 points.

Le premier jour, à midi, il a fallu interrompre la vente des maillots frappés du numéro 7 car la lettre  » O  » était épuisée.

Conte a démissionné au lendemain de la reprise des entraînements, furieux et frustré parce qu’il n’a pas obtenu les renforts souhaités, comme le Colombien Juan Cuadrado. Le directeur sportif, Giuseppe Marotta, a dû trouver un entraîneur du jour au lendemain. Et il s’est tourné vers Allegri, sans club depuis son limogeage à Milan. Un entraîneur dont même le patron des rossoneri,Silvio Berlusconi, s’est demandé s’il était capable d’entraîner un grand club, même s’il avait déjà été champion.

Le Juventus Stadium, théâtre de ses futurs exploits ?
Le Juventus Stadium, théâtre de ses futurs exploits ?© getty image

La tâche du nouvel entraîneur s’annonce compliquée. Au cours d’une de ses premières interviews, il déclare calmement qu’il n’est pas et ne veut pas être un clone de son prédécesseur.  » Conte m’a laissé une équipe de travailleurs rompus aux règles et à la discipline mais notre philosophie du football, notre approche de ce sport n’est pas la même. Cela ne veut pas dire que l’un a raison et l’autre a tort mais il n’y a pas qu’une seule façon de gagner.  »

 » Un entraîneur ne doit pas être autoritaire. Le plus important, c’est d’être légitime. Que l’on crie ou pas importe peu. J’ai eu des entraîneurs qui ne disaient presque rien mais nous apprenaient beaucoup. Et d’autres qui n’arrêtaient pas de crier mais dont je n’ai rien retenu.  »

Une standing ovation pour CR7 au Juventus Stadium

Quatre ans plus tard, Allegri est toujours à la Juventus et il est plus solidement installé que jamais dans le fauteuil d’entraîneur. Cuadrado a fini par arriver en 2016, avec deux ans de retard. Les renforts sur lesquels Allegri a pu compter en 2014 sont l’attaquant espagnol Alvaro Morata et le défenseur français Patrice Evra, un joueur expérimenté. Cette saison, plus aucun des titulaires avec qui il a entamé l’aventure n’est encore là. Seul Claudio Marchisio était encore présent à la reprise des entraînements. Giorgio Chiellini aussi mais, en 2014, il n’était pas titulaire.

Au fil du temps, les critiques se sont tues. Allegri n’a pas été viré : il a été champion et a même causé la surprise en hissant son équipe en finale de la Ligue des Champions, où il ne s’est incliné que face à Barcelone. C’était la première fois en près de dix ans que la Juventus tutoyait le top européen et cela a donné du crédit à son entraîneur. Pour sa deuxième saison, il a eu droit a des renforts de qualité puisque la Juventus a dépensé plus de 80 millions d’euros pour acheter Alex Sandro, Mario Mandzukic et la révélation de la Serie A, le buteur Paulo Dybala, acquis à Palerme en échange de 32 millions d’euros.

Cristiano Ronaldo a été accueilli comme un...messi(e) à Turin.
Cristiano Ronaldo a été accueilli comme un…messi(e) à Turin.© getty image

Résultat ? Un nouveau titre ! Avant la troisième saison d’Allegri, la Juventus est allée chercher Gonzalo Higuaín à Naples pour un montant-record de 94 millions. Et l’entraîneur lui a offert un troisième titre d’affilée, ainsi qu’une nouvelle finale de Ligue des Champions. L’an dernier, elle a de nouveau dépensé 80 millions pour acheter Federico Bernardeschi, Douglas Costa & Cie. Et elle a de nouveau été championne mais, en demi-finale de la Ligue des Champions, elle s’est heurtée à un Cristiano Ronaldo tellement brillant qu’après son but inscrit d’un magnifique retourné, tout le Juventus Stadium s’est levé pour l’applaudir.

Une star touchée par l’attitude du public turinois

Quatre ans après avoir sifflé Allegri, les fans turinois (et pas seulement eux) sont à nouveau rassemblés devant le centre d’entraînement pour saluer le Messie du football. A l’arrière-plan, Allegri sourit. Deux mois plus tôt, après l’annonce du départ de Zinédine Zidane, il s’est vu proposer le poste d’entraîneur du Real Madrid mais lorsque Florentino Pérez l’a appelé, il a poliment décliné l’invitation, comme il avait refusé celle de Chelsea (succéder deux fois à Conte, c’était sans doute trop).  » J’ai remercié Florentino Perez de s’intéresser à moi mais je lui ai expliqué que j’avais donné ma parole à la Juventus et que je n’avais pas l’intention de la renier.  »

A ce moment-là, Allegri ne savait pas encore qu’un mois plus tard, il allait atterrir sur une autre planète. Lorsque Higuain, alors transfert le plus cher de tous les temps de la Juventus, avait été présenté au balcon du siège du club, 500 fans étaient venus l’applaudir. Pour Ronaldo, à la mi-juillet, ils étaient trois mille. En un semaine, le nombre de suiveurs de la Juventus sur Instagram avait progressé de 1,5 million, passant de 10,37 à 11,92 millions.

A l’arrière-plan, le directeur sportif Fabio Paratici sourit. C’est lui qui, dans l’ombre, a permis la réalisation de ce transfert. Le 3 avril, pour rigoler, il aurait fait une remarque à Jorge Mendes, l’agent du Portugais, qui venait de recevoir une ovation debout au Juventus Stadium. Ronaldo avait été touché et Paratici avait eu une idée. Le 26 juin, il en avait parlé à Mendes, qui était aussi l’agent de João Cancelo, un ailier de Valence acquis par la Juventus en échange de 40 millions d’euros.

En 15 jours, les 29.300 abonnements du Juventus Stadium étaient écoulés.

A partir de ce moment-là, tout était allé très vite. L’agent de la star était prêt à discuter d’un transfert. Aurelio De Laurentiis, président de Naples, a d’ailleurs reconnu voici peu qu’en avril il avait eu un contact téléphonique avec Mendes, qui voulait savoir si CR7 intéressait Naples. Bien sûr que oui mais, après un bref calcul, De Laurentiis avait décidé que son club n’avait pas les moyens de s’offrir une telle star.

Toute l’Italie à l’arrêt, comme pour Diego Maradona

Lors de la présentation de Ronaldo, 200 journalistes et 30 équipes de télévision sont présents à la Sala Gianni e Umberto Agnelli, l’endroit le plus prestigieux du nouveau siège administratif du club. Toute l’Italie est à l’arrêt, comme si Dieu était descendu sur terre et avait choisi la Botte, comme Il l’avait fait 34 ans plus tôt. Le 4 juillet 1984, toute l’Italie avait célébré l’arrivée de Diego Armando Maradona pour un montant-record à Naples. La star argentine avait été présentée au stade devant 80.000 fans venus voir un petit homme en T-shirt et en jean exécuter quelques dribbles et saluer la foule. La Juventus avait envisagé une présentation identique dans son stade mais elle s’était ravisée par la suite.

Le sauveur de l'italie
© getty image

Il n’empêche que c’est la folie, tout comme le jour où le Real avait acheté Ronaldo. En juin 2009, le club espagnol avait vendu vingt mille maillots en deux heures. Cette fois, pendant deux jours, un maillot frappé du numéro 7 (gentiment cédé par Cuadrado) a été vendu toutes les minutes dans les différentes boutiques de la Juventus, où on faisait la file. Et pas seulement à Turin mais aussi dans les autres grandes villes. Le premier jour à midi, il a déjà fallu interrompre la vente parce qu’il n’y avait plus de lettre  » O  » pour mettre sur les maillots. Il a fallu en commander en toute hâte au siège principal d’Adidas. Et un maillot comme celui-là, pour adultes, coûte tout de même 104,05 euros.

Alors que les rivaux râlent (l’Inter a construit une équipe solide pour tenter de décrocher le titre, Naples a engagé Carlo Ancelotti pour faire mieux que la deuxième place de la saison dernière), le pays fait la fête.. Soudain, la Serie A n’est plus le vilain petit canard des dix dernières années, lorsque les grandes vedettes ont pris le chemin de l’Angleterre. Elle redevient The Place To Be comme dans les années ’80 et ’90, lorsque les projecteurs du monde entier étaient braqués sur elle. Les Italiens n’ont qu’un regret : ils ont vendu les droits de télévision juste avant l’arrivée de Ronaldo. Ceux-ci ont certes augmenté mais ils auraient été bien plus élevés encore s’ils avaient été négociés après l’arrivée de la nouvelle star.

Le sauveur de l'italie

Un faible pour les joueurs capables de faire la différence

A la Juventus, Ronaldo débarque dans un environnement qui lui convient parfaitement. A Turin aussi, seule la victoire compte. C’est ce que le président Andrea Agnelli a dit il y a un an lors de sa visite au Parlement italien.  » A la Juventus, on ne vit que pour la victoire. Nous participons au championnat pour le gagner, tout en sachant que ce sont des humains qui font la différence. Pour cela, il faut former un groupe uni.  »

La famille Agnelli, qui a construit l’empire Fiat, règne sur le club depuis 1923. A l’époque, la Juve était encore un club comme les autres. Dans sa ville, il vivait même dans l’ombre du FC Torino, un club bourgeois. Les choses ont rapidement changé et les Agnelli ont toujours eu un faible pour les joueurs capables de faire la différence.

En 1957, lorsque le jeune président Umberto Agnelli (22 ans à l’époque) a accueilli la future star Omar Sivori en disant :  » Nous vous avons attendu pendant deux ans « , celui-ci a répliqué :  » Cela fait cinq ans que je rêve de porter le maillot de la Juventus.  » Michel Platini, lui, était le joueur préféré de Gianni Agnelli.

 » Nous l’avons acheté pour le prix d’une baguette, c’est lui qui a ajouté le fois gras « , disait-il au sujet du Français. Et quand on lui demandait ce qui le rendait heureux dans la vie, il répondait :  » Voir jouer Platini pendant 10 minutes.  »

Un jour, il s’est inquiété de voir Platini allumer une cigarette à la mi-temps d’un match. Il a attiré l’attention de son meneur de jeu qui a répondu :  » L’important, c’est que Bonini ne fume pas.  » Massimo Bonini était, à l’époque, le pilier de l’entrejeu.  » C’est lui qui doit courir, pas moi. Moi, je suis Platini.  » Agnelli avait apprécié la réponse.

En 2010, après les années difficiles ayant suivi le scandale du Calciopoli et la relégation en Serie B, Andrea Agnelli est devenu président de la Juventus et en a fait un club moderne. Sous la direction de son père et de son oncle, en dehors des joueurs et des entraîneurs, la Juventus n’employait que huit personnes, qui s’occupaient essentiellement des joueurs. Aujourd’hui, elle compte quatre cents employés, joueurs et staff compris.

Une machine qui n’arrête jamais de s’entraîner

En cinq ans, Andrea a doublé le chiffre d’affaires du club, notamment grâce aux recettes du Juventus Stadium, premier stade moderne d’Italie. En 2016-2017, le chiffre d’affaires de la Juventus était de 422 millions d’euros, soit plus de 100 millions de plus que celui de ses rivaux (274 millions pour l’Inter, 204 millions pour Naples et l’AC Milan). Elle était la seule à pouvoir dépenser 317 millions d’euros pour payer son personnel.

Malgré cela, au cours des trois dernières saisons, la Ligue des Champions lui a permis de faire du bénéfice. Son prochain bilan sera dans le rouge car elle a beaucoup acheté (Higuain) et parce qu’elle a gagné moins d’argent sur le plan européen (elle a été éliminée en demi-finale et a dû partager les recettes des droits de télévision et de publicité avec l’AS Rome).

Lorsqu’il est devenu président, Andrea Agnelli craignait de ne jamais pouvoir égaler le palmarès de son père et de son oncle. Avec sept titres en huit ans, ces craintes ont disparu.

Fumeur invétéré, Agnelli ne doit pas non plus redouter que Ronaldo allume une cigarette à la mi-temps d’un match ou qu’il se laisse aller à d’autres excès du genre. Au cours d’une interview accordée il y a quelques semaines et dans laquelle il parlait du temps passé en compagnie du Portugais à Manchester United, Patrice Evra disait :

 » Si Ronaldo vous invite un jour à manger chez lui, n’y allez pas. Un jour, après un entraînement, j’ai accepté son invitation. A table, il y avait de la salade, un peu de poulet et de l’eau plate. J’ai cru que c’était l’entrée mais c’était un repas complet. J’avais à peine fini de manger qu’il voulait aller faire des un contre un puis faire une course de natation. Cristiano est une machine qui n’arrête jamais de s’entraîner.

Un jour, il a perdu une partie de ping-pong contre Rio Ferdinand. Il était tellement furieux qu’il a envoyé son cousin acheter une table et n’a rien fait d’autre que s’entraîner pendant deux semaines. Puis il a invité Rio Ferdinand pour une revanche devant toute l’équipe et l’a battu. C’est une bête de compétition.  »

Du fitness cinq jours sur sept

La Juventus a engagé un homme qui veut être le meilleur sur et en dehors du terrain mais qui se veut aussi être un exemple. Il fait du fitness cinq jours sur sept, surveille de très près son alimentation, se repose aussi (des phases de repos de 90 minutes, la durée d’un match. Les 90 minutes précédant le coucher, il ne touche pas à sa tablette ou à son smartphone), ajoute une demi-heure de course à ses entraînements et nage une heure par jour dans sa piscine privée de Madrid pour se détendre. Les résultats des derniers tests physiques organisés au Real en avril sont impressionnants : 7 % de masse graisseuse (la moyenne des autres joueurs est de 10 %) et masse musculaire de 50 % (pour 46 % chez les autres).

Ronaldo est aussi du genre à écouter ceux dont il pense qu’ils peuvent lui apprendre quelque chose. Et il pose des questions. C’est ce qui s’est produit avec le Hollandais René Meulensteen qui fut entraîneur-adjoint de Manchester United pendant de longues années et donnait des entraînements individuels aux attaquants. Un jour, il a estimé que l’attitude du jeune joueur n’était pas bonne.

 » Quand on commettait une faute sur lui, Cristiano ne cessait de râler. Je lui ai demandé s’il aimait le tennis. Il m’a répondu que oui et que Roger Federer était son joueur préféré. Alors je lui ai dit : Joue comme Federer, contrôle tes émotions. Si les défenseurs voient que tu ne réagis pas, ils perdront confiance. Il a compris immédiatement.  »

Le 30 juillet, Cristiano Ronaldo et d’autres participants à la Coupe du monde ont repris l’entraînement à Turin. Le 9 août, lorsque l’équipe reviendra d’une tournée aux Etats-Unis, à dix jours du début du championnat, tout le groupe s’entraînera ensemble pour la première fois. Le 12 août, le nouveau Messie étrennera son nouveau maillot à l’occasion du match opposant traditionnellement la Juventus A à la Juventus B à Vilar Perosa dans le Val Chisone, où la famille Agnelli possède une énorme villa avec un terrain de football qui peut accueillir quatre mille personnes.

Les abonnements sold out

Vous avez compris qu’il était inutile d’espérer avoir une place. Il n’est d’ailleurs même plus possible de prendre un abonnement. La vente a débuté le 4 juillet mais le jeudi 19 juillet après-midi, les 29.300 sésames annuels étaient déjà vendus, 95 % d’entre eux allant à des fans qui avaient prolongé. Les quelques abonnements réservés aux jeunes ont également trouvé acquéreur.

Bref, celui qui n’a pu s’en procurer un ne verra pas jouer Cristiano Ronaldo au Juventus Stadium la saison prochaine, sauf s’il parvient à acheter un des rares tickets vendus match par match à la billetterie. Car l’Allianz Arena ne compte que 40.000 places.

La S.A. Ronaldo

Avec 71 millions d’euros de revenus annuels, Cristiano Ronaldo est une entreprise à lui tout seul. Le salaire qu’il percevra à la Juventus (31 millions) ne constitue même pas la moitié de son chiffre d’affaires. Le reste vient du sponsoring. Nike lui offre ainsi 30 millions par an.

Selon Forbes, il figure à la troisième place sur la liste des sportifs les mieux payés de la planète, derrière le boxeur Floyd Mayweather et Lionel Messi. La revue américaine estime sa valeur totale à 450 millions de dollars, soit un peu plus de 400 millions d’euros. Il a 323 millions de suiveurs sur les réseaux sociaux : 122 sur Facebook, 132 sur Instagram et 74,5 sur Twitter.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire