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Diables Rouges : le plan à trois

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Décor emblématique du renouveau belge depuis près de deux ans, la défense à trois nationale ne parvient pas à faire taire les critiques. La prise de risques vaut-elle vraiment le coup ? Passage au scanner de la règle de trois.

Peut-on devenir une fashion victim après avoir dépassé la soixantaine ? Arsène Wenger répond par l’affirmative. Après avoir construit tous ses succès londoniens sur un immuable back four, l’Alsacien cède au vent nouveau qui souffle sur la saison 2016-2017 de Premier League.

Le 17 avril 2017, Arsenal se déplace au Riverside Stadium de Middlesbrough avec une défense à trois, composée par Laurent Koscielny, Gabriel et le jeune Rob Holding. Les Gunners sont alors la dix-septième équipe de l’élite anglaise à expérimenter la défense à trois depuis le coup d’envoi de la saison.

Nonante minutes et trois points plus tard, le schéma s’installe chez les hommes de Wenger, qui concluent la saison par une victoire en Cup conquise à trois derrière face au Chelsea d’ Antonio Conte, initiateur de la mode nationale en survolant le championnat depuis son passage en 3-4-2-1. Les explications du manager français sont simples :  » Mes joueurs avaient besoin de croire en quelque chose de nouveau.  »

La quête d’un nouveau livre de foi est également à la base du bouleversement national initié par Roberto Martinez, quelques jours après la défaite de ses Diables face à l’Espagne, pour la première sortie de son mandat belge. Le Catalan fouille alors dans son passé, et remonte jusqu’à l’année 2012, où le 3-4-3 qu’il installe à Wigan lui vaut une fin de saison en trombe, ponctuée par un titre de manager du mois d’avril. Martinez est alors catégorique, et lance une phrase qu’on peut aujourd’hui relire comme une prophétie :  » Dans quelques années, il y aura beaucoup d’équipes qui joueront en 3-4-3, croyez-moi.  »

Le 3-4-2-1 n’est qu’une infime retouche apportée au 4-3-2-1. Chez les Diables, il permet à Hazard de briller dans les espaces entre le milieu de terrain et la défense.

L’idée initiale était-elle venue de Johan Cruijff, source d’inspiration assumée du chef d’orchestre des Diables ? Au virage des années nonante, déjà, le Néerlandais avait fait jouer son Barça avec une ligne arrière de trois hommes, essuyant les critiques de certains habitués du Camp Nou. La réponse de l’ancien numéro 14 avait fusé :  » J’ai été critiqué parce qu’on jouait à trois derrière. C’est la chose la plus idiote que j’aie entendue.  »

Près de trois décennies plus tard, Roberto Martinez et sa politesse légendaire ne se sont pas encore permis de mettre de tels mots sur le scepticisme qui vole autour du dispositif diabolique depuis de longs mois.

LE CONTOURNEMENT DU 4-4-2

L’histoire tactique du football est un dialogue permanent avec le passé, source inépuisable de solutions d’avenir. Popularisée par le titre mondial de l’Argentine de Diego Maradona en 1986, la défense à trois (ou à cinq, selon les écoles) et ses stoppeurs, commis au marquage des deux attaquants adverses, s’efface quand le football en zone d’Arrigo Sacchi vampirise le devant de la scène.

Le 4-4-2 est alors incontournable et les années de règne du 4-3-3 de Pep Guardiola ne suffisent pas à l’éloigner des projecteurs. S’il s’inscrit de plus en plus souvent en 4-2-3-1 avec le ballon, le retour à un 4-4-2 en zone en perte de balle reste une valeur sûre pour protéger sa moitié de terrain.

Ceux qui veulent conquérir le monde avec le ballon cherchent alors une réponse. En Belgique, Hein Vanhaezebrouck a déjà trouvé la sienne depuis longtemps. Déjà en deuxième division, son Courtrai oscille entre 3-4-3 et 3-5-2.  » Mon intérêt, ce n’est pas de jouer à trois derrière « , nous confie alors le futur coach des Buffalos, lors de son deuxième passage au stade des Éperons d’or.  » L’objectif, c’est surtout que cet homme que j’enlève dans ma ligne arrière, je peux le placer plus haut sur le terrain.  »

Avec Thibaut Courtois en sus, la défense est parée.
Avec Thibaut Courtois en sus, la défense est parée.© BELGAIMAGE

Quelques années plus tard, dans une interview pour la DH, Vanhaezebrouck précise :  » L’idée, c’était de trouver des façons d’être mieux placé sur le terrain, de créer des situations très difficiles pour l’adversaire et de profiter un maximum des possibilités qu’il y avait sans être trop dépendant des qualités individuelles.  » Une façon de sortir des duels de 4-2-3-1, où c’était souvent celui qui gagnait le plus de duels ailier/arrière latéral qui finissait par gagner la partie.

DOMINER POUR RELANCER

Pour faire la différence, les apôtres de la défense à trois commencent donc par la relance. Face à la ligne la plus avancée du 4-4-2 adverse, Pep Guardiola avait popularisé la relance systématisée par Ricardo La Volpe (voir schéma), sélectionneur du Mexique lors d’un Mondial 2006 sur lequel le futur entraîneur du Barça travaillait comme consultant. L’idée de La Volpe était d’écarter ses deux défenseurs centraux pour y insérer un troisième homme (son milieu défensif) quand son gardien avait le ballon. Grâce à ce trio, une supériorité était créée face aux deux attaquants adverses, et permettait de faire circuler le ballon avec l’avantage du nombre pour atteindre le milieu de terrain. Les arrières latéraux pouvaient alors s’avancer, et le 4-2-3-1 théorique se transformait en 3-3-3-1 dans les faits.

Quelques années plus tard, les coaches qui ont relancé la défense à trois ont décidé d’installer un troisième défenseur central, souvent doté de qualités hors-normes balle au pied, pour mettre en place une relance courte de qualité sans devoir altérer leur dispositif initial. Gian Piero Gasperini, est l’un des premiers à avoir systématisé le 3-4-3 dans les grands championnats européens, avec le Genoa (et aujourd’hui l’Atalanta) dès le milieu des années 2000.

Il explique son cheminement vers ce module particulier à des apprentis entraîneurs de la prestigieuse école de Coverciano, siège de la fédération italienne :  » Au milieu des années nonante, j’entraînais les jeunes de la Juve. En Italie, 90 % des équipes étaient en 4-4-2. Tout le monde imitait Sacchi. Par contre, en Europe, l’Ajax de Louis van Gaal était fantastique. Ils jouaient en 3-4-3, et leurs joueurs dansaient. Après les avoir vus, j’ai commencé à jouer à trois derrière. Les deux attaquants adverses ne voyaient plus la balle.  »

DU SAPIN AU 3-4-2-1

 » L’avantage principal de ces systèmes, c’est qu’en phase offensive, on reste toujours à trois derrière « , analyse Christian Gourcuff, ancien entraîneur à succès de Lorient. Un bénéfice confirmé par Roberto Martinez, qui érigeait même ce paramètre comme l’une des bases de son changement de système à Wigan :  » Quand vous jouez en 4-3-3, vous comptez beaucoup sur les latéraux pour être haut sur le terrain. Alors, vous devez faire des compromis. Quand vous voulez être axé sur l’offensive, vos latéraux doivent pousser, donc vous ne laissez que deux joueurs à l’arrière. Maintenant, on en a toujours trois.  »

Déséquilibrés par les montées conjointes de Joshua Kimmich et Marvin Plattenhardt, les Allemands ultra-offensifs de Joachim Löw ont vu leur défense à quatre punie en contre par les véloces Mexicains lors de leur première sortie de l’été russe.

Si on souligne souvent l’exigence physique que représente le rôle dans le couloir, tenu par Yannick Carrasco à gauche et Thomas Meunier à droite dans le système des Diables, les allées et venues le long de la ligne de touche ne sont-elles pas encore plus longues pour les membres d’un quatuor défensif ? Carlo Ancelotti lui-même désignait cette limite importante à son système dit du  » sapin de Noël « , en 4-3-2-1 (voir schéma), qui lui avait permis de dominer l’Europe au début du siècle avec son Milan AC.

La relance chère à Ricardo La Volpe.
La relance chère à Ricardo La Volpe.

Privé de véritables ailiers, l’Italien avait alors installé deux meneurs de jeu à l’intérieur, entre les lignes, pour perturber les références du système défensif adverse. Trop loin pour être pris au marquage, les deux hommes ( Clarence Seedorf et Kaka, lors des meilleures années du système) pouvaient créer le surnombre dans l’axe sans être pris trop facilement par l’arrière latéral adverse. Par contre, quand il s’agissait d’obtenir de la largeur, des courses exigeantes étaient demandées à Cafu et Marek Jankulovski, parfois surpris dans le dos après une montée trop audacieuse et un contre adverse bien mené.

Là aussi, la défense à trois doit éviter le naufrage suite à un ballon bien emmené dans le couloir par l’adversaire. Le 3-4-2-1 n’est finalement qu’une infime retouche apportée au sapin de Noël milanais. Chez les Diables, il permet à Hazard d’être entre les lignes, et d’échapper à la tenaille constituée par les adversaires et la ligne de touche, et de briller plus que jamais dans les espaces entre le milieu de terrain et la défense.

COULOIRS FÉBRILES

 » Les trois défenseurs permettent à d’autres hommes d’être plus haut sur le terrain « , expliquait Martinez en racontant son système à Wigan.  » Les wing-backs ne sont pas des latéraux qui doivent être bas puis attaquer pour nous donner un homme en plus. Ils sont dans des positions où ils peuvent faire les deux un peu mieux.  » Thomas Meunier confirme :  » Personnellement, j’aime bien ce système avec une défense à trois, parce que j’aime bien faire de tout, être dans les seize mètres. J’essaie toujours d’apporter quelque chose en possession de balle et ce système me le permet.  »

Le fameux sapin de Carlo Ancelotti.
Le fameux sapin de Carlo Ancelotti.

La médaille, comme celle qui trône au-dessus des avantages de chaque plan de jeu footballistique, a évidemment son revers. En Belgique, Felice Mazzù avait été le premier à exploiter systématiquement celui du système Vanhaezebrouck. Les Zèbres profitaient alors du temps de latence où la défense à trois des Gantois se déplaçait pour se recroqueviller à quatre, avec un retour de Thomas Foket à droite. Car pour refermer les espaces d’une défense, rien ne vaut une ligne de quatre hommes,  » l’occupation la plus rationnelle du terrain « , selon Christian Gourcuff.

Lancé le long de la ligne, dans la profondeur, Clément Tainmont a été l’atout majeur dans ce plan anti 3-4-2-1 qui a permis à Mazzù de contrarier à maintes reprises les plans de Vanhaezebrouck. Même chez les Diables, c’est dans le dos des deux joueurs de couloir que les poignards adverses sont plantés, sous forme de balles en profondeur qui forcent souvent Yannick Carrasco et Thomas Meunier à lancer un sprint vers l’arrière, au bout d’une action où ils avaient amené le surnombre offensif.

 » C’est vrai que notre équipe attaque énormément. Donc nous, les ailiers, on a parfois du mal à revenir « , confirme Yannick Carrasco à la presse belge rassemblée en Russie, en quête de failles dans le 3-4-2-1 national.  » Mais Simeone le disait toujours à l’Atlético : tout ce qui passe par les côtés est moins dangereux. Il faut d’abord qu’il y ait un bon centre, qu’un attaquant mette la tête… Martinez est aussi de ce principe-là.  »

Un principe aux dégâts plus télégéniques que statistiques. Car depuis son passage à trois derrière, la Belgique a concédé 17 buts en 21 sorties. Une moyenne de 0,8 but par match qui reste légèrement inférieure à celle de l’ère Wilmots (0,9 but par rencontre). Souvent amené par l’adversaire dans le dos des latéraux belges, le ballon finit rarement par un centre victorieux. Seuls cinq des douze buts encaissés de plein jeu par les Belges depuis le passage au 3-4-2-1 sont nés d’une passe dans le dos de nos arrières latéraux, soit 42 % du total hors phases arrêtées. Avec la défense à quatre de Marc Wilmots, reconduite par Roberto Martinez face à l’Espagne, 22 des 35 buts encaissés (toujours hors phases arrêtées) sont partis dans le dos des arrières latéraux, dont 14 fois dans celui d’un Jan Vertonghen que d’aucuns jugeaient alors abandonné par le manque d’abnégation défensive d’Eden Hazard. Soit 63 % des ballons aboutis au fond des filets belges.

Et si ce problème-là était bien plus qu’une question de système ?

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