© EPA

Comment se porte le foot islandais, un an après l’Euro?

Juillet 2016, l’Islande quitte l’EURO en quart de finale après avoir enchanté l’Europe entière pendant trois semaines. Près d’un an plus tard, où en sont les Vikings dans leur développement footballistique amorcé au début du siècle ?

Des centaines de petits Birkir, Gylfi, Eidur et Kolbeinn en un seul jour, l’histoire aurait été belle. Le mardi 28 mars dernier, l’Europe se réveille le sourire aux lèvres : l’Islande a connu un baby boom la veille. C’est Pétur Asgeir, obstétricien dans un hôpital de Reykjavik, qui diffuse l’information sur Twitter : « Le record de péridurales a été battu ce week-end – neuf mois après la victoire 2-1 contre l’Angleterre. » Le temps d’une journée, cette révélation devient bien entendu le sujet de discussion n°1 près de la machine à café. Le lendemain, l’effervescence retombe quelque peu quand Le Parisien décide de contacter Asgeir pour officialiser l’information… ce qu’il ne fait pas. « Ça ne doit pas être pris au sérieux, il n’y a absolument aucune statistique pour le confirmer ! » Peu importe, le « mal » est fait.

Et puis qui aurait intérêt à faire chanceler, ne fût-ce qu’un peu, l’amour des Islandais pour le football alors que le Viking est à la mode depuis juin 2016 ? Pas Jonathan Hendrickx, en tout cas. Le défenseur belge, qui évolue en D1 islandaise au FH Hafnarfjördur depuis 2014, a largement eu l’occasion de tester la ferveur locale pendant le Championnat d’Europe. « 99 % de la population regardait les matchs », se souvient l’ancien du Standard de Liège. « Au point qu’il y avait beaucoup moins de monde dans les stades alors qu’on était en plein championnat. Mais la Fédé s’en est rendu compte et a déjà offert une partie de l’argent reçu à l’EURO aux clubs pour la formation des jeunes. »

« L’EURO a été une formidable publicité »

Le très bon championnat d’Europe des Islandais a eu d’autres effets sur le développement de leur football. Du côté pratique, la Fédération a eu l’occasion d’intensifier sa professionnalisation en embauchant des entraîneurs full-time pour ses équipes U16, U17 et U19. Du côté de la notoriété, la Fédé est chaque semaine noyée de demandes de journalistes ou d’autres Fédérations qui veulent échanger sur le football et/ou connaître le secret islandais. « Le parcours de notre équipe à l’EURO fascine vraiment les gens, ils se disent que tout est possible », glisse Dean Martin, cet Anglais chauve responsable de la cellule nationale d’identification des talents. Actuellement, la demande est tellement importante que pour pouvoir répondre à toutes les sollicitations, les employés de la Fédé doivent se relayer. Thorlakur Arnason fait partie de cette tournante. L’actuel entraîneur des U19 nationaux reçoit dans une salle de réunion vitrée du stade Laugardalsvöllur à Reykjavik. « La réussite islandaise a constitué une formidable publicité pour tous les bons footballeurs du pays. Désormais, si un club hésite entre un joueur islandais et un finlandais, il prendra plus facilement le premier. Les gens ont bien vu qu’on avait une bonne mentalité et qu’on avait beaucoup travaillé pour arriver où on est. »

Sorte de Mogi Bayat islandais, l’agent Bjarki Gunnlaugsson (ancien joueur pro à Feyenoord et Nuremberg notamment) s’occupe désormais de la carrière d’une grosse majorité de ses compatriotes via sa société Total Football, située en plein centre de Reykjavik. Il confirme l’intérêt grandissant de l’Europe pour le produit islandais, mais place néanmoins quelques réserves. « Après l’EURO, tous les joueurs du noyau de l’équipe nationale ont eu la possibilité de faire un pas en avant dans leur carrière. Mais ceux qui évoluaient en D1 islandaise ont reçu des offres uniquement de Scandinavie. C’est normal, vu que le niveau du championnat n’a pas suivi celui de l’équipe nationale. »

Enfin, si l’EURO a marqué la population islandaise et conforté les jeunes dans leur rêve de devenir les prochains Gudjohnsen et Sigthorsson, il n’a curieusement pas démultiplié le nombre de nouveaux pratiquants. « Sur une classe de 50 élèves, tu peux être sûr que 20 d’entre eux jouaient déjà au foot avant l’EURO », assure Thorlakur Arnason. « Ça sera donc difficile d’encore augmenter ce nombre, déjà que le football a supplanté le handball, qui est pourtant le sport national historique. »

7 % de la population joueuse

Il y a un an, alors que l’Europe occidentale découvrait l’équipe de la Terre de glace en France, beaucoup ont lié la réussite islandaise à la volonté du gouvernement de contrer le spectre de l’alcool et de la drogue chez les jeunes en développant le foot. C’est en partie vrai… « Être occupé par le football jusqu’à ses 19 ans minimum permet à beaucoup de jeunes de résister à « franchir la ligne » : ils ont une discipline et surtout un endroit où aller, ils ne traînent pas à droite à gauche », concède ainsi Dean Martin. Mais les développements de facilités pour la pratique du football sont également issus de la volonté des villes d’acquérir une certaine renommée, d’où leur investissement dans des complexes, des formateurs, etc. En 2017, en plus des centaines de terrains en herbe, les 23.571 joueurs (soit 7 % de la population ! ) des 90 clubs de l’île disposent ainsi d’une vingtaine de halls destinés au football, de 24 terrains synthétiques et 144 mini surfaces.

Mais le triomphe islandais n’aurait jamais existé sans cette mentalité propre à cette ancienne colonie danoise. « Même en 1986, quand on affrontait le Brésil, la meilleure équipe du monde, on ne se disait pas qu’on voulait limiter la casse, mais plutôt qu’on allait les battre », se souvient Thorlakur Arnason. Il explique ensuite que là où les sélectionneurs de toutes les autres nations doivent encourager leurs gars à faire le boulot, il ne sert à rien d’être « agressif » dans son discours avec les jeunes islandais car ils le sont déjà assez. « Il faut surtout les calmer », se marre ainsi le grand coach à la chevelure rousse mais rare. Il conclut ensuite son discours avec une illustration contemporaine. « Les footballeurs islandais sont typiquement comme dans la série télévisée Vikings où les héros ne réfléchissent pas et se disent « On y va, on tue des gens et puis on verra. » C’est toujours là qu’ils se rendent compte des conséquences de leurs actes : « Merde, on n’a pas été malins, tout le monde veut nous tuer maintenant ! » C’est typique de la mentalité islandaise : on n’est pas organisé (rires). »

Heureusement, ce manque de structure a été comblé par la présence de Lars Lagerbäck à la tête de l’équipe nationale de 2011 à 2016. « Les joueurs savaient qu’il avait déjà entraîné de grosses stars comme Zlatan ou Ljungberg », lance l’agent Bjarki Gunnlaugsson. « Du coup, personne n’osait dépasser la ligne. » Celui qui était considéré comme l’homme de la situation a pris le temps de transmettre son sens de l’organisation et de la discipline à son assistant, Heimir Hallgrimsson, cet ancien dentiste qui est, depuis juillet, le sélectionneur principal. Et qui marche sur les traces de son maître avec un certain succès, semble-t-il. « Désormais, les Islandais pensent plus à leur équipe nationale qu’à leur club », certifie Thorlakur Arnason. « Ils pourraient très bien être blessés pour leur club… mais disponibles pour leur pays quelques jours plus tard. Le problème des gars qui s’intéressent surtout à l’argent n’existe pas ici. »

Powerpoint, parité et badminton

Reste que le succès à l’EURO doit beaucoup au talent de la génération actuelle. Et pour ne pas retomber dans l’anonymat une fois que tous les Sigurdsson, Sightorsson et autres Bjarnason auront pris leur retraite, la Fédération a lancé tout un processus de formation des jeunes. Nommé en janvier dernier responsable de la cellule d’identification des talents, Dean Martin parcourt l’île entière à la recherche des talents de demain. « La nation est petite donc il faut être très prudent : on n’a pas le temps de louper des joueurs, ça pourrait nous coûter cher », prévient celui qui a immigré en Islande il y a plus de 20 ans. « Lors de mon premier repérage en hiver, chaque club sélectionne cinq joueurs que je vois individuellement trente minutes et à qui on passe un powerpoint où l’on montre toute l’importance d’être une bonne personne. On a besoin de pouvoir faire confiance aux joueurs qui pourraient représenter l’Islande et il faut leur donner l’espoir qu’en se battant, ils peuvent arriver à quelque chose. » Entre ce premier contact et son deuxième tour d’Islande en été, Dean Martin reste en contact constant avec tous les clubs pour savoir si tel joueur a gagné un peu de puissance, si un autre a grandi de cinq centimètres, etc.

Le superbe EURO islandais n'a pas eu pour effet d'augmenter significativement le nombre de pratiquants. Il faut dire que déjà 7 % de la population joue au foot en club.
Le superbe EURO islandais n’a pas eu pour effet d’augmenter significativement le nombre de pratiquants. Il faut dire que déjà 7 % de la population joue au foot en club.© AFP

