Thomas Bricmont

Iniesta contre le monde

Iniesta c’est un peu l’anti-Cristiano Ronaldo. La beauté contre la performance, la grâce face aux robotiques musculeux du foot 2.0

A quelque chose malheur est bon. Samedi dernier, le climat de terreur des derniers jours avait obligé les autorités communales à reporter la rencontre entre Lokeren et Anderlecht quelques jours après l’annulation d’un bien plus prometteur Belgique-Espagne. Car pour être tout à fait honnête, on n’a pas du tout regretté le Daknam, le crachin glacial qui s’est invité à la noirceur de novembre, cette tribune de presse parquée au coin de corner, une équipe de Lokeren terrée dans l’anonymat du bas de tableau, des Anderlechtois tournés vers leur match européen de la dernière chance à Monaco ou encore la mise en scène grossière d’après-match de Georges Leekens.

Le lendemain, il n’y avait pas quoi faire des bonds non plus. A Sclessin, ceux qui ont bravé le froid, leurs craintes, les contrôles de sécurité ont dû se demander pourquoi tant ce Standard-Courtrai fut d’un ennui profond. Les ayatollah du tableau noir vous diront sûrement que cette opposition entre deux jeunes coaches prometteurs fut intéressante tactiquement, mais les autres, bien plus nombreux, retiendront une purge pour les yeux. Le foot italien version catenaccio a semble-t-il marqué profondément Johan Walem, dont on louera le rapport points (22) par buts (15) de 1,46 alors que son homologue Yannick Ferrera peut se targuer d’avoir remporté les matches « de l’année », à Charleroi et face à Anderlecht, mais est bien loin d’entrevoir un avenir radieux. Ailleurs, rien ou presque. Une seizième journée que l’on aura aucune peine à oublier (et ce malgré les frustrations malheureuses du duo carolo, Mazzu-Bayat). La Belgique du foot, comme le reste, n’avait pas la tête à ça.

Iniesta, c’est la grâce face aux robotiques musculeux. Une sorte d’anti-Cristiano Ronaldo.

Le monde du ballon rond ne s’est pourtant pas arrêté de tourner. Bien au contraire. La plus belle partition de l’année a peut-être eu lieu samedi soir du côté de Madrid. Merci encore aux autorités lokerenoises de nous avoir permis de nous mêler au milliard d’yeux qui ont observé le chef d’oeuvre blaugrana. Le génie de Neymar, la nouveauté Sergi Roberto, les finitions chirurgicales de Luis Suarez ou les semelles de Sergio Busquets ont ébloui cette soirée du 21 novembre. Mais si Bernabeu s’est levé à la 77e minute, c’est pour applaudir celui qui a envoyé, le 11 juillet 2010, l’Espagne sur le toit du monde.

Un petit bonhomme d’un mètre 69 pour 64 kilos au teint blafard qui n’émerveille que ce pourquoi il est gracieusement payé. Jouer, dribbler, inventer. Avec Don Andrès, on touche ici la grâce, l’insolence, la justesse. Comme Guardiola ou Xavi avant lui, l’enfant de Fuentealbilla comprend tout avant tout le monde. Un don assurément. Mais si bien exploité par une Masia dont on remercie les préceptes . Il y a évidemment un côté Footix à aimer cette dream team barcelonaise portée par Messi et cie. Mais il est difficile de ne pas être touché en plein coeur. Iniesta, lui, l’a sublimée, par son toucher de balle, cette faculté à rendre ce jeu si simple et pourtant si complexe à l’image, dans un passé plus ou moins récent, de Ronaldinho (ovationné lui aussi à sa sortie il y a quasiment dix ans jour pour jour par le public madrilène) ou Zinédine Zidane.

Celui qui aurait dû être sacré en 2012 ne décrochera sûrement jamais le Ballon d’Or, un sacre individuel qui ne colle d’ailleurs pas à la discrétion de gentil Casper, et qui devrait être encore vampirisé par le duel Ronaldo-Messi (Neymar devrait s’inviter dans la danse). Iniesta n’est pas un homme de statistiques. C’est la beauté contre la performance, la grâce face aux robotiques musculeux du foot 2.0. Une sorte d’anti-Cristiano Ronaldo. Et dont le coach Luis Enrique a tellement saisi l’importance. « Iniesta, ce n’est pas seulement le patrimoine du FC Barcelone, c’est le patrimoine de l’humanité. » A l’heure, où, notre société se vide la tête à coups de bons sentiments, le monde du foot ne pouvait pas être plus joliment magnifié.

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