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L’intellectuchel

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Après un an de chômage et moult spéculations, Thomas Tuchel va entraîner le PSG. Reste à voir si l’Allemand, féru de discipline, pourra y prêcher son évangile footballistique.

Thomas Tuchel se dépeint comme quelqu’un qui enfreint les règles. Il estime que ce sont les joueurs qui doivent apprendre à le comprendre. Il y a trois ans, il était considéré comme le prince héritier des entraîneurs allemands. Il venait de succéder à Jürgen Klopp, qui avait entraîné pendant sept ans le Borussia Dortmund.

Tuchel, qui venait du FSV Mainz 05, était censé réformer le jeu du Borussia, engoncé dans ses principes. Il devait moderniser le football et il était aussi décidé à inculquer à l’équipe l’art de changer de système en cours de match. Il a ainsi imposé ses exigences à son noyau.

Tuchel, qui a étudié l’économie d’entreprise, prône une éthique implacable. Celui qui possède un talent particulier a le devoir de le travailler assidûment. C’est ce qu’il a annoncé à la presse, dans son style froid et distant.

D’ailleurs, quand Tuchel est confronté aux journalistes, il est direct, histoire d’être sûr que tout le monde soit conscient de la qualité de ses déclarations.

A Dortmund, il a engagé un psychologue et un expert du sommeil. Mais quand il a renvoyé le pizzaiolo qui livrait sa marchandise tous les midis depuis quinze ans, la presse s’est soulevée. Sans que ça émeuve Tuchel.

Les remarques du CEO Hans-Joachim Watzke, qui a rappelé que l’équipe avait connu le succès sans manger particulièrement sainement, ne l’ont pas ému davantage. Mieux même : Tuchel a introduit d’autres règles.

Il a, par exemple, obligé les joueurs à se donner la main le matin. A l’entraînement, il ne laissait personne en paix. Il est terriblement exigeant. Le talent individuel doit toujours s’effacer au profit du collectif. Avant chaque séance, il trace lui-même les lignes sur le terrain.

Un scientifique du foot

Thomas Tuchel aime le football rapide. Attaquer et défendre vite, opérer une transition rapide, voilà son credo. Quand les circonstances le requièrent, il peut aussi jouer avec plus de contrôle. Il recherche constamment à repousser ses limites, à innover tactiquement, à rendre ses joueurs plus motivés et surtout plus souples.

Tuchel cherche le concept qui permettra à ses joueurs d’exploiter leurs qualités au maximum. C’est un chantier sans fin. Selon lui, le ballon est un moyen de se sentir bien. Donc, le Borussia devait jouer en possession du ballon. Ça peut paraître simple mais ça ne l’est pas, selon lui.

Tuchel parlait d’un jeu offensif structuré et d’une pression si constante et si intense que les buts suivaient automatiquement, mais le tout de manière réfléchie, pour éliminer tout risque. Il appelait ça un football intellectuel.

D’ailleurs, Hans-Joachim Watzke qualifiait son entraîneur d’intellectuel. On ne peut mieux décrire Tuchel. Il s’exprime comme un scientifique du football. Il n’en ira pas autrement dans quelques semaines, quand il entamera son mandat au PSG.

Toutefois, il n’a jamais eu à Dortmund la popularité de son illustre prédécesseur, Jürgen Klopp. Il ne possède pas son empathie ni son ouverture et il n’affiche pas la moindre émotion.

Tuchel est réservé mais il peut réagir avec une grande virulence aux critiques. Il a terminé deuxième du championnat avec le Borussia en 2016 et troisième en 2017, tout en enlevant la coupe d’Allemagne.

Un boulimique de foot

Mais, à ce moment, le club avait déjà décidé de mettre un terme à leur collaboration. La relation entre l’entraîneur et la direction a pris un coup de froid lors de l’attentat sur le car des joueurs, en avril 2017, avant le match de Ligue des Champions contre l’AS Monaco.

En outre, sous sa direction, surtout durant la seconde saison, Dortmund a développé un football trop peu spectaculaire, même si plusieurs jeunes ont éclos. Il y a eu des frictions entre le coach et Hans-Joachim Watzke ainsi qu’avec une partie du noyau.

Ses nombreuses modifications tactiques ont suscité l’irritation croissante. A la longue, la discipline imposée aux joueurs par Tuchel était mal ressentie, les joueurs ayant l’impression d’être traités comme des écoliers.

Le sommet a été atteint quand Watzke a reproche à Tuchel un manque de respect, de compétence et de loyauté. Jamais Tuchel n’a piqué pareille colère. Sauf peut-être quand, par inadvertance, il a pris un repas trop calorique.

Trois jours après la victoire en coupe, le club a rompu le contrat de Thomas Tuchel, qui courait encore un an. Il lui a versé 2,9 millions. Le coach a décidé de s’accorder du temps. Il l’avait déjà fait à l’issue de son mandat à Mainz, avant de rejoindre le Borussia Dortmund.

Il avait mis à profit cette période sabbatique pour se plonger dans l’étude du football et effectuer plusieurs voyages. Toujours en fonction du football. Il a ainsi dîné à plusieurs reprises avec Pep Guardiola, qu’il estime profondément. Ils se sont servis de verres pour mettre en scène différentes tactiques. Un étrange spectacle.

Cette saison, Thomas Tuchel n’a cessé d’être un item. On l’a un instant cité au Bayern suite au limogeage de Carlo Ancelotti mais le champion a préféré engager Jupp Heynckes. Celui-ci n’a cessé de clamer que Tuchel était son successeur parfait. Le Bayern a donc repris contact avec Thomas Tuchel, qui a refusé la proposition, affirmant avoir déjà conclu un accord avec un autre club. C’est du moins la version officielle.

Refusé par les joueurs du Bayern

En réalité, les joueurs du Bayern ne voulaient pas de Thomas Tuchel ni de ses prescriptions alimentaires. On a ensuite cité l’entraîneur à Arsenal et même à Chelsea, puis au PSG, où il a signé un contrat de deux ans avec option pour une troisième saison la semaine passée.

Thomas Tuchel (44 ans) poursuit donc sa carrière à Paris. Durant ses trois entretiens avec la direction du PSG, il a fait forte impression, déjà parce qu’il parle bien français – il a suivi un cours en… Belgique -.

Mais Tuchel, qui succède à l’Espagnol Unai Emery, est difficile et il ne renoncera pas à ses principes. Reste à voir si ses méthodes strictes conviendront à cet ensemble de stars et d’égos. Par exemple, comment concilier la discipline et le schéma diététique de Tuchel avec les caprices de Neymar, qui peut tout se permettre, au grand dam de plusieurs de ses coéquipiers ?

Quand Thomas Tuchel était coordinateur des jeunes du FC Augsbourg, il avait renvoyé un gamin de douze ans parce qu’il s’était teint les cheveux en noir et blanc. L’enfant n’avait pu revenir qu’après un passage chez le coiffeur. Il est peu probable qu’il puisse traiter Neymar de cette façon.

Thomas Tuchel va devoir adopter d’autres façons. Toutefois, il a déjà travaillé avec des vedettes. A Dortmund, il a réussi à contenir Pierre-Emerick Aubameyang, considéré comme un projectile incontrôlable. Sous la férule de Tuchel, il a inscrit 56 buts en 63 matches de Bundesliga. Une fois Tuchel parti, le buteur gabonais a retrouvé ses mauvaises habitudes. Mais un footballeur comme Neymar est encore d’une tout autre dimension. D’aucuns s’attendent déjà à des frictions.

Aussi sévère qu’innovant

Quoi qu’il en soit, Thomas Tuchel va être sous pression. Le club, alimenté par les millions du Qatar, a déjà fait de la Ligue des Champions son principal objectif. Le directeur sportif Antero Henrique doit changer la philosophie du PSG. Le Portugais est considéré comme un expert dans la composition d’une équipe harmonieuse.

Il l’a notamment prouvé au FC Porto. Le noyau va être composé stratégiquement, sans plus se contenter de collectionner les vedettes. Cette approche convient à Tuchel, aussi sévère qu’innovant.

Thomas Tuchel ne doute pas de sa mission. Un jour, il s’est dit convaincu de n’être jamais renvoyé parce qu’il atteint ses objectifs partout. L’homme n’a jamais manqué d’assurance.

En 2017, Thomas Tuchel a remporté la Coupe d'Allemagne avec le Borussia Dortmund.
En 2017, Thomas Tuchel a remporté la Coupe d’Allemagne avec le Borussia Dortmund.© BELGAIMAGE

Un maigre palmarès

Thomas Tuchel (44 ans) a eu pas mal de concurrence pour le poste d’entraîneur du PSG. Massimiliano Allegri (Juventus), son collègue de Chelsea Antonio Conte et l’ancien entraîneur de Barcelone, Luis Enrique.

C’est ce qui rend le choix du PSG aussi étonnant. Car son palmarès est maigre : Tuchel n’a gagné qu’une coupe d’Allemagne en 2017, avec le Borussia Dortmund. Auparavant, il a qualifié le modeste FSV Mainz 05 pour l’Europa League à deux reprises. Il y est resté cinq ans, jusqu’à ce qu’il ait le sentiment de plafonner.

Thomas Tuchel a gagné 107 matches sur 238 en Bundesliga, soit 45 %. Il a été élu Entraîneur de l’Année en 2016 en Allemagne. Il emmène à Paris le staff qui l’épaulait à Dortmund, staff qui sera complété par un adjoint qui connaît le championnat français.

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