Toujours dans ce même esprit de professionnalisation du football national, l’Islande dispose en grande majorité de très bons formateurs. Là-bas, pas question de voir le papa d’un joueur coacher, il faut un diplôme pour prendre une équipe en charge. « On pense à tout le monde, chacun reçoit une formation qui lui correspond », relance Thorlakur Arnason. « On ne fait pas de distinction entre les bons et les mauvais joueurs : on entraîne tout le monde ensemble là où beaucoup de pays ne prennent que les meilleurs. Ça donne plus de possibilités de réussites, parce que tous ces jeunes y croient et se donnent à fond pour réussir. » Passé par le centre de formation du Standard de Liège, le Belge Jonathan Hendrickx émet néanmoins quelques doutes quant à cette méthode. « Ici, tout le monde peut jouer dans le club qu’il veut tant qu’il paie l’affiliation. On peut donc se retrouver avec une équipe de jeunes de FH – le plus grand club du pays – dernière de son championnat. J’ai l’impression que l’absence du côté élitiste freine un peu les progrès du foot islandais. »

Autre différence avec la formation « à la belge » : le nombre d’entraînements. Sur la Roche, il est coutumier de voir les enfants de cinq ans s’entraîner deux fois par semaine et passer à cinq une fois qu’ils ont atteint l’âge de sept ans. Mais les gamins ne font pas que taper dans un ballon. Pour acquérir une certaine dynamique et utiliser un maximum leur corps, ils enchaînent ainsi des séances de gymnastique, de basket, de badminton… « Vu notre mentalité, notre physique et nos conditions météorologiques, on ne jouera jamais comme Barcelone. On doit donc s’imprégner d’un autre système, toujours très collectif, de combativité et d’organisation », sert Dean Martin en guise de conclusion sur le sujet. Et si on sort un diamant brut – en moyenne tous les 15-20 ans – on ne doit pas dire qu’il ne convient pas à notre système, on doit justement bâtir notre équipe autour de lui. »

Championnat stagnant

Coincée entre la Moldavie et la Finlande au 35e rang du classement UEFA des championnats, la Pepsideild islandaise n’a grappillé que deux petites places en dix ans… mais était encore à la 41e position il y a cinq ans. « Il y a de bonnes équipes, mais la route est encore longue pour atteindre les standards européens », pense Dean Martin. « La base est toujours semi-professionnelle et actuellement, tous les jeunes continuent à privilégier l’université et le travail, donc on n’est pas vraiment dans une phase de changement. » Tous les observateurs s’accordent sur la question : pour que la D1 islandaise passe un cap, il faudra faire des résultats en Europe. « Pourtant, après l’EURO, les clubs ont cru que tout allait changer pour eux », analyse Bjarki Gunnlaugsson. « Ils ne reconnaissaient tout simplement pas la différence entre l’équipe nationale et le championnat. Maintenant, ils ont compris qu’ils devaient aussi réussir quelque chose. » « FH est passé tout proche d’y arriver l’été dernier », rappelle d’ailleurs Thorlakur Arnason en pensant à l’élimination du club de Jonathan Hendrickx au deuxième tour de la Ligue des Champions contre Dundalk. Une fois qu’une formation y sera parvenue, l’argent reçu par l’UEFA permettra de continuer à évoluer, ce qui sera bénéfique pour tout le championnat. » En attendant, le seul moyen de percer pour un Islandais est soit de rejoindre une académie d’Europe occidentale avant sa majorité, soit de transiter par la Scandinavie avant d’espérer plus. Le parcours idéal ? FH, Aarhus (Danemark), AZ Alkmaar (Pays-Bas), Werder Brême (Allemagne).

Tournant décisif

« Si on est parvenu à atteindre l’EURO 2016, c’est aussi parce que les Pays-Bas et la Turquie étaient en méforme. Avec tout le respect que j’ai pour notre équipe nationale, pour que l’on fasse de bonnes choses, il faut aussi que nos adversaires soient moins bons. » À travers les propos de Thorlakur Arnason, on sent que sa pointe d’humilité prend des airs de justification au cas où le futur islandais s’assombrissait. Les Strákarnir okkar se trouvent désormais à une étape difficile : ils ont atteint leur top, il va falloir y rester. Comment ? La réponse – largement soupçonnée – est donnée par Jon Jonsson, arrière droit de FH et chanteur ultra connu au pays. « Les jeunes veulent être cools parce qu’ils voient que leurs sportifs préférés le sont. Mais ils ignorent la quantité de travail développée par ceux-ci pour en arriver là. On doit donc continuer à leur enseigner les valeurs d’humilité et de travail. Si les jeunes comprennent ça et qu’ils jouent avec leur coeur, on va continuer à vivre de bons moments. »

PAR ÉMILIEN HOFMAN, EN ISLANDE

Cap sur la Belgique

Cela fait plus de 40 ans que Lokeren a tenté l’expérience islandaise avec Arnor Gudjohnsen … Depuis, les Waeslandiens n’hésitent pas à y refaire régulièrement leir marché. « Lokeren sait qu’il peut faire confiance aux Islandais, ils vont toujours trouver des joueurs concernés à 100 % et bourreaux de travail », certifie ainsi l’agent Bjarki Gunnlaugsson. La Gantoise commence aussi à s’intéresser à nos joueurs… ce qui est parfait pour eux : la Belgique est un tremplin idéal. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire