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 » JE NE SUIS PEUT-ÊTRE PAS FAIT POUR PORTO « 

On le voit à Anderlecht dès l’été prochain. Il ne dit ni oui, ni non. Seule certitude :  » Pour revivre une saison comme celle-ci, je ne suis pas partant.  » Le déménageur breton se confie pour la première fois sur son expérience portugaise.

« Un journal belge a écrit récemment : -Laurent Depoitre déprime à Porto. N’importe quoi. Là, je te donne l’impression de déprimer ?  » Il nous fait cette confidence sous le soleil, en marchant sur la digue, face à l’Atlantique. Il faudrait être un gosse sacrément gâté pour déprimer dans un décor pareil. Et Laurent Depoitre n’a absolument pas le profil, l’étiquette d’un gosse pourri. Donc, non, il ne déprime pas. Il a beaucoup trop peu de temps de jeu à son goût avec le FC Porto, mais pour le reste, la vie est belle. Un bon contrat dans un club qui reste une légende et un géant européen, des duels quotidiens avec Iker Casillas, une superbe petite amie, un climat adorable, un magnifique appartement presque les pieds dans l’eau, …

Vila Nova de Gaia. C’est chez lui, à une petite demi-heure du centre de Porto, qu’il nous reçoit pour accorder sa première longue interview depuis son transfert en août dernier. La tête de l’homme qui quitte le parking quand on y pénètre, elle nous dit quelque chose. Mais oui : Danilo, champion d’Europe avec le Portugal. Il y a d’autres joueurs de Porto dans le même immeuble. Dont l’international algérien Yacine Brahimi. Sur l’étagère, on découvre la biographie de Cristiano Ronaldo. Laurent Depoitre y a-t-il découvert l’un ou l’autre petit secret d’attaquant qui bute à chaque match ?

 » On me l’a offerte, je ne l’ai pas encore commencée.  » Sur la même étagère, un ballon de foot vintage à fond, comme on en faisait aux débuts de ce sport.  » C’est le cadeau remis à l’homme du match après chaque rencontre à domicile. C’était en décembre, contre Chaves. J’étais rentré à une demi-heure de la fin, Porto était mené 0-1. J’avais égalisé puis on avait gagné in extremis.  »

 » PORTO EST UNE VILLE QUI VIT POUR LE FOOT  »

J-3. On est à trois jours du choc des chocs dans le foot portugais : Benfica – Porto. C’est toujours chaud, et c’est particulièrement bouillant cette saison. Il reste huit journées, Benfica est en tête avec un point d’avance sur les Dragons qui n’ont encore perdu qu’une seule fois, ont la meilleure attaque et la meilleure défense.

LAURENT DEPOITRE : Je pense que ce sera le match capital pour le titre. S’il y a un vainqueur, il prendra un ascendant moral qui pourrait être décisif.

Comment ça se vit en ville, un match pareil ?

DEPOITRE : Ah, dès que tu sors, tu sens que c’est bientôt le choc… C’est clairement une ville qui vit pour le foot. Les tickets pour Benfica ont été mis en vente au stade hier, c’était blindé. Mais nous, les joueurs, on prépare ce match comme un autre. Tous les entraînements sont à huis clos, donc on ne voit pas trop les supporters en semaine. On est un peu isolés de l’effervescence, ce n’est sans doute pas plus mal. Au stade, les jours de match, c’est autre chose. Là, on est en plein dedans, dans la fièvre, dans le fanatisme. Quand Benfica est venu jouer chez nous, c’était sold-out depuis longtemps alors que notre stade n’est pas systématiquement rempli pour les autres matches. Et j’ai vécu une ambiance que je n’avais jamais connue. On m’a prévenu que ce serait au moins aussi fort ce week-end à Lisbonne.

La rivalité Benfica / Porto, c’est combien de fois plus fort que l’opposition Gand / Bruges ?

DEPOITRE : C’est fort différent. En Belgique, tu ressens une rivalité entre des clubs. Entre le Standard et Anderlecht. Entre Bruges et Gand. Ici, tu sens que ce sont des villes qui s’opposent. C’est la population de Porto contre la population de Lisbonne.

 » IL FAUT ARRIVER À PERCER LE COFFRE  »

Porto a toujours été sur le podium du championnat depuis 1978, mais là, le club vient de passer trois fois de suite à côté du titre. Tu sens de l’impatience ? De la frustration ? De la jalousie ?

DEPOITRE : Un peu de tout ça, oui. Les trois fois, c’est Benfica qui a été champion. On a une certaine pression… Les supporters veulent que le titre revienne chez nous dès cette saison. Trois ans, c’est long, c’est une éternité pour eux. Le message qu’ils nous font passer est assez clair : montrez que vous êtes meilleurs que Benfica. On a la meilleure attaque, c’est bien. On a la meilleure défense, c’est bien. Mais on est juste derrière parce qu’on a fait plusieurs 0-0, c’est surtout ça qui nous empêche d’être en tête. Parfois, on n’a pas trouvé la clé quand l’adversaire ne cherchait rien d’autre qu’un 0-0. Et il y en a beaucoup qui font ça contre nous. Si on arrive à marquer vite, le match s’ouvre et d’autres buts suivent, bien souvent. Mais il faut percer le coffre une première fois ! En Belgique, déjà, ça m’embêtait, les équipes qui reculaient et faisaient bloc pour prendre un point contre Gand. Ici, c’est pratiquement chaque week-end. Parfois, Iker Casillas ne touche pas un ballon. Ça se résume à un attaque – défense d’une heure et demie. Ce n’est pas très agréable.

Tu as joué une demi-heure du premier match de Ligue des Champions, contre Copenhague. Après ça, tu n’as plus quitté le banc, tu t’es même retrouvé deux fois en tribune. La Champions League, ce n’était pas un des arguments pour que tu signes ici ?

DEPOITRE : C’est clair que quand tu y as goûté, tu as envie d’en reprendre. Oui, c’était un des critères, même si je pense que j’aurais quand même choisi Porto s’il n’avait pas été qualifié. En fait, c’est la Ligue des Champions qui m’a fait signer précipitamment. Porto voulait me mettre in extremis sur sa liste pour les matches du tour préliminaire contre la Roma. J’ai signé, et quelques jours après, on m’a dit que je ne pourrais pas les jouer parce que j’avais déjà joué en Coupe d’Europe pendant l’été avec Gand. Pour les poules, là, il n’y avait pas de problème. Et n’avoir finalement joué qu’une partie de match, ça me fait ressentir un manque, c’est sûr. Tu imagines bien que les deux soirs où Porto a joué contre Bruges… ben j’avais envie d’être sur le terrain.

 » ICI, TU TE RENDS COMPTE QUE TU AS MIS LES PIEDS DANS QUELQUE CHOSE DE LÉGENDAIRE  »

Quand on te parle de Porto, qu’est-ce que ça évoque chez toi ?

DEPOITRE : Je pense directement à la Champions League gagnée avec José Mourinho. C’est un club qui y participe chaque année, qui va régulièrement assez loin. Porto a gagné je ne sais pas combien de titres au Portugal. C’est un grand club d’Europe, clairement. Quand tu vois les joueurs qui sont passés ici… Deco, Radamel Falcao, Hulk, James Rodriguez, … Il y en a plein. Quand on arrive au stade, on traverse une espèce de musée pour aller au vestiaire. Tous les grands moments du club sont en poster. Quand tu vois ça, tu te rends compte que tu as mis les pieds dans quelque chose de légendaire !

Quand tu étais à Ostende, si on t’avait dit que trois ans plus tard, tu aurais tous les jours des duels avec Casillas à l’entraînement…

DEPOITRE : Ben oui, chaque fois que j’ai fait un pas en avant, on m’a demandé si j’aurais osé imaginer ça. Evidemment que non ! Quand j’arrive à Ostende, il y a moins de cinq ans, c’est la D2 et mon but est de goûter un jour à la D1. Ça arrive là-bas, je me retrouve vite à Gand, et après deux saisons, je suis à Porto. Je voulais faire mon trou en Belgique, j’ai maintenant Casillas dans mon équipe, c’est comme ça…

Tu sais que les supporters étaient sceptiques quand tu es arrivé ? Tu as senti leurs doutes ?

DEPOITRE : Oui, un peu. C’est normal. Ils sont terriblement impatients de redevenir champions, alors, à chaque période des transferts, ils espèrent que la direction va leur offrir un grand nom. Moi, je n’ai pas un grand vécu. Ils ne me connaissaient pas, je n’ai pas été étonné. Et quand tu ne connais pas, tu pars plus sur une image négative ! J’ai connu les mêmes problèmes quand j’ai signé à Ostende puis à Gand. Les supporters de Gand sortaient des play-offs 2, et quand ils m’ont vu débarquer, ils se sont demandé si c’était moi qui allais ramener le club en PO1. Pour eux, j’étais un transfert bizarre, je n’avais encore joué qu’une saison en D1, j’étais presque condamné à simplement élargir le noyau. Je n’ai pas attendu mon arrivée à Porto pour me retrouver dans la peau de celui qui doit convaincre…

 » JE NE SUIS PAS LE PROTOTYPE DU FOOTBALLEUR D’AUJOURD’HUI  »

Un supporter de Gand a publié un long portrait de toi après ton départ. Il explique que tu n’es pas du genre à mettre 30 buts par saison, que tu n’es pas extraordinaire techniquement, que tu ne mets pas des buts spectaculaires, que tu n’as pas de crête et pas de tatouage, que tes qualités sont ailleurs. Tu es peut-être trop normal pour qu’on parle beaucoup de toi ? Trop dans la norme pour être très populaire ?

DEPOITRE : Je pense que je suis un joueur un peu atypique, oui. Je ne suis pas le prototype du footballeur d’aujourd’hui. Les gens s’identifient plus à un joueur vif, technique, qui va faire une action et marquer un beau but. C’est du spectacle qu’on demande ! Moi, je suis plus dans la sobriété, dans le collectif.

Comment tu juges ta saison ? Tu espérais autre chose, j’imagine ?

DEPOITRE : C’est sûr que ce n’est pas positif… Oui, je m’attendais à beaucoup mieux. Dès le début, ça a été compliqué. J’avais parfois la confiance de l’entraîneur, mais pas toujours. Et il y a vite eu un match charnière pour ma saison, en septembre. On joue à l’extérieur contre une des plus petites équipes, Tondela. Je suis titulaire. On fait 0-0 et notre match n’est pas bon du tout. Le mien est mauvais mais toute l’équipe passe à travers. J’ai l’impression que j’ai perdu tout mon crédit dans ce match. Après ça, je n’ai presque plus joué en championnat. J’ai même été régulièrement dans la tribune. Et les fois où je suis entré en fin de match, je n’ai pas été transcendant. Ce n’est pas évident d’avoir confiance en soi, de réclamer le ballon, quand ça ne va pas trop. La confiance, ça se détruit aussi vite que ça se construit. J’avais une peur de mal faire qui se voyait dans mon jeu. Quand tu joues comme ça, tu perds encore un peu plus tes moyens. C’est bien simple, depuis que je suis dans ce club, je n’ai jamais atteint le niveau que j’avais à Gand.

Quand tout allait bien à Gand, tu avais dit :  » Je ne m’attendais pas à ce que ça aille si vite.  » Ça peut aller très vite dans les deux sens…

DEPOITRE : Exact, et je ne sais pas si ça peut repartir dans la bonne direction ! L’entraîneur a maintenant son équipe type, elle est bien rodée, elle gagne. Porto a acheté un attaquant brésilien en janvier, Tiquinho Soares. Il n’arrête pas de marquer ! Il fait ça très bien. Il prouve qu’il mérite de jouer. Ça n’arrange pas ma situation. Je reste réaliste, je sais que je n’aurai plus énormément de temps de jeu cette saison.

 » JE NE VEUX PAS CONTINUER À CIRER LE BANC  »

Tu t’étais renseigné sur le club et le style de foot qu’on joue ici, avant de signer ?

DEPOITRE : Non, pas du tout, parce que je n’ai pas eu le temps. On joue contre Genk le dimanche soir. Dans l’après-midi, mon agent m’appelle, il me dit que Porto et Gand ont un accord pour mon transfert. Et Porto veut que je signe avant le lundi soir pour pouvoir être inscrit sur la liste pour les matches contre Rome. C’est super urgent, donc. Dès que le match est fini, je file à Zaventem et on vient ici en jet privé. Lucien D’Onofrio a tout réglé et il nous accompagne. Le lundi matin, je fais mes tests physiques, et à midi, on parle contrat. Je n’ai pas le temps de beaucoup réfléchir, je n’ai pas le temps de m’informer, mais je me dis que je ne peux pas refuser un club pareil.

Vous n’avez pas fait une erreur de casting, le club et toi ? Un magazine français a un jour parlé de ton gabarit de déménageur breton… Ça fait plus penser au championnat d’Angleterre.

DEPOITRE : C’est vrai qu’à la base, j’ai envie d’aller en Angleterre. Après, quand un club comme Porto vient… Je ne connaissais pas très bien le championnat du Portugal mais je me dis que s’ils me veulent, c’est qu’il y a des raisons. Dans mon esprit, ça veut dire qu’ils estiment que j’ai le bon profil. Après coup, je me demande si c’est le cas. Je ne suis peut-être pas fait pour Porto. Peut-être… Mais il y a aussi des circonstances qui n’ont pas tourné en ma faveur. Par exemple, en tout début de saison, le coach me dit que je vais être titulaire en championnat le week-end suivant mais je me blesse en semaine. Il y a aussi ce fameux match contre Tondela qui me condamne. Il y a l’arrivée de Soares qui explose directement. Dans d’autres circonstances, ça aurait peut-être pu tourner. Si je me sentais bien dans l’équipe et sur le terrain, ça aurait peut-être marché quand même.

Tu te vois où dans six mois ? Du côté de Bruxelles ?

DEPOITRE : Euh… (Il rigole). Bonne question. J’ai un contrat de quatre ans. Je devrai discuter avec le club. Avec l’entraîneur aussi, s’il reste. Je veux savoir ce qu’ils pensent. Est-ce qu’ils comptent encore sur moi ? Je n’ai vraiment pas envie d’une deuxième saison où je passerais mon temps à cirer le banc. Je veux être sur le terrain, jouer, marquer des buts. Le cadre de vie est magnifique mais c’est vraiment pesant d’être réserviste. Je saurais difficilement revivre une année pareille. Donc, si la situation ne change pas, je pense qu’il est préférable qu’on se quitte cet été. Préférable pour Porto et préférable pour moi.

 » ANDERLECHT, ÇA POURRAIT ÊTRE UNE SOLUTION  »

Tu sais qu’Anderlecht est sur le coup… On a beaucoup parlé de toi là-bas en janvier.

DEPOITRE : Je l’ai lu dans les journaux… Mais je me méfie toujours de ce que je lis… Je n’en sais pas plus. De toute façon, je ne pouvais pas partir en janvier puisque j’ai déjà joué pour deux clubs cette saison.

Il y avait une possibilité : retourner à Gand ! Tu y as pensé ?

DEPOITRE : Euh… (Il réfléchit et sourit). Ça aurait peut-être pu se faire. Mais dans les derniers jours de décembre, l’entraîneur me relance contre Chaves, je marque et je suis élu homme du match. À ce moment-là, je me dis que ma situation va peut-être évoluer. Et puis je ne voulais pas tout quitter aussi vite, abandonner un club et un pays après seulement cinq mois. Je voulais me battre.

Pratiquement, Anderlecht, ça te tente ?

DEPOITRE : Ça pourrait être une solution. Maintenant, j’aimerais bien vivre une aventure à l’étranger qui marche avant de rentrer en Belgique. Je n’ai pas envie de revenir sur un échec, j’aimerais bien faire mon retour en ayant vécu quelque chose de beau ailleurs.

PAR PIERRE DANVOYE À PORTO – PHOTOS IMAGEGLOBE PAULO DUARTE

 » Je sais que je n’aurai plus énormément de temps de jeu cette saison.  » – LAURENT DEPOITRE

 » Depuis que je suis à Porto, je n’ai jamais atteint le niveau que j’avais à Gand.  » – LAURENT DEPOITRE

 » Parfois, Iker Casillas ne touche pas un ballon. Ça se résume à un attaque – défense d’une heure et demie. Ce n’est pas très agréable.  » – LAURENT DEPOITRE

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