Buffon : « Je ne trouve pas révolutionnaire ce que fait Neuer »
Gianluigi Buffon, le légendaire gardien italien s’est livré à coeur ouvert. Il évoque notamment la nouvelle génération de gardiens et la façon dont il a surmonté une dépression. Extrait.
Lorsqu’il a démarré sa carrière professionnelle il y a plus de vingt ans, en 1995, Buffon était le grand espoir international des gardiens de but. Aujourd’hui, la référence à son poste s’appelle Manuel Neuer. Beaucoup disent qu’il a révolutionné la fonction, notamment par l’utilisation qu’il fait du jeu au pied. Qu’en pense-t-il ?
« Le jeu au pied a toujours fait partie des caractéristiques du gardien du but. Sincèrement, ce que fait Neuer aujourd’hui, c’est quelque chose que je connais très bien. Regardez les vieux matchs du Parme de Malesani, celui avec lequel nous avons gagné la coupe de l’UEFA, la coupe d’Italie et la supercoupe (en 1999, ndlr): trois à quatre fois par match, je sortais de ma surface pour aller arrêter une action de l’adversaire. Il se trouve que j’ai toujours eu une prédisposition à jouer au pied, parce que quand j’étais jeune, avant d’être gardien, j’ai joué dans le champ. Mais surtout, c’est quelque chose qui a toujours été assez répandu en Italie. Au début des années 90, Francesco Mancini, le gardien de Zdenek Zeman à Foggia, ou Luca Marchegiani à la Lazio, jouaient eux aussi beaucoup en dehors de leur surface. Tout cela pour dire que pour moi, il n’y a là aucune nouveauté. La vraie nouveauté au poste de gardien de but, c’est le Barça qui l’a apportée. Et c’était il y a dix ans. Parce qu’à ce moment-là, le Barça a non seulement intégré le gardien dans l’équipe, mais il l’a intégré dans la phase de construction du jeu. Avant, un gardien qui sortait de sa surface comme je pouvais le faire, il le faisait pour interrompre une action adverse. Mais le Barça a ajouté quelque chose: désormais, le gardien n’est plus là pour interrompre une action, il est là pour l’initier ».
Cette polyvalence ne touche pas seulement les gardiens de but, mais tous les joueurs. Aujourd’hui, l’attaquant doit savoir défendre, le défenseur doit savoir attaquer.
« Dans le foot actuel, soit tu es un phénomène -un vrai phénomène, hein- et alors tu peux te permettre le luxe de faire une course en moins, de t’économiser un peu plus que les autres. Parce que chaque fois que tu as la balle, tu fais la différence. Ça, c’est Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, aussi Neymar ou Zlatan Ibrahimovic. Mais si tu n’es pas l’un de ces joueurs, si tu es un joueur faible, moyen, ou même juste fort, tu dois courir. Parce qu’avec l’exigence physique qui existe désormais, aucune équipe ne peut plus se permettre d’offrir un joueur aux adversaires. Quand j’ai démarré, on pouvait se permettre d’avoir un ou deux joueurs qui couraient moins. Maintenant, c’est terminé ».
Surmonter la dépression
Buffon dégage un énorme sentiment de confiance, y compris vis-à-vis de ses adversaires et de ses coéquipiers. Pourtant, peu de gens le savent, mais il a fait une dépression en 2003.
« Un gardien de but, c’est la même chose qu’un journaliste ou qu’un chanteur: c’est un homme. Et comme tous les hommes, nous vivons la vie, et quand on vit la vie, ce sont des choses qui arrivent. Ce qui m’est arrivé est très banal. J’avais 25, 26 ans à l’époque, et de garçon, j’étais en train de devenir un homme. Ce sont des moments où tu réalises que tu dois laisser de côté l’insouciance, la joie et toutes les conneries que tu peux faire quand tu es un garçon. Tu réalises que désormais, tu dois proposer un autre type de vie, que tu ne peux plus te proposer aux autres de façon désinvolte, comme un adolescent. C’est ce passage d’un âge à un autre qui m’a fait traverser ce que j’ai traversé. Pour m’en sortir, on m’avait proposé de prendre des médicaments. Mais j’ai réussi à surmonter cela sans y avoir recours. Si j’avais cédé, j’aurais créé, je pense, dans ma tête, une sorte de dépendance à quelque chose. Mais moi, je ne veux jamais être dépendant de rien, ni de personne. Pour cela, j’ai repoussé l’aide médicale, et j’ai cherché seul la voie de sortie. À l’époque, quand je jouais, j’avais les jambes qui se mettaient à trembler sans prévenir, à l’improviste. J’avais peur. Et ce qui me faisait le plus peur, c’était la perspective de l’Euro 2004, au Portugal, qui arrivait. Le premier match était contre le Danemark. J’avais très peur. Peur d’échouer. Quand on est le gardien d’une nation comme l’Italie… Je m’en souviens très bien: je ressentais une très grande angoisse. Et au contraire, ce match a été le tournant. Un peu par talent, et un peu par chance -parce qu’à certains moments, on a besoin de chance-, j’ai réussi à faire un très bon match. Je me souviens que j’ai fait des arrêts importants, et je me souviens de la décharge et des émotions que m’a apporté le fait d’effectuer ces arrêts. Et au coup de sifflet final, pour la première fois depuis cinq, six mois, je me suis rendu compte que je n’éprouvais plus de tremblements dans les jambes. Que je commençais à retrouver la force qui m’avait toujours accompagnée. C’était comme si je renaissais. C’est un match lors duquel on a fait 0-0. Un sale match. À la fin, tout le monde était énervé, sauf moi, parce que j’étais en train de comprendre que j’avais probablement résolu mon problème. Et j’ai arrêté d’avoir peur d’aller là où j’avais le plus peur d’aller ».
Par Lucas Duvernet-Coppola et Stéphane Régy, à Turin
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