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Belgique-Grèce: la vie sans roi (analyse)

Les Diables rouges ont concédé leurs premiers points sur la route de la Russie. La faute à une équipe privée de hiérarchie. Analyse du match nul de la Belgique face aux Grecs.

Le mot de la soirée est évidemment d’origine grecque. Parce que tout sera une question de hiérarchie. Celle que les Diables doivent définir entre eux, parce qu’ils sont privés des deux talents qui inspirent leur football depuis près de cinq ans. Sans Eden Hazard, ni Kevin De Bruyne, la Belgique est désorientée. Essayez de savoir où vous allez quand on vous prive de vos deux yeux.

Pour retrouver le nord, les hommes de Roberto Martinez vont devoir choisir qui s’emparera de la boussole. Cela pourrait être Dries Mertens, artisan majeur de la démonstration de l’automne face à l’Estonie. Mais Radja Nainggolan et Yannick Carrasco sont aussi candidats pour hériter de la couronne d’Eden. Le premier a pris son poste, le second son numéro.

Le problème, c’est qu’être Eden Hazard n’est pas à la portée de tout le monde. Dans ce 3-4-2-1, le Blue passe son temps à rendre évidents des gestes compliqués. Un épisode de C’est pas Sorcier à lui tout seul. Quand il reçoit des passes de plus de trente mètres de Jan Vertonghen ou de Toby Alderweireld, les yeux tournés vers son but et le dos assailli par un ou deux défenseurs, Hazard contrôle le ballon, le fait mourir entre ses pieds puis le soumet à son désir en se retournant vers les cages adverses. Entre les rigoureuses lignes grecques et sur un terrain piégeux, Nainggolan et Mertens souffrent inévitablement de la comparaison. Au mieux, ils peuvent remiser le ballon en une touche, pour tenter de combiner rapidement. Mais jamais ils ne semblent capables d’installer, vraiment, le jeu dans la zone de vérité. Alors, leurs pieds ne deviennent jamais un refuge aussi sûr que ceux de l’homme qu’ils tentent de remplacer. Eux, ils ont toujours préféré être le troisième membre du triangle. Celui qui profite de l’espace, pas celui qui le crée.

Une possession de fonctionnaires

Parce qu’un cran plus bas, les idées de Kevin De Bruyne sont remplacées par la possession de fonctionnaires de Marouane Fellaini et Axel Witsel, la Belgique met plus d’une minute à franchir le rond central après le coup d’envoi, sous la pression de Grecs qui comprennent directement que le principal atout de la relance belge est Alderweireld. Toby s’infiltre une première fois, balle au pied, jusqu’aux portes de la défense hellène après six minutes, avant de recourir à un jeu long inefficace face aux athlètes grecs. Malgré un pressing presque décevant, vu le poste avancé de Nainggolan sur le terrain, le round d’observation se conclut avec 82% de possession nationale, comme dans un film où toute l’intrigue est déroulée dans la bande-annonce.

Le manque d’esprit d’aventure de Witsel permet aux Grecs de se concentrer sur les côtés, où ils s’autorisent des prises à deux pour empêcher les triangles belges de s’activer. Le bloc s’effrite une première fois quand Nacer Chadli permute avec Dries Mertens, et lui ouvre la porte du flanc droit. Le Napolitain jaillit dans la pièce, et dépose un centre parfait sur la tête de Fellaini. L’histoire des 75 minutes suivantes aurait sans doute été différente si Big Mo avait trouvé le fond des filets. Sans doute plus spectaculaire que le quart d’heure suivant, lors duquel Chadli réussira le premier dribble de la soirée diabolique, après 26 minutes avares en coups de génie.

Pendant que Nainggolan et Mertens écrivent le football belge au brouillon, Carrasco dessine de grands slaloms, pour offrir sa deuxième occasion du match à Marouane Fellaini. Le Colchonero, qui semble toujours prendre le ballon avec l’ambition de l’emmener jusqu’au fond des filets, accumule quelques maladresses en tentant d’accélérer le jeu. Tout l’inverse de Witsel, créateur forcé dont les passes paraissent toujours trop peu appuyées ou pas assez dans la course de leur destinataire pour faire passer les Diables à la vitesse supérieure. Alors que les Diables devraient augmenter le volume, Axel ressemble à ce voisin rabat-joie qui trouve toujours que la musique va un peu trop fort.

Un but et un tournant

Au retour des vestiaires, ce sont les Grecs qui montent le son. Dix-huit secondes. Le temps d’un cri dans la nuit, quand un duel aérien perdu par Chadli et un positionnement aléatoire de Laurent Ciman envoient Mitroglou déposer le seul tir cadré de la soirée grecque au fond des filets de Thibaut Courtois. Les Hellènes finiront la rencontre avec plus de buts que de corners.

Les Diables sont touchés, et ont encore plus besoin de ce leader technique qu’ils cherchent depuis près d’une heure sur une pelouse sans roi. Alderweireld est le premier à bomber le torse, avec une passe tranchante entre les lignes qui offre un peu de profondeur et une possibilité de centre en retrait. La révolte s’organise entre les jambes ambitieuses de Carrasco et l’audace croissante de Toby, qui porte le ballon de plus en plus haut pour obliger un adversaire à intervenir, et ainsi fissurer le bloc grec.

Le match s’oriente vers un dangereux équilibre, où les Grecs cassent intelligemment le rythme et défendent trop bien face à des Diables incapables d’attaquer, quand arrive la 65e minute. Là, la rencontre bascule deux fois. Avec un carton rouge et une lumière verte. Le premier est adressé à Tachtsidis, la seconde informe l’assemblée de la montée au jeu de Mousa Dembélé.

Le roi Mousa

En moins de dix minutes, la Belgique va alors tirer cinq fois, elle qui n’avait frappé au but qu’à quatre reprises en une heure de travail de sape. Le premier ballon de Dembélé offre une fenêtre de tir à Carrasco, qui va trouver un associé de choix pour déséquilibrer la défense grecque. Alors que le recul hellène réduit encore les espaces, Mousa invente du temps libre avec ses dribbles (3 réussis en 25 minutes, deuxième meilleur Diable après Carrasco). Les Grecs n’émergent plus, et luttent comme ils le peuvent contre la déferlante rouge. On croirait voir un enfant à la mer, renversé par chaque vague, mais qui se relève inlassablement sans jamais boire complètement la tasse.

Parce qu’ils n’ont pas attendu Hollywood pour connaître l’histoire des Spartiates, l’infériorité numérique rend les visiteurs encore plus héroïques. Mais le courage ne suffit pas toujours face à Dembélé, destinataire de toutes les passes de ses coéquipiers, comme s’ils lui faisaient une confiance absolue. Comme s’il était Eden Hazard.

La hiérarchie est apparue, enfin, au bout du pied soyeux de cet homme qui semble avoir transformé le terrain cahoteux en pelouse synthétique. Avec lui, Carrasco ne ménage pas sa peine, reculant balle au pied pour prendre son élan et revenir lancé sur la défense grecque. Yannick apporte un peu de surprise dans une furie nationale très chorégraphiée. Roberto Martinez ne cède pas au hourra-football désordonné en plaçant un deuxième attaquant, qui pourrait se perdre entre les tours grecques, mais ajoute Kevin Mirallas à droite pour fissurer le bloc adverse par les surnombres sur les côtés.

C’est donc d’un flanc que vient la délivrance, quand Mertens reçoit un ballon à gauche et un peu de temps pour l’ajuster. Il le dépose sur la poitrine de Romelu Lukaku, qui décide d’apparaître au bout de la nuit pour un enchaînement digne de cette catégorie d’attaquants à laquelle il rêve d’appartenir.

Rom’ enchaîne avec le dernier frisson de la soirée, un coup de tête au bout d’un centre de Carrasco, sorti par le gardien grec. Les visiteurs fêtent ce point comme une victoire, pendant que la Belgique autopsie un football encore trop dépendant de ses héros. La patrie diabolique s’accordera sur un constat : les meilleurs princes ne font pas forcément de bons rois. Surtout quand leur Royaume est une terre pleine de faux rebonds.

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