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L’HOMME QUI DRIBBLAIT EN COSTUME

Et si, pour retrouver une place à la table des meilleurs joueurs du monde, Eden Hazard avait seulement eu besoin d’un smoking ?

Décevant sous les couleurs d’un Chelsea qui avait dû se séparer de José Mourinho la saison dernière, Eden Hazard donnait l’impression d’étouffer dans un costume d’ailier gauche qui comprimait son talent. Comme si sa ceinture, atout-clé de ses coups de reins insaisissables, avait fini par être trop serrée par le système de jeu des Blues du Special One.

Bâtisseur du Chelsea de la deuxième partie des années 2000, Mourinho avait donné une nouvelle identité à un club qui se cherchait un palmarès depuis de trop longues années. Le Portugais avait construit son Stamford Bridge autour de projets très rigides offensivement, axant l’essentiel de ses plans sur un attaquant conquérant dans les airs, et une ligne de milieux offensifs chassant les deuxièmes ballons sans désorganiser démesurément la structure du onze.

Un football au sein duquel Eden Hazard avait fini par disparaître, bouclant la saison 2015-16 avec des chiffres indignes de ceux qui lui avaient permis d’être élu meilleur footballeur de Premier League un an plus tôt. Le symptôme le plus marquant de la maladie d’Eden se nichait au coeur de son football : dans ses dribbles. Après avoir fait grimper sa moyenne à 4,8 dribbles par match lors de l’année du titre, Hazard a chuté sous les 3 dribbles par rencontre (2,9). Il était temps pour lui d’aller s’acheter un nouveau costume.

LE TAILLEUR ITALIEN

Son nouveau tailleur est italien. Une valeur sûre. Presque un cliché. C’est d’ailleurs Antonio Conte en personne qui entretient les idées reçues, dès sa conférence de presse de présentation lors de son arrivée à Chelsea :  » En Italie, j’aimais dire que le coach est comme un tailleur. Un tailleur qui doit préparer un costume, le plus beau costume pour son équipe.  »

Le premier costume londonien de l’ancien tailleur de la Juventus est long et large d’épaules. Il est taillé pour la carrure de Diego Costa, parce que la Premier League se gagne souvent avec un attaquant injouable et un système défensif étanche. Une théorie dont le Leicester de Claudio Ranieri et Jamie Vardy est le dernier exemple en date. Conte imagine donc initialement  » commencer la saison en 4-2-4, parce que nous avons des ailiers puissants et j’aimerais jouer avec deux pointes très proches.  » Mais le problème apparaît rapidement. En 4-2-4 ou en 4-2-3-1, Chelsea protège mal son rectangle, et Thibaut Courtois doit se retourner neuf fois sur les six premières rencontres de la saison.

Antonio Conte regarde son costume déchiré :  » Nous concédions beaucoup de buts et d’occasions à chaque match. Pour cette raison, nous devions changer les choses.  » L’Italien retourne alors dans son atelier, et en sort avec un 3-4-3 aux mailles bien plus résistantes. La conséquence défensive, c’est que les Blues ne concèdent plus que six buts sur les quatorze rencontres suivantes. Et l’offensive, c’est que ce nouveau smoking blue est du sur mesure pour le talent d’Eden Hazard.

LIBÉREZ ÉDEN

Un système également présent chez les Diables rouges, et dont Roberto Martinez nous avait présenté les avantages pour son numéro 10 :  » Eden a connu une période plus difficile quand il avait deux hommes sur lui, voire trois, et qu’il était bloqué sur le côté gauche. Aujourd’hui, que ce soit en club ou en sélection, il a plus de liberté et ça le rend difficile à contrer.  »

Liberté. Le mot est omniprésent dans les déclarations du Brainois, comme s’il voulait hurler sur tous les toits qu’il avait enfin le droit de sortir d’une position d’ailier qui étouffait son talent. Hazard raconte partout un système qui lui permet de se libérer des contraintes du flanc gauche, où il était trop facile à enfermer pour l’adversaire une fois qu’il y recevait le ballon.  » J’aime jouer comme numéro 10, parce que j’ai plus de liberté offensive « , déclare-t-il quand il revient d’un séjour avec les Diables.  » Avec l’équipe nationale, nous avons des backs qui courent beaucoup et qui me libèrent des espaces.  »

 » J’ai plus de liberté, avec et sans le ballon « , explique ensuite le numéro 10 de Chelsea dans la presse anglaise.  » Je ne dois pas courir après l’arrière latéral adverse, parce que Marcos Alonso est toujours là. Je me concentre donc plus sur le fait d’être bien positionné.  » Le placement d’Eden et la sécurité de ses prises de balle lors des reconversions offensives des Blues est d’ailleurs un atout vanté par Antonio Conte :  » C’est un point de référence pour ses coéquipiers. Si vous voulez lui passer la balle, il est déjà dans la bonne position pour la recevoir.  »

Mais être bien placé ne suffit pas. Evoluer dans l’axe du terrain demande également une capacité hors-normes à couver un ballon parfois reçu dans des conditions difficiles. C’est là que les reins d’Eden font la différence, avec une vivacité qui lui permet de se mettre hors de portée de l’homme qui lui colle aux basques. Envoyé au tapis sur un contrôle orienté lors de la récente visite des Blues à White Hart Lane, Victor Wanyama peut en témoigner.  » Ses qualités techniques, c’est vraiment du très haut niveau « , concédait d’ailleurs Eddie Howe au sujet d’Hazard après sa démonstration dans un rôle de faux 9 face à Bournemouth.  » Il est exceptionnel dans ses mouvements, dans sa façon de se retourner très rapidement avec le ballon.  »

LES CLÉS DU 3-4-3

Parce que les joueurs capables de faire des différences dans l’axe sont les plus rares, Antonio Conte a décidé de rapprocher Eden du but adverse.  » Je n’avais pas marqué beaucoup de buts la saison dernière, mais le coach me voyait comme un buteur « , confie Hazard dans la presse britannique.  » Eden joue maintenant plus près du but « , confirme Conte.  » Il participe plus dans les situations offensives. Ce genre de contexte qui le fait rester dans une position où il peut finir plus facilement, je pense que c’est mieux pour lui.  »

Contre Bournemouth, en l’absence de Diego Costa – suspendu -, c’est donc en pointe que le Diable a été aligné. Nonante minutes très haut sur l’échiquier avec des chiffres affolants à la clé. Sur ses 87 ballons joués, Eden en a touché 80 dans la moitié de terrain adverse. Ses treize dribbles réussis (une première en Angleterre depuis décembre 2013, une performance déjà signée Hazard contre Stoke) ont tous été réalisés dans le camp de Bournemouth, dans l’axe du terrain et souvent dans la zone de vérité (6 dans les vingt derniers mètres). Pour couronner sa prestation, avec cinq tirs et quatre occasions créées, il a été directement impliqué dans neuf des quatorze tirs des Blues ce jour-là. Hazard est devenu assez régulier pour devenir un point de fixation récurrent au centre du terrain. Alors, Conte a aménagé les mouvements de son 3-4-3 pour lui offrir cet espace, dans l’axe et entre les lignes.

Sur la gauche, Marcos Alonso joue très large. Collé à la craie, l’Espagnol écarte les lignes adverses. Devant la défense, Nemanja Matic (ou Cesc Fabregas) et N’Golo Kanté protègent leur défense et s’aventurent très peu entre les lignes pour y demander le ballon. Et devant, Diego Costa fait reculer la ligne arrière adverse par ses appels en profondeur. Hazard va jusqu’à influencer le casting du flanc droit, là où Conte préfère les courses verticales de Pedro à un Willian qui a plutôt tendance à rentrer dans le jeu. La zone du numéro 10 est donc complètement dépeuplée, et par conséquent totalement offerte aux appels d’Eden Hazard. Le Belge y vit en liberté totale. Et ceux qui tentent de troubler sa quiétude savent aussi qu’ils risquent un détour à leurs dépens sur les réseaux sociaux, réduits à un rôle de figurant comme les poteaux d’un slalom enneigé.

BRÉSILIEN D’EUROPE

Cet Eden Hazard-là est un prétendant légitime à la couronne de  » meilleur dribbleur européen « , royaume au trône déserté depuis que les blessures et les années ont eu raison de la ceinture d’Arjen Robben et de Franck Ribéry. Sur la lancée d’un EURO qu’il a bouclé avec 24 dribbles réussis – meilleur total de la compétition malgré une élimination en quarts de finale -, Hazard règne sur les cinq grands championnats européens cette saison avec 87 dribbles réussis. Le tout en 114 tentatives, ce qui lui permet d’afficher un taux de réussite hallucinant de 76 % quand la moyenne des joueurs avec plus de 50 dribbles réussis est seulement de 63 %. Dans cette caste très fermée (13 joueurs à plus de 50 dribbles), l’ailier de Middlesbrough Adama Traoré est le seul à présenter un plus grand pourcentage de réussite qu’Eden (77%).

Dans l’axe et près du but adverse, Hazard ne perd pas cette efficacité hors du commun. Si Conte lui a offert cette zone du terrain, c’est parce que chaque dribble réussi y compte double. L’adversaire direct du Belge est alors souvent contraint à la faute, offrant des coups francs généralement dangereux aux Blues.  » J’ai toujours pensé que s’il y avait beaucoup de fautes sur moi dans un match, c’était que je jouais bien pour mon équipe « , déclarait voici deux saisons celui qui est, encore cette année, le joueur le plus souvent arrêté fautivement sur les pelouses européennes (62 fautes subies en 19 matches).

Avec 4,7 dribbles réussis par match depuis le passage de Chelsea en 3-4-3, Hazard est une menace permanente et incontrôlable. Sa proximité avec la cage adverse le rend d’autant plus redoutable. Jamais, sous José Mourinho, il n’avait atteint une moyenne de 2,6 tirs par rencontre comme il le fait depuis le coup d’envoi de cette saison. En 3-4-3, Eden a d’ailleurs marqué sept buts en treize rencontres. Une moyenne supérieure à 0,5 but/match qu’il n’avait jamais été en mesure d’atteindre avec le Special One sur le banc de touche (0,4 but/match en 2013-14).

 » Eden est le joueur qui peut décider du titre, et de chaque match qu’on joue « , résume Branislav Ivanovic. Voir la forme exponentielle d’Hazard coïncider avec la folle série de Chelsea est d’ailleurs un indice qui ne trompe pas. Avec son nouveau smoking, Eden invite toutes les défenses de Premier League sur la piste de danse. Son costume devrait lui ouvrir les portes du Carnaval de Rio, Antonio Conte lui a ouvert celles d’un carré VIP qui s’étend du rond central au but adverse. Là, Hazard entame ses déhanchés de Brésilien. En Angleterre, aucun défenseur n’est encore parvenu à apprendre sa chorégraphie.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

Personne en Europe n’a fait mieux cette saison qu’Eden Hazard et ses 87 dribbles réussis.

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