© BELGA

Belgique – Japon : la marche des géants

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face aux Nippons, au bout d’un scénario directement acheté par Hollywood (3-2).

Les mots changent parfois de définition selon leur lieu de naissance. Dans le code du bushido, qui fixe les principes moraux que les samouraïs doivent respecter, l’orgueil est une vertu. Il « doit être sorti de son fourreau, comme une bonne lame, pour ne pas rouiller », écrit même le samouraï Jocho Yamamoto.

Des milliers de kilomètres plus à l’ouest, la Belgique et sa tradition catholique ont classé l’orgueil au rang des péchés capitaux. Pourtant, porté par une phase de poules conclue avec neuf buts et autant de points, le pays parle plus de Neymar que des Japonais avant de voir ses onze héros monter sur la pelouse de Rostov. Grenouille de l’histoire mondiale, toujours privée d’une victoire en nonante minutes dans un match à élimination directe en Coupe du monde, la Belgique s’imagine plus puissante que le boeuf. Mais les seuls samouraïs franchissent la ligne blanche avec un maillot bleu.

Le premier avertissement débarque plus tôt que la fin de la première minute. Les Belges rendent rapidement le ballon aux Japonais, et Gen Shoji cherche directement le dos de Jan Vertonghen, contraint de renvoyer une tête mal maîtrisée dans les pieds de Shinji Kagawa. On joue depuis cinquante secondes, et le plan nippon est déjà limpide. Trois aiguilles sont plantées dans les points faibles du football diabolique : le dos de Vertonghen, le dessus du crâne de Meunier et le front de Carrasco sont pris pour cible.

LE RÉTROVISEUR DE KOMPANY

La Belgique, de son côté, est patiente. Revenu dans le onze, Vincent Kompany dicte la hauteur du bloc, et se positionne très bas, comme s’il pensait plus à la vitesse de ses adversaires qu’aux atouts de ses coéquipiers. Le Prince tire la corde dans un sens différent de celui qu’adorent Kevin De Bruyne et Eden Hazard, et les deux idées qui s’affrontent sous le même maillot empêchent les Diables de faire circuler le ballon pour relâcher la pression nippone.

Les premiers mouvements belges ressemblent souvent à une tentative de joindre le plus rapidement possible Romelu Lukaku, homme le plus puissant du onze national face à de chétifs Japonais. Pris dans les griffes du mètre 89 de Maya Yoshida, le buteur des Diables vit un match difficile dans les airs. La Belgique essaie d’imposer ses muscles, mais choisit de le faire en multipliant l’existence de son duel le plus compliqué à gagner. Plus compacts, les Japonais se régalent à la retombée du ballon.

Finalement, les Diables se fient aux idées de Kompany, et abandonnent le ballon en même temps que de précieux mètres. Repliés à cinq derrière, sans véritable redoublement des flancs, les Diables laissent progresser Sakai et Nagatomo, dont la présence offensive très ambitieuse permet à Takashi Inui de s’installer entre les lignes. Ancien joueur de Liga, le 14 japonais fait parler son toucher de balle en compagnie de Shibasaki et Kagawa. Le triangle ensorcèle Witsel et De Bruyne, enfermés dans un deux contre trois permanent sans jamais obtenir l’aide d’une ligne arrière trop passive.

ACCÉLERER N’EST PAS MARQUER

Dominés dans les idées, les Diables mènent toutefois au nombre d’occasions. Les corners mal exécutés cachent une idée prometteuse : chercher le deuxième poteau, là où les centimètres comptent double, pour ensuite jouer le rebond après une première tête réussie. Malheureusement pour le plan national, les remises manquent de qualité et Yoshida joue comme s’il était dans la raquette d’un parquet de NBA.

En l’absence d’initiative de ses trois défenseurs, Roberto Martinez incite Meunier à rentrer dans le jeu avec le ballon dès le round d’observation de vingt minutes écoulé. La première incursion du Parisien débouche sur un tir contré de Lukaku, et lance le temps fort belge de la première période. Un jeu en losange entre Alderweireld, Meunier, Witsel et Mertens offre une nouvelle occasion à Romelu, puis un tir puissant d’Eden Hazard offre aux Diables un nouveau corner, proche de sourire à Vincent Kompany.

Comme face au Panama, la Belgique laisse passer sa première accélération sans s’installer au tableau d’affichage. Un contrôle imprécis de Mertens et un mauvais choix d’Hazard face à l’omniprésent Yoshida concluent l’initiative belge. C’est même Nagatomo, lancé par un ballon envoyé au-dessus de Meunier, qui manque d’amener l’ouverture du score juste avant la pause, au bout d’un centre dévié, puis sauvé en deux temps par un Courtois presque maladroit.

À la mi-temps, la Belgique n’aura intercepté qu’un ballon dans le camp adverse. Plus précisément dans le rond central. Le chiffre d’un manque d’ambition à la conquête du ballon, rejoint par celui d’une aisance de la circulation japonaise : attaquant de pointe, Yuya Osako regagne les vestiaires avec 100% de passes réussies.

MARTINEZ À 2-0

Les frais arrivent en moins de trois minutes, après la pause. Pendant que Meunier et Mertens tentent un une-deux aux abords du rectangle japonais, Kompany regarde encore dans le rétroviseur. La combinaison ratée tourne au drame quand l’espace gigantesque entre les lignes belges permet aux pieds hispanisés de Shibasaki, complètement libre dans le rond central, d’envoyer Haraguchi disputer un sprint face à Jan Vertonghen. Le roi national des sélections tente une interception, et ne peut ensuite que regarder la moto japonaise agiter le petit filet du but d’un Courtois impuissant.

Witsel, Meunier et Mertens combinent directement pour offrir un ballon à Eden Hazard, mais le capitaine trouve le montant plutôt que l’égalisation. Alors, c’est encore le Japon qui frappe. Mertens manque une passe vers De Bruyne, qui revient à toute allure pour être le septième Belge à défendre sur une reconversion menée par cinq Japonais. Passifs après la tête de Kompany qui repousse le centre d’Inui, les cinq défenseurs des Diables regardent De Bruyne et Witsel se faire promener par trois Nippons. Kagawa trouve Inui, qui décoche une frappe tellement puissante qu’elle assomme onze millions de Belges. Encore une fois, la Belgique défend mal parce qu’elle n’attaque pas ensemble. Son bloc est morcelé par des défenseurs qui jouent en marche arrière.

Sur le banc, Roberto Martinez est pensif. Aux gesticulations, il préfère le dialogue avec son adjoint. Contre le hourra-football qu’aurait induit une montée précoce de Michy Batshuayi, il choisit la réflexion. Pas question de jouer les 40 minutes restantes comme si l’urgence des arrêts de jeu était déjà là. À la 65e minute, après un nouveau centre envoyé par Meunier sur le front de Lukaku et trop décroisé par le Red Devil, il a sans doute la conviction qu’un plan s’impose.

QUAND LA TAILLE COMPTE

En un double changement, la Belgique gagne 31 centimètres. Marouane Fellaini et Nacer Chadli viennent remplacer Mertens et Carrasco. Ce n’est sans doute pas le football que Roberto Martinez préfère, mais c’est celui qui s’impose contre le Japon. Pas sûr que le sélectionneur soit un grand admirateur du football minimaliste prôné par son compatriote Javier Clemente, résumé en une phrase : « J’ai entendu des gens qui proposaient du spectacle, mais je suis un professionnel. On me paie pour gagner, pas pour faire des films. »

Dans le recueil de citations de Clemente, Martinez pointe donc une phrase du doigt. « Le football, c’est de la géométrie. Si nous ne pouvions pas passer l’adversaire en jouant sur le terrain, on le faisait par-dessus. » Les Diables n’avaient tiré qu’une fois au but de la tête pendant la phase de poules, ils le font sept fois contre le Japon.

C’est pourtant en cherchant les pieds de Lukaku, contrés par l’inévitable Yoshida, que Meunier obtient un corner. Au bout d’une partie de billard, il aboutit sur le front de Vertonghen, qui le frappe comme un javelot pour le planter dans les filets d’un Kawashima égaré. La Belgique retourne son calendrier, et fait passer l’ascension avant la résurrection.

UN SPRINT VERS LE BRÉSIL

Chadli slalome avec ses muscles (4 dribbles réussis en 35 minutes), et permet à De Bruyne de gagner un nouveau corner, cinq minutes plus tard. Repoussé, le ballon revient chez Eden Hazard, qui donne un cours de danse à Osako avant de lancer son pied gauche à la rencontre de Fellaini. Dans les airs, le duel face à Big Mo est forcément démesuré, et finit sur une égalisation.

Revenue du front, passée devant dans les têtes, la Belgique cherche le K.-O., mais s’expose aux contres, armes favorites des Japonais. De plus en plus comprimés devant leur rectangle, où Kawashima alterne entre approximation et miracle, les Nippons respirent grâce aux fautes de Vincent Kompany, passé de l’excès d’imprudence à celui d’agressivité. Le Citizen offre un coup franc à Keisuke Honda, auteur d’un missile flottant transformé en corner par le talent de Courtois. On joue la 93e minute, et les Japonais sont cinq dans le rectangle belge.

En une sortie aérienne et une relance dans les pieds de Kevin De Bruyne, Courtois efface sept Nippons. KDB réfléchit aussi vite qu’il court, et profite du jeu sans ballon de Lukaku pour mettre Meunier en cinquième vitesse sur un boulevard. Lukaku, encore lui, laisse passer le centre jusqu’à Chadli. La contre-attaque belge fait un 100 mètres en 9’35 ». Même Usain Bolt est jaloux. À moins qu’il ne célèbre, lui aussi, le scénario le plus fou du Mondial.

Quatre ans après son éveil brésilien, la Belgique est encore en quarts de finale. Un exploit de régularité, dans un sport où le champion du monde sortant retourne de plus en plus souvent chez lui dès la fin de la phase de poules. Les Diables deviennent la huitième sélection, seulement, à se qualifier pour les quarts de finale deux fois de suite. Le prochain obstacle est gigantesque. Place au quintuple champion du monde, qui a seulement concédé cinq tirs cadrés depuis le début de la compétition. Un rendez-vous réservé aux ambitieux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire