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Estonie – Belgique : un bon match se mesure-t-il au nombre de buts ?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges en Estonie, pour leur dernier match de l’année.

La Belgique aime les paradoxes. Dans l’éternel débat footballistique qui oppose les partisans du résultat à tout prix à ceux de la manière avant tout, le supporter belge veut la manière, mais la juge en regardant l’ampleur des chiffres sur le tableau d’affichage. Une philosophie étrange, qui amène forcément à penser que la partition diabolique de Tallinn aurait été jugée différemment si Romelu Lukaku avait profité de son face-à-face pour doubler la mise juste avant la mi-temps, ou si le gardien estonien n’avait pas planté ses doigts au bout des frappes magnifiques de Kevin De Bruyne et de Jan Vertonghen.

Dans un match de football, les faits sont tellement nombreux que chaque chiffre peut servir une interprétation. On pourra donc choisir de retenir que la Belgique n’a marqué que 2 fois contre une équipe qui a joué 60 minutes à 10, ou bien qu’elle a tiré 25 fois au but contre une muraille estonienne disposée en 5-4-1, sans concéder le moindre tir pendant les 84 premières minutes. La majorité du public opte pour le premier prisme, les Diables ne parlent que du second.

La langue de Roberto Martinez semblait taillée dans le chêne, cette semaine, quand le sélectionneur affirmait sans broncher que l’Estonie pouvait s’avérer redoutable. Les observateurs avaient retenu le 8-1 du match aller, alors que l’Espagnol pensait sans doute principalement à une équipe qui, depuis 2014, n’a encaissé que 9 buts en 19 rencontres disputées à domicile.

DOUBLE AXEL

Sur la feuille de match, Martinez couche les noms de Marouane Fellaini et d’Axel Witsel devant la défense. De Bruyne se retrouve plus haut, en compagnie de Dries Mertens pour soutenir un Lukaku bien entouré par une défense estonienne qui place l’essentiel de ses pions dans l’axe. Les locaux font l’engagement, et perdent le ballon après seulement six secondes. Ils sont seulement là pour défendre, dans ce 5-4-1 qui accumule les hommes dans l’axe et enferme la créativité belge.

Repoussé entre les pieds de Witsel et Fellaini, le ballon circule évidemment trop lentement pour surprendre le bloc balte. Mertens et De Bruyne tentent alors d’accélérer brusquement le rythme dès qu’ils apparaissent dans la possession belge, mais passer de 20 à 120 kilomètres/heure en quelques secondes vous fait forcément perdre un peu de maniabilité. Le bolide belge se crashe systématiquement sur le mur du rectangle adverse, et les rétroviseurs éternellement accrochés au football de Witsel empêchent le bloc national d’être assez haut pour récupérer des ballons au pressing dans le camp estonien.

La première Belgique de Tallinn est donc celle des centres et des tirs à distance. Mertens s’écarte pour trouver des espaces où dribbler, et abandonne Lukaku dans le secteur offensif axial, au milieu de défenseurs estoniens qui ne le laissent jamais apparaître. Les accélérations de Yannick Carrasco sont toujours audacieuses, mais trop rarement précises, et c’est finalement Nacer Chadli qui s’offre les deux premières occasions diaboliques de la soirée.

Privé de ballons, parce que Witsel est allergique au jeu vers l’avant et que Fellaini ne parvient pas à joindre la qualité à la bonne volonté de ses passes, De Bruyne part aussi en promenade. Son premier décrochage à hauteur de ses deux milieux lui permet de combiner avec Mertens, et d’offrir au Napolitain une belle occasion après 27 minutes relativement stériles. Quelques instants plus tard, c’est à droite que KDB accueille le fruit d’une sortie de défense pleine de qualité de Vincent Kompany. Son centre sautillant et la fausse piste donnée par Romelu Lukaku au premier poteau perturbent les gants du gardien estonien, et permettent à Mertens de déverrouiller le marquoir.

LES OCCASIONS SANS LES BUTS

Ni l’ouverture du score, ni la carte rouge avant la pause ne bouleversent le plan des locaux. La deuxième mi-temps commence en 5-4-0, et réduit encore les espaces d’un terrain qui va désormais du but estonien à Vincent Kompany, situé à l’entrée du rond central, une quarantaine de mètres plus loin. Vertonghen et Toby Alderweireld en profitent pour se joindre à la construction, tentant de combler l’absence de Fellaini et Witsel dans les circuits offensifs. Le gaucher décoche une frappe puissante et force le gardien adverse à tendre les doigts, tandis que Toby offre presque un but à Witsel au bout d’une percée qui l’emmène jusqu’au rectangle. En trente minutes, les Belges frappent seize fois. L’Estonie est asphyxiée, mais le marquoir n’évolue pas. Les défenseurs adverses contrent toutes les frappes, et le sur-réalisme du match aller n’est pas au rendez-vous.

La théorie des expected goals (buts attendus en VF, ndlr) évalue entre 0 et 1 les chances que chaque frappe termine au fond des filets selon sa position et sa technique (une reprise de la tête a moins de chances qu’un tir du pied, par exemple). À l’aller, les Diables avaient complètement surperformés, puisque le 1,84-0,53 des expected goals s’était transformé en 8-1 au tableau d’affichage. Cette fois, les Belges n’ont gagné que 0-2 sur le terrain alors que le score « attendu » au vu des occasions affiche un 0,1-3,18. En résumé, les occasions créées étaient meilleures, et plus nombreuses (20 tirs à l’aller, 25 au retour), mais la concrétisation a fait défaut.

Il ne reste que neuf minutes à jouer quand Roberto Martinez sort Michy Batshuayi du banc. Le sub de Chelsea monte, évidemment, avec beaucoup d’énergie, alimentant immédiatement les comparaisons avec le match de Lukaku. Comme si on pouvait comparer neuf minutes hyperactives contre une équipe à dix, épuisée par une heure 20 passée dans son camp, et nonante minutes en pointe.

LA NOUVELLE BELGIQUE

Le changement déterminant vient d’ailleurs du coach estonien. Galvanisé par la possibilité d’un résultat, malgré un premier tir au but survenu après 84 minutes d’apnée, Martin Reim transforme son 5-4-0 en 4-4-1. 50 secondes plus tard, Nacer Chadli envoie son cinquième tir du match (meilleur belge dans le domaine) au fond des filets. Entre temps, Vertonghen et Kompany offrent un morceau de « nouvelle Belgique » avec une relance posée malgré la pression adverse, Lukaku va harceler le gardien, et Witsel joue enfin vers l’avant pour donner le ballon à De Bruyne, maestro du jour avec huit occasions créées en plus de ses quatre tirs.

La Belgique ramène les trois points de Tallinn, et fait un break prévisible dans sa course à la Russie. Pas de quoi ravir un public qui attendait plus de buts, face à un adversaire pourtant bien moins perméable qu’à l’aller, où il avait également été constamment surmené par un Eden Hazard des grands jours.

Au bout d’une saison de règne, il reste à Roberto Martinez à régler certains problèmes, comme cette possession parfois trop lente au milieu de terrain ou ces flancs trop offensifs pour ne pas être surpris à l’occasion lors de la reconversion défensive. Mais en observant minutieusement les matches de l’année écoulée, qui peut dire que cette Belgique ressemble encore à celle de l’été français ?

Par Guillaume Gautier

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