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Belgique-Bosnie : le royaume du dribble

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la large victoire des Diables rouges face à la Bosnie.

La Belgique monte sur le terrain en béquilles. Elle doit apprendre à marcher sans Kevin De Bruyne, l’homme qui suffisait à la faire courir plus vite que la majorité des adversaires qui se dressaient sur sa route depuis quatre ans. Les Diables de Wilmots ne s’étaient jamais passés de KDB depuis son avènement à Belgrade, le 12 octobre 2012, sauf pour un match sans histoire contre la Corée du Sud au Brésil. 28 titularisations lors des 29 derniers matches officiels.

De Bruyne s’était rendu indispensable en jouant comme un marteau-piqueur. Ses coups de boutoir répétés, son besoin boulimique de créer des occasions, finissaient inévitablement par percer les défenses. À Wolfsburg, il représentait à lui seul l’intégralité de l’animation offensive, et avait fini sa saison gargantuesque de Bundesliga avec 2.8 tirs, 3.3 occasions créées et 2.9 dribbles par match.

Pour son premier véritable test, la Belgique doit donc orienter ses attaques sans sa boussole de toujours. Même à l’EURO, pourtant jugé décevant par la majorité des suiveurs, KDB avait contribué à plus de huit occasions belges de moyenne par rencontre (4.2 tirs et 4.6 key-passes). Une absence qu’il allait falloir compenser collectivement. Roberto Martinez imagine donc une boussole dont les points cardinaux se trouvent sur les côtés : Meunier et Jordan Lukaku sont chargés d’étirer le jeu, Mertens et Carrasco en profitent pour se placer entre les lignes, sans pour autant étouffer un Hazard placé dans un rôle de 10 plein de libertés. En face, la Bosnie a profité de son été devant la télé pour remarquer que le 3-5-2 privait les Diables de repères. Les hommes de Bazdarevic se présentent donc avec Dzeko et Ibisevic devant, soutenus par Pjanic.

Vieux problèmes

Les premiers instants du match sont prudents. Comme une procession respectueuse entre deux équipes qui ont compris qu’elles jouaient déjà la première place d’un groupe qui vient pourtant de naître. Le pressing belge est modéré, celui des Bosniens commence seulement quand le ballon arrive à hauteur de Witsel et Fellaini.

Avec le ballon, la mécanique belge se met en place lentement, signe d’un engrenage rouillé par des années sans réfléchir à comment sortir le ballon. Signe, aussi, de l’impuissance créative du duo Fellaini – Witsel. Le premier décroche entre les centraux pour orchestrer une relance à trois et permettre à Jordan Lukaku et Meunier de s’enfoncer très loin dans leur couloir, tandis que le second ne trouve jamais d’idées entre les lignes. Sans De Bruyne pour prendre un ballon chaotique et le transformer en occasion, la Belgique ne crée rien. Hazard n’est pas aussi créatif que KDB dans un environnement hostile, et la seule bonne nouvelle du début de match vient de la complémentarité entre Mertens et Meunier sur le côté droit. Les Diables tutoient les 60% de possession, mais ne font rien d’autre que se passer le ballon.

Le round d’observation s’arrête en même temps que le match de Jordan Lukaku. Vingt minutes qui ont suffi à éveiller le courroux de ses détracteurs, puisque la seule inspiration bosnienne avait terminé sa course dans son couloir. La montée au jeu de Ciman, accompagnée d’une ovation maradonesque – le surréalisme à la belge, sans doute – coïncide avec un retour au 3-4-2-1 de Nicosie. Le système s’installe en miroir de celui des Bosniens, et permet à Vertonghen et Alderweireld de prendre en charge Dzeko et Ibisevic sans jamais se retrouver en égalité numérique. À l’autre bout du terrain, Mertens et Hazard brouillent les pistes entre les lignes, et privent les défenseurs adverses de repères.

L’incendie Carrasco

Martinez installe des un-contre-un partout sur le terrain, et le match bascule en faveur de ses dribbleurs. Le premier dribble offensif réussi de la rencontre sort des pieds enflammés de Yannick Carrasco à la 26e minute. Le Colchonero traverse la pelouse avec la fluidité d’un javelot en plein Mémorial Van Damme, et confie le ballon à Meunier, qui centre comme un latéral d’Unai Emery. La confusion d’une défense bosnienne désorganisée fait le reste.

Les Diables profitent du coup sur la tête de leur adversaire pour le pousser dans les cordes. Le deuxième crochet au visage du Bosnien groggy sort des pieds d’Eden Hazard, qui efface Begovic pour doubler la mise après un pressing judicieux de Lukaku et un extérieur du pied cartoonesque de Mertens. Deux dribbles, deux buts. C’est le Brésil. Celui de Ronaldo, Ronaldinho et Rivaldo, où les attaquants font toujours la différence balle au pied pendant que le reste de l’équipe se prépare à un éventuel dribble raté.

Le 3-4-2-1 gomme le rythme bureaucratique de Witsel et Fellaini, exclus des initiatives audacieuses qui naissent dans les pieds de Vertonghen et Alderweireld. Le gaucher trouve des intervalles magnifiques et casse les lignes pour servir Hazard ou Mertens dans les pieds, pendant que Toby envoie Meunier ou Lukaku dans la profondeur. Eden et Dries se rapprochent des flancs, et créent des surnombres avec Meunier et Carrasco sur les côtés. Chaque prise de balle de Yannick est un incendie dans la forêt défensