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« Le foot n’est plus aussi pur qu’avant »

Ce jeudi, Zulte Waregem affronte l’OGC Nice en Europa League. Dans les rangs des Azuréens figure un certain Wesley Sneijder. Rencontre.

Wesley Sneijder commande un café noisette. Il a l’air détendu, et pas seulement en raison de la proximité de la Côte d’Azur ou du soleil généreux qui illumine l’endroit. Il a surtout ressenti un sentiment de bien-être après s’être entraîné avec sa nouvelle équipe, l’OGC Nice.

« Cet entraînement m’a rappelé ma période à l’Ajax, ce jeu de position auquel on attachait toujours beaucoup d’importance, cette intensité, la classe des joueurs, le vrai football, dans toute sa pureté. Trouver des solutions dans les petits espaces. Oui, j’ai eu l’impression de me replonger dans le passé. Et c’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle j’ai opté pour Nice. J’ai longuement discuté avec l’entraîneur Lucien Favre avant de signer. Je voulais savoir comment il voyait mon rôle dans l’équipe.

Mais nous sommes aussi en France pour parler de l’équipe nationale, en ballotage défavorable sur la route du Mondial après avoir été étrillée par les Coqs : 4 à 0. Un match au cours duquel la formation orange n’a pas eu voix au chapitre.

Vous n’en avez pas marre, Arjen Robben et vous, de devoir systématiquement supporter toute la pression? Le football néerlandais est-il à ce point dépendant de deux trentenaires?

WESLEY SNEIJDER : Je trouve important que nous soyons toujours là, Arjen et moi. Et pas seulement sur le terrain, en dehors également, pour tout le groupe. Tout s’est accéléré en peu de temps : l’attention médiatique, les réseaux sociaux. Lorsque je suis arrivé en équipe nationale, je n’avais qu’un simple téléphone portable. On ne s’intéressait qu’au football, et à rien d’autre. Aujourd’hui, bien d’autres éléments entrent en ligne de compte. Le marketing semble être devenu au moins aussi important que le football en lui-même. Neymar qui part au PSG pour 222 millions d’euros et les Parisiens qui proposent encore 180 millions pour Kylian Mbappé de Monaco. : où la surenchère va-t-elle s’arrêter? Ça devient de la folie. Et tout le monde y succombe, parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Dans un tel environnement, c’est compliqué, pour de jeunes joueurs, de se concentrer uniquement sur le football.

« J’ai opté pour Nice car ce club opère avec un numéro 10 »

Le Néerlandais lors de sa présentation dans son nouveau club.
Le Néerlandais lors de sa présentation dans son nouveau club.© PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Vous avez vu le football évoluer. Pas seulement le jeu en lui-même, mais aussi tout ce qui l’entoure. Commençons par le jeu : à quel point est-il différent de celui pratiqué il y a une dizaine d’années?

SNEIJDER : Il est totalement différent. Pour être honnête, je dois avouer que je suis heureux de me retrouver dans un club qui place toujours le football à l’avant-plan. Qui veut pratiquer un football soigné, qui mise sur la possession du ballon. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai opté pour Nice car ce club, contrairement à bon nombre d’autres, n’a pas renoncé au n°10. L’équipe nationale néerlandaise joue aussi, en principe, avec un régisseur, car elle mise sur la possession du ballon et veut pratiquer un football dominant. Je me demande simplement : pour combien de temps encore ? Il faut avoir les joueurs pour évoluer de cette manière. Avec l’avènement d’autres types de joueurs, la pureté dans le football a disparu.

Ça ressemble au discours d’un vieux.

SNEIJDER : Pourquoi? Je n’ai rien contre le progrès ou le changement, mais il faut qu’il profite au sport. J’ai vu les joueurs qui changeaient, le style de jeu qui changeait. Lorsqu’on se déplaçait en 2010 avec l’équipe nationale des Pays-Bas, on ne se demandait pas si on allait gagner, mais avec combien de buts d’écart. L’adversaire pouvait choisir: 1-0, 2-0, 3-0, il suffisait de demander. Tout nous réussissait à l’époque, on avait un bon équilibre entre jeunes et anciens, et tout ce beau monde poursuivait le même objectif. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

À quoi est-ce dû?

SNEIJDER : Il y a eu un changement de mentalité, imperceptible, qui s’est accéléré au fil du temps. Dans la vie de tous les jours, aussi, tout a changé très vite. La société devient de plus en plus individualiste. J’évoquais tout à l’heure les réseaux sociaux. Mais qu’ont-ils de sociaux? Depuis que les relations sont liées au téléphone portable, les contacts se perdent. Les jeunes ont les yeux constamment rivés sur un écran. Avant, on jouait aux cartes. Ce n’était peut-être pas génial, mais au moins, on avait des contacts. Aujourd’hui, les jeunes jouent à d’autres jeux. Je ne juge pas, je constate.

« Les jeunes Français respectent davantage la hiérarchie que les Hollandais »

Wesley Sneijder et Mario Balotelli, les deux stars de Nice.
Wesley Sneijder et Mario Balotelli, les deux stars de Nice.© PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Vous n’êtes à Nice que depuis quelques semaines, mais vous avez déjà constaté une grande différence entre les jeunes talents français et néerlandais: les Français font preuve de plus d’humilité…

SNEIJDER : Et ils respectent beaucoup plus la hiérarchie. Je n’ai pas encore tout à fait compris pourquoi, mais je l’ai constaté. C’est peut-être une question d’éducation. Ici, les jeunes joueurs sont obligés d’aller en salle de musculation, tous les jours. Les joueurs plus âgés décident eux-mêmes du jour où ils souhaitent y aller. C’est une différence hiérarchique, et c’est nécessaire au sein d’une équipe de football. Aucun jeune joueur n’ose s’y opposer. Il n’y a pas qu’ici que j’ai fait cette constatation. En Espagne et en Italie aussi, j’ai constaté une différence: les jeunes joueurs écoutent beaucoup plus les anciens et s’en inspirent. Aux Pays-Bas, on est loin du compte.

Les Néerlandais n’ont jamais eu leur langue en poche, il est donc logique que ce soit le cas chez les jeunes également.

SNEIJDER : Vous pensez que je n’ouvrais pas la bouche, avant? Simplement : lorsque je suis arrivé en équipe nationale, c’était exceptionnel. Il était rare qu’un jeune soit convoqué. Rafael van der Vaart était arrivé un rien avant moi. Moi, je suis arrivé en même temps qu’Arjen Robben. Plus tard, Nigel de Jong et John Heitinga nous ont rejoints. Et puis, Robin van Persie. Voilà, c’était à peu près tout. On devait écouter les anciens. Il y avait une différence de génération très marquée. Mais aujourd’hui, lorsque je regarde autour de moi… C’est comme si tout un groupe de joueurs était arrivé en équipe nationale, un groupe de joueurs du même âge qui croient qu’ils peuvent tout se permettre, alors qu’ils n’ont encore rien démontré. C’est ce qui rend la tâche si difficile. J’aimerais pouvoir leur expliquer qu’un EURO ou une Coupe du Monde peut changer leur carrière. Et leur après-carrière. J’ai disputé six grands tournois et je peux vous l’assurer: ça reste les plus beaux moments que j’ai vécu dans le sport. Je ne m’en lasserai jamais. L’EURO manqué, l’an passé en France, restera une tache indélébile dans ma carrière. Dans vingt ans, j’aurai encore des regrets. Et si, par malheur, on devait encore louper la Coupe du Monde en Russie l’an prochain, je ne vous dis pas : ce serait une catastrophe.

Par Martijn Krabbendam, à Nice

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