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« Champion du monde? Oui, mais n’écoutez pas l’entraîneur! »

Chroniqueur respecté aux Pays-Bas, et vice-champion du monde en 1974, Willem van Hanegem a la langue bien pendue. Et un avis tranché sur les Diables Rouges et Roberto Martinez. Entretien.

Ses boucles brunes sont ébouriffés. Visiblement, Willem van Hanegem (74 ans) n’a pas beaucoup prêté attention à son look ce matin au Golfclub Houtrak, entre Haarlem et Amsterdam.

Nous nous trouvons en face d’une icône du football néerlandais. Mais il ne se distingue pas des autres. Ce n’est pas  » Monsieur Van Hanegem « . Simplement Willem.

Aux Pays-Bas, c’est un chroniqueur respecté. Quelqu’un qui regarde à droite lorsque la majorité regarde à gauche.

Il est comme ça, Willem. Pas comme tout le monde. Il n’est comme personne. On s’en aperçoit déjà après une minute, lorsque la conversation tourne directement autour de Kevin De Bruyne.  » Je ne peux pas m’empêcher de rigoler lorsqu’aujourd’hui, j’entends tout le monde dire qu’il est bon « , lance-t-il.  » Il l’était déjà quand il avait 17 ans et qu’il jouait à Genk. Seulement : il devait jouer comme ailier gauche. Car là, il y a moins de danger quand on perd le ballon. 17 ans, un talent incroyable. Et puis, on parle de transition et de récupération, vous vous rendez compte ? Je me dis alors : ça va pas la tête ? Ne peut-on pas simplement bien jouer au football, prendre du plaisir ? Non, il faut jouer en transition, se replier. Aujourd’hui, les joueurs pensent que s’ils parcourent beaucoup de kilomètres, l’entraîneur les félicitera. Même si, sur dix ou onze kilomètres, il en parcourent six comme un poulet sans tête.  »

Mousa Dembélé doit toujours jouer avec les Diables. Il est terrible, il a toutes les qualités, à part le sens du but.  » Willem van Hanegem

Lorsque Willem commence à parler de football, il ne s’arrête pas. Et parfois, il lance quelques piques.  » Lorsque je vois un bon joueur, je me dis souvent : celui-là peut devenir un très bon joueur, si on le laisse se développer tranquillement. Mais il se trouve toujours un entraîneur qui a tendance à se prendre au sérieux. Prenez le cas de De Bruyne. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’il joue comme il aurait toujours dû jouer. Car il a reçu la liberté de pouvoir jouer selon sa nature. J’ai bien aimé ce que De Bruyne a expliqué à propos de l’approche de Josep Guardiola. Avant un match, il a dit aux joueurs de Manchester City : – Ces onze joueurs forment l’équipe. Regardez ce que vous allez pouvoir en faire. Ils devaient décider eux-mêmes comment ils allaient se disposer sur le terrain. Alors, je me dis : – hé ! C’est exactement ce que j’ai toujours préconisé.  »

Réfléchir par soi-même

À table, il poursuit :  » C’est très important que Guardiola accorde cette liberté. On voit tout de même que c’est possible.  » Il a pris du plaisir à admirer ce qu’il appelle le meilleur football de tous les temps : le FC Barcelone sous Guardiola.  » Il faut le faire, parvenir à faire jouer une équipe de cette manière. Faire en sorte que les joueurs sachent exactement ce qu’ils doivent faire. Mais ce n’est possible que si l’on autorise les joueurs à réfléchir eux-mêmes.  »

Et ça, c’est son cheval de bataille. Laisser réfléchir les joueurs. La vision de Willem van Hanegem se base sur trois éléments-clefs : prendre du plaisir, réfléchir soi-même et prendre ses responsabilités.

Dans un énième rapport qui doit sauver l’avenir du football néerlandais, le thème ‘plus de responsabilités’ a justement été évoqué.  » Je me suis rendu le long d’un terrain du centre fédéral. Là, le point de départ était que les enfants devaient résoudre eux-mêmes une situation. Il n’y avait pas d’entraîneur pour les guider, pas d’arbitre. Lorsqu’une faute était commise ou qu’un ballon sortait, on entendait : – Le ballon est pour toi. Pas de dispute, rien. J’ai vu suffisamment de matches de jeunes où j’ai entendu : – Si tu n’obéis pas, tu sors. Ça m’a mis mal à l’aise. Chez les jeunes, c’est l’essence même de pouvoir faire ce qu’on veut.

J’aimerais encore entraîner pendant un an. Et me comporter tout à fait normalement. Deux assistants et un entraîneur des gardiens. Les dix autres personnes qui sont censées travailler, peuvent partir. Le seul problème, ce serait le club. Toute une série de gens un peu fous gravitent autour. Et ces fous entretiennent d’autres fous. Ils diront que je n’ai plus entraîné depuis longtemps. Pourtant, il faudrait être aussi stupide qu’un âne pour ne pas savoir entraîner.  »

Il opte pour quelques règles de base.  » Pas d’alcool dans le bus, pas de cigarette et pas de téléphone. Il faut que les joueurs communiquent entre eux et ne restent pas assis comme des zombies. Ce n’est quand même pas idiot, n’est-ce pas ? C’est la manière que l’on pratique aujourd’hui qui est folle. Vous avez vu ces messieurs qui se baladent avec un sac et un casque vissé sur la tête ? Ce n’est pas normal.  »

Du temps et de l’espace

Ne pensez pas que Willem soit amer. De temps en temps, il lui arrive de rire entre les phrases. Comme une manière de relativiser le monde.  » Lorsque je regarde le football néerlandais, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. J’ai toujours une discussion avec mon fils. Il me dit : – Mais vous aviez beaucoup plus de temps et d’espace. C’est un non-sens. Le terrain a les mêmes dimensions, et il y avait autant de joueurs qui couraient dessus. On crée son propre espace lorsqu’on n’est pas en possession du ballon « . Andrea Pirlo avait toujours beaucoup d’espace. Et beaucoup de temps.  » C’est dommage que ce genre de joueurs disparaissent du paysage footballistique. Ils étaient les exemples qui démontraient que rien n’a changé, entre hier et aujourd’hui. Ni le temps, ni l’espace.  »

Willem van Hanegem :
Willem van Hanegem :  » Quand on possède autant de bons joueurs, on ne va quand même pas aligner quelqu’un de moins bon ? Les deux crollés (Marouane Fellaini et Axel Witsel, ndlr) ont moins de qualités.© BELGAIMAGE

Son pays ne lui manquera pas, cet été à la Coupe du Monde.  » Si on dit qu’on regrette l’absence des Pays-Bas à la Coupe du Monde, ça veut dire qu’on n’a plus vu un match de la sélection néerlandaise depuis dix ans. C’était quand même affreux, non ?  » Il ne regardera plus tous les matches, comme avant. Désormais, il veut surtout voir les grands pays à l’oeuvre. Comme les Diables Rouges.  » Les Belges ont la meilleure sélection. Ils peuvent devenir champions du monde « , dit-il d’un ton ferme :  » Mais écrivez en lettres capitales : n’écoutez pas l’entraîneur. Je le pense vraiment.  »

Champion du monde, malgré l’entraîneur

 » Si on donne aux joueurs la possibilité de discuter entre eux, avec l’ensemble de la sélection, ils finissent par se mettre d’accord. – Comment voulez-vous jouer ?À quelle position ? Et on fait en sorte que chacun sache qui fait quoi. Si on parvient à s’entendre et à bien définir les rôles, on forme une véritable équipe. Alors, la Belgique peut devenir championne du monde. Malgré l’entraîneur.  »

Pour ça, il faut avoir des joueurs adultes. Qui ont leur propre identité.  » Et la Belgique en a.  » Des joueurs qui sont capables, de plus, de mettre leur ego de côté.  » Avoir trop de bons joueurs, c’est un danger. Surtout s’ils veulent tous être importants. Comme dans leur club. Mais si ces joueurs sont animés de bonnes intentions et sont disposés à tenir compte de l’intérêt général, ils portent l’ensemble de l’équipe. Dans ce cas, il ne faut pas qu’il y ait des clans, mais un seul groupe uni pour un même objectif. Un individu ne serait pas tenté d’agir différemment, car il saurait que les autres le rappelleraient à l’ordre. On n’a pas besoin d’un entraîneur. Il a plus tendance à vous entraver qu’autre chose.  »

Il revient sur le Championnat d’Europe, où la Belgique a été éliminée en quart de finale par le Pays de Galles. Marc Wilmots a été critiqué par Thibaut Courtois.  » On a trop vite placé Wilmots sur un piédestal. Il n’était encore nulle part et il a gagné l’un de ses premiers matches contre les Pays-Bas de Louis van Gaal ( 2-4, ndlr). Ça promettait. Il était convoité par tous les clubs, prétendait-il. – Continue, mon vieux ! Si vous recevez encore une chance pareille à la Coupe du Monde, avec une telle génération, et que vous la gaspillez de nouveau, je n’ose pas imaginer. Ça vous poursuivra toute votre vie.  »

Cette génération doit tirer la leçon de ce qui est arrivé au Championnat d’Europe, estime Willem.  » Si Roberto Martinez veut jouer de manière défensive avec cette équipe, il faut le mettre dehors tout de suite.  »

Les crollés ont moins de qualités

L’équipe qu’il formerait avec les joueurs belges ne comporterait que des éléments au tempérament offensif à partir de la ligne médiane.  » Mousa Dembélé serait aligné d’office. Il est terrible, il a toutes les qualités, à part le sens du but. Je placerais De Bruyne devant la défense. Comment appelle-t-on ça ? Avec la pointe vers l’arrière. C’est encore l’une de ces expressions ! Je préférerais que l’on dise qu’il est le joueur de liaison. Il serait alors le pion le plus important pour aller vers l’avant. Car c’est devant qu’il y a le plus de qualités. On n’a pas besoin d’avoir un équilibre défensif dans l’entrejeu, comme on l’entend parfois. Quand on possède autant de bons joueurs, on ne va quand même pas aligner quelqu’un d’autre qui a moins de qualités ? Les crollés ( Marouane Fellaini et Axel Witsel, ndlr) ont moins de qualités. Et cette crête ( Radja Nainggolan, ndlr), je l’aime bien, mas ce ne sont quand même pas les cheveux qui font la différence ? Non, le troisième homme au milieu de terrain doit aussi être un footballeur. Et qu’on ne me dise pas, encore une fois, que pour l’équilibre de l’équipe, ce troisième homme doit être un récupérateur. Qu’on arrête avec ça ! Les récupérateurs… Si je suis dans les parages, je récupère le ballon, vous ne croyez pas ?  »

Il placerait Eden Hazard devant.  » À gauche, un peu en soutien. Avec Romelu Lukaku en pointe et le petit, là. Dries Mertens, oui.  » Willem rit.  » Je l’ai vu à l’oeuvre à AGOVV, à Apeldoorn. Je n’ai jamais pensé qu’il deviendrait aussi bon. Celui qui court à côté de lui, mesure aussi 1m50 ( Lorenzo Insigne à Naples, ndlr). Je trouve ça beau. Aujourd’hui, on a tendance à ne prendre que des joueurs d’1m98 de haut et 2 mètres de large. Regardez Andrés Iniesta. Iniesta est un footballeur raffiné, beau à voir jouer. Parfois, je le trouve même meilleur que Lionel Messi. C’est comme s’il jouait avec des gants aux pieds. Lorsqu’il contrôle un ballon, lorsqu’il adresse une passe brossée… La facilité, le plaisir. Il n’évite pas un joueur, mais deux ou trois, qui ne peuvent pas intercepter le ballon. C’est tellement beau. « 

Par Mayke Wijnen

Une image d'archives de 1968 : le gardien Jan van Beveren (Sparta) s'empare du ballon au nez et à la barbe de Willem van Hanegem (Feyenoord).
Une image d’archives de 1968 : le gardien Jan van Beveren (Sparta) s’empare du ballon au nez et à la barbe de Willem van Hanegem (Feyenoord).© BELGAIMAGE

Fumer, bien manger et travailler dans le bâtiment

Willem van Hanegem est né en 1944 à Breskens, en Zélande. Il a perdu la finale de la Coupe du Monde 1974 avec les Pays-Bas et a remporté la Coupe d’Europe des clubs champions 1970 avec Feyenoord. Il n’a jamais connu son père Lo, qui est décédé dans un bombardement alors que Willem n’avait pas encore un an. Son frère et sa soeur ont également été tués dans ce bombardement. Il a déménagé à Utrecht avec sa mère. C’est là qu’il a grandi.  » Lorsqu’on voulait un ballon, il fallait le piquer quelque part. On ne pouvait pas s’affilier à un club, ça coûtait quelques centimes et il fallait avoir des chaussures de football. On était toujours dans la rue et on trouvait toujours quelque chose pour s’occuper. Pourvu que ça roule, ou que ça bouge.  »

Willem van Hanegem a dû attendre d’avoir 16 ans pour s’entraîner avec un club. En plus, il a travaillé dans le bâtiment jusqu’à ses 24 ans. C’était sa dernière année à Xerxes, en Eredivisie. Un an plus tard, il est parti à Feyenoord.  » Je pesais 95 kilos lorsque je me suis présenté. Mon poids de forme était de 85 kilos. Chez nous, on mangeait de la compote, des pommes de terre cuites et une boulette. Avec de la mayonnaise, bien sûr. Et le samedi soir, je buvais une bière. Est-ce tellement grave ? Le soir, si on a envie de boire une bière, pourquoi s’en priver ? Je fumais, aussi. Jusqu’à 15 cigarettes par jour, parfois… Ça ne m’a jamais barré le chemin du football.  »

Fiche Willem van Hanegem

Né le 20 février 1944 à Breskens.

Il a joué pendant 10 saisons pour Feyenoord mais également pour l’AZ Alkmaar, Utrecht et les Chicago Sting. Il s’est produit à 52 reprises pour l’équipe nationale néerlandaise.

Il est devenu T2 de Feyenoord en 1984. Par après, il a coaché entre autres Feyenoord, Al-Hilal, l’AZ et Utrecht (jusqu’en 2008). Entre 2002 et 2004, il a été T2 de Louis Van Gaal et Dick Advocaat chez les Oranje.

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