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Griezmann, le petit prince

Steve Van Herpe
Steve Van Herpe Steve Van Herpe est rédacteur de Sport/Voetbalmagazine.

Antoine Griezmann jouera la finale de la Ligue des Champions avec l’Atlético Madrid et sera l’une des attractions du Championnat d’Europe. Qui est vraiment le buteur français ?

Sur son avant-bras, Antoine Griezmann (25 ans) porte un tatouage en arabe. C’est une citation extraite du livre d’un célèbre écrivain français qui porte le même prénom que lui. L’auteur du Petit Prince, Antoine De Saint-Exupéry, a inspiré l’attaquant de l’Atlético Madrid et des Bleus: ‘Fais de ta vie un rêve, et fais de ton rêve une réalité‘ est devenu son credo.

Une phrase qui prend aujourd’hui tout son sens, car Griezmann va disputer la finale de la C1 avec l’Atlético et la France est considérée par beaucoup comme la grande favorite de l’EURO qu’elle va organisation chez elle.  » Il n’a pas son pareil pour faire mal aux adversaires « , affirme Diego Simeone, son entraîneur chez les Colchoneros. En outre, Griezmann a un instinct de tueur que beaucoup lui envient. Il l’a encore démontré lors de la demi-finale de la Ligue des Champions à l’Allianz Arena, lorsqu’il s’est retrouvé nez à nez avec Manuel Neuer.

Griezmann n’est pas un attaquant qui va au combat physique avec les défenseurs ou qui les provoque verbalement. Il s’appuie surtout sur sa rapidité et sur sa faculté à surgir de tous les coins du terrain pour tirer au but.  » J’essaie de jouer entre les lignes et d’attaquer les défenseurs comme le fait Lionel Messi « , explique le Français. Des qualités qui ont convaincu Didier Deschamps, le sélectionneur de l’équipe de France. Après la fantastique saison qu’il a disputée, et encore davantage suite à l’absence de Karim Benzema, tous les regards seront tournés vers Griezmann lors de l’EURO.

TROP FRÊLE

Depuis sa plus tendre enfance, on s’est demandé si Griezmann était bien taillé pour devenir un footballeur. A l’époque, il jouait à l’Entente Charnay Mâcon 71, un petit club de Mâcon, dans l’Est de la France, où il est né. Lorsqu’il est passé à l’UF Mâcon, un club plus important de la région, plusieurs clubs professionnels l’ont certes invité à passer un test, mais à chaque fois, il a été renvoyé avec la mention: trop frêle.

A 13 ans, lorsqu’il participe à un tournoi à Paris, le petit Antoine a enfin plus de chance: il est repéré par les scouts de la Real Sociedad. Le club basque l’invite à passer deux semaines à l’essai. Ses qualités ne passent pas inaperçues et il reçoit l’occasion d’entamer une carrière professionnelle. La Real Sociedad, c’est la fierté de San Sebastián, une ville de 186.000 habitants, proche de la frontière française. Le club est conscient que le gamin est encore très jeune et que l’éloignement de la famille – 750 kilomètres – pourrait le perturber. Antoine est donc inscrit dans une école de Bayonne, juste de l’autre côté de la frontière, afin de faciliter son adaptation.

Deux ans plus tard, durant la saison 2007-2008, il débute dans l’équipe B de la Real Sociedad, qui évolue à l’époque en troisième division espagnole. Deux ans plus tard encore, alors qu’il a 18 ans, il signe un premier contrat professionnel. Il ne doit pas patienter très longtemps avant d’être repris dans le noyau A. Certes, les circonstances jouent en sa faveur: l’entraîneur uruguayen Martín Lasarte est confronté à une hécatombe de blessés et ne sait plus trop à quel saint se vouer. Il intègre donc le jeune Français dans l’équipe lors du stage destiné à préparer la saison en deuxième division. Et Griezmann laisse d’emblée une bonne impression. Très bonne impression, même: il inscrit quatre buts en cinq matches amicaux. Le staff technique est séduit: en septembre 2009, Griezmann a fait une première apparition en équipe fanion. Il monte au jeu à la 79e minute d’un match de coupe contre le Rayo Vallecano, perdu 2-0. Peu de temps après, il fête une première titularisation. Et il inscrit un joli but contre Huesca, d’un tir brossé du pied droit, juste en dehors de la surface de réparation.  » J’étais sûr qu’il était prêt lorsque je l’ai appelé en équipe Première « , a déclaré Lasarte, qui entraîne aujourd’hui l’Universidad de Chile dans son pays.  » Il commettait des erreurs, comme tous les jeunes joueurs, mais il avait une forte personnalité et beaucoup de confiance en lui.  »

En fin de saison, Griezmann est devenu un titulaire à part entière et l’un des grands artisans du titre de la Real Sociedad, qui est promue en première division. L’Olympique Lyonnais, Manchester United et Liverpool se manifestent, mais le club basque prend les devants et prolonge son contrat jusqu’en 2015.

En France, les prestations du jeune Antoine ne passent pas inaperçues non plus. Francis Smerecki, le sélectionneur de l’équipe nationale U19, le convoque pour le Championnat d’Europe de la catégorie, organisé dans l’Hexagone. Griezmann inscrit deux buts lors d’un match de poule contre l’Autriche (5-0) et se montre à son avantage durant tout le tournoi, que la France remporte en battant l’Espagne 2-1 en finale. Même si Griezmann a dû être remplacé au repos de cette finale suite à une blessure, il sait qu’il a impressionné. Il n’hésite pas à placer la barre très haut:  » Je savais que ce tournoi pouvait être un tournant dans ma carrière: j’étais international en U19, je devais maintenant le devenir chez les Bleus. « 

MIDNIGHT IN PARIS

De retour dans son club, il débute en Liga en août 2010 face à Villarreal. Mais il doit attendre la huitième journée pour fêter son premier but, lors d’une victoire 3-0 contre le Deportivo La Corogne. Pour célébrer l’événement, il prend le volant d’une voiture publicitaire stationnée sur la piste qui jouxte le terrain. Ses équipiers le suivent. Des milliers de personnes ont visionné cette célébration sur YouTube.

Au terme de sa première saison en D1, le compteur personnel de Griezmann affiche 37 matches de championnat et sept buts. Pas mal pour un jeune joueur considéré comme trop frêle. Griezmann est épargné par les blessures graves. Au cours des deux saisons suivantes à la Real Sociedad – 2011-2012 et 2012-2013 – il confirme ces débuts prometteurs. En juin 2011, l’entraîneur français Philippe Montanier est appelé à la barre de l’équipe, et un an plus tard, Griezmann prolonge son contrat jusqu’en 2016. Mais le début de cette saison-là est compliqué. Après dix journées, les Basques se retrouvent parmi les relégables. Montanier parvient cependant à redresser le cap, grâce notamment aux buts de son compatriote. La Real Sociedad termine quatrième et se qualifie pour le dernier tour préliminaire de la Ligue des Champions. Griezmann soigne ses statistiques: il devient le cinquième plus jeune joueur à franchir le cap des 100 matches en Liga, inscrit 11 buts et distille 5 passes décisives.

En club, Griezmann brille de mille feux. En équipe nationale U21, c’est beaucoup plus compliqué. La France loupe le Championnat d’Europe en étant éliminée lors des barrages par la Norvège. La presse révèle que, trois jours avant ce match décisif, quelques joueurs – Yann M’Vila, Chris Mavinga, Wissam Ben Yedder, M’Baye Niang et… Griezmann – avaient fait le mur et quitté leur hôtel en Normandie, pour aller faire la fête 200 kilomètres plus loin, dans un night-club parisien. La fédération française ne badine pas avec la discipline: elle suspend l’attaquant jusqu’au 31 décembre 2013.

Griezmann sait ce qu’il lui reste à faire: prendre sa revanche sur le terrain. Lors des barrages pour accéder à la Ligue des Champions, contre l’Olympique Lyonnais – le club dont il était supporter durant sa jeunesse – il marque d’une volée magistrale à la limite du rectangle. En 2013-2014, il perce définitivement: 20 buts en 49 matches. La Real Sociedad termine à une honorable septième place. Et, lorsque la suspension de Griezmann a pris fin, Deschamps le convoque immédiatement chez les Bleus à l’occasion d’un match remporté 2-0 contre les Pays-Bas.

La suite logique, c’est une sélection pour la Coupe du Monde 2014 au Brésil. Griezmann participe aux cinq rencontres disputées par les Bleus, que ce soit comme titulaire ou remplaçant. Pas de but ni de passe décisive, mais il se montre aux yeux du monde entier.

AVEC LES COMPLIMENTS DU COACH

L’Atlético Madrid le suit depuis longtemps et, en été 2014, dépose les 30 millions d’euros nécessaires sur la table pour racheter son contrat à la Real Sociedad. Le Français se voit proposer un contrat de six ans et reçoit directement les compliments de Simeone:  » Antoine est un joueur brillant. Il est vraiment très rapide et nous donne beaucoup de possibilités en attaque.  » Même si l’Argentin prend soin de l’intégrer progressivement à l’équipe, en lui offrant çà et là un petit quart d’heure de jeu, le Français dépose immédiatement sa carte de visite: 25 buts en 54 matches.

La première saison de Griezmann dans la capitale lui vaut un nouveau statut: celui de super-vedette. La preuve: l’été dernier, les fans du monde entier ont voté en masse, sur internet, pour qu’il figure aux côtés de Messi sur la couverture de la boite du jeu FIFA16. Cette saison, il a encore amélioré ses statistiques: 31 buts en 52 matches jusqu’à présent.

 » J’ai déjà dit qu’en fin d’année, Griezmann sera considéré comme l’un des cinq meilleurs attaquants du monde « , affirme le chroniqueur espagnol Guillem Balague. Griezmann lui-même préfère être réaliste:  » J’ai encore un long chemin à parcourir si je veux devenir le successeur de Falcao ou de Kun Agüero à l’Atlético. Certes, l’entraîneur m’assure de sa confiance et déclare que je suis un joueur important, mais il répète aussi que je dois encore faire mieux. « 

L’ANTI-RIBERY

Après son but contre le Bayern Munich qui a qualifié l’Atlético Madrid pour la finale de la Ligue des Champions, la presse française s’est montrée dithyrambique à propos de l’attaquant de 25 ans, Antoine Griezmann. Certains médias l’ont même surnommé ‘l’anti-Ribéry’. Il est à l’opposé du  » petit monstre  » qui porte une cicatrice sur le visage, qui n’a pas répondu à l’attente et qui s’en est même pris à Diego Simeone, l’autre tête brûlée, dans le dug-out. L’ailier de 33 ans est encore capable de quelques actions d’éclat, mais on le sent clairement sur le retour, alors que Griezmann est l’étoile montante, l’ange qui donne de l’éclat à la machine de guerre madrilène par ses gestes techniques et qui trompe le meilleur gardien du monde d’une frappe parfaite. Comment peut-on expliquer qu’il ait été snobé par de nombreux clubs français lorsqu’il était jeune ? La réponse tient en ces noms: Marcel Desailly, Lilian Thuram, Patrick Vieira, Christian Karembeu, Thierry Henry,… Ou, comme Guy Roux l’a un jour déclaré: « La mode, dans les centres de formation français, a longtemps été: 80% d’Africains, 10% de Maghrébins et 10% d’autochtones. » Une philosophie qui n’avait rien d’illogique, dans la continuité de la Coupe du Monde1998 et de l’EURO 2000. Mais Antoine Griezmann – 1m74 et 72 kg – démontre qu’une autre philosophie peut également donner des résultats.

ParHoward Johnson et Steve Van Herpe

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