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Gibraltar – Belgique : le milieu de nulle part

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges à Gibraltar.

Le match était déjà gagné avant de le jouer. Presque logique, donc, qu’il n’y ait pas eu besoin de jeu pour marquer. « Juste avant l’entame du match, on a dit qu’on devait presser haut dans les vingt premières minutes », explique Christian Benteke. Les huit premières secondes ont suffi. Un ballon récupéré, un dribble et une frappe croisée. La Belgique s’est éveillée avant que son réveil ne sonne, histoire de surprendre des Gibraltariens encore endormis.

Quand le rapport de force est tellement déséquilibré, les minutes qui précèdent l’ouverture du score sont souvent les plus intéressantes. Gibraltar les avait rêvées dans la peau d’une forteresse déployée en 5-4-1. Histoire de surpeupler ces flancs où les Belges de Martinez ont décidé de créer des surnombres sans pour autant dégarnir l’axe du jeu. La théorie était séduisante. Le passage à la pratique a duré quelques secondes de trop.

Les Diables, toujours hésitants quand il faut contourner un mur, ont donc décidé de prendre les devants. Pas besoin d’élaborer un plan d’évasion quand on assomme le gardien avant qu’il ait eu le temps de fermer la porte.

MEUNIER FAIT SES COURSES

Pour la première fois, depuis le début du mandat de Roberto Martinez, la Belgique s’éveille à droite. Omniprésent depuis le passage au 3-4-2-1, Carrasco cède son costume de protagoniste à Thomas Meunier. Le Parisien dévore immédiatement son couloir, grâce à sa générosité sans le ballon et à la hauteur de Toby Alderweireld, qui pose rapidement problème à l’adversaire. Un centre qui survole le petit rectangle, une frappe sur le poteau, puis deux nouveaux débordements conclus par des coups de tête de Mertens et Benteke hors du cadre.

Martinez a construit sa Belgique comme une maison asymétrique. Une folie d’architecte où le flanc gauche habite un étage plus haut que le droit. Gibraltar a bien étudié les plans crayonnés par le Catalan, et déserte le rez-de-chaussée pour placer deux vigiles devant la porte de la chambre de Yannick Carrasco. Le 5-4-1 ferme les intervalles favoris de Carrasco, et laisse le ballon à Defour et Witsel pour mieux occuper les trente derniers mètres du terrain.

Après dix minutes stériles, les Diables regardent donc vers la droite. Ils y trouvent Meunier, qui part d’assez bas pour recevoir le ballon face au jeu et qui ose conduire le ballon vers un adversaire. Assez près pour que la tentation d’une interception soit irrésistible, mais toujours trop loin pour qu’elle soit réellement possible. Meunier force une brique à sortir du mur gibraltarien, et profite de la brèche. Ses apparitions incessantes (trois tirs et quatre occasions créées) contrastent avec l’absence d’un Carrasco (un tir et une occasion) qui doit toujours dribbler deux fois pour gagner le temps de lever la tête.

EXISTER DANS L’AXE

Dans ce système où le milieu de terrain n’existe pas, la Belgique souffre pour trouver des espaces dans l’axe du jeu. C’est la maladie de toujours de ces Diables qui ne brillent que trop peu en Ligue des Champions, là où les matches se gagnent au milieu. Une fois rassemblés sous le maillot de l’équipe nationale, les Belges semblent toujours éviter soigneusement l’axe du jeu, comme on évite le centre de la capitale aux heures de pointe.

Avec Defour à la place de Fellaini, la Belgique gagne pourtant de l’audace. L’homme à tout faire de Burnley joue comme un milieu anglais, abandonnant souvent sa zone pour aller chercher le ballon très bas et le remonter le plus haut possible. Steven provoque, conduit le ballon dans des zones que Witsel n’explore jamais vraiment et règle son jeu long pour casser les lignes.

Ses appels sur le côté droit désarçonnent le bloc adverse et ouvrent des brèches pour Thomas Meunier, pendant que son agressivité permet de récupérer des ballons face à une défense encore désorganisée. Gibraltar n’a pas le temps de retracer ses deux lignes parallèles devant son rectangle quand Steven trouve Mertens entre le central et le latéral adverse, pour faire 0-4 au retour des vestiaires.

Malgré les initiatives de Defour, la Belgique a encore trop besoin de son talent offensif pour respirer dans la jungle de pieds adverses. Mertens donne des coups de sabre dans le vide, pendant qu’Hazard tranche les lignes au scalpel. Sans espace, le capitaine trouve le temps d’inventer dix des vingt-sept tirs au but belges (cinq tirs, cinq key-passes), dans une partition dont la sobre omniprésence prend des airs de Kevin De Bruyne.

I WANT TOBY A PLAYMAKER

La manoeuvre belge reste brouillonne, même si l’adversaire n’oblige pas les Diables à recourir aux services d’un géomètre pour tracer les grandes lignes d’un large succès.

Puisque le milieu de terrain belge n’existe pas, Toby Alderweireld décide alors de l’inventer. Défenseur superflu face à une attaque locale inexistante, l’Anversois rappelle que les défenseurs de l’Ajax sont éduqués comme des milieux de terrain, et invente des situations favorables aux quatre coins du terrain. Après trois minutes de jeu à peine, il se place déjà à hauteur de Witsel et Defour, pour semer le trouble sur le côté gauche de Gibraltar et libérer Meunier. Un quart d’heure plus tard, c’est lui qui dépose une transversale vers le flanc opposé, qui aboutira au but de Witsel via une remise de Benteke.

Alderweireld dicte le tempo. Il accélère les pulsations du jeu belge en portant le ballon vers l’avant, pour ouvrir des espaces là où la majorité des défenseurs se contentent d’une passe facile. Il trouve encore Carrasco à quelques minutes de la mi-temps, pour permettre au Colchonero de jouer avec Eden et pour s’offrir un rôle discret mais capital dans le scénario du troisième but. C’est lui, toujours, qui lance deux fois Hazard seul au but de l’extérieur du pied, offrant finalement à son capitaine le dernier but de la soirée. Chez les Diables, la table d’honneur est celle des dribbleurs. Toby Alderweireld n’a pas le droit de s’y asseoir. Il y fait seulement le service, et il sert des kilos de transversales en entrée-plat-dessert.

Pour le jeu, c’est à peu près tout. Les idées restent rares dans un football où l’éclaircie vient souvent d’initiatives individuelles. Les Belges ont fait « le match qu’il fallait ». Ni plus, ni moins. La loi des chiffres (treize buts marqués, aucun encaissé, neuf points sur neuf) doit-elle suffire au bonheur national ? La question ne fait qu’en amener une autre : peut-on écrire un chef-d’oeuvre avec une calculatrice ?

Guillaume Gautier

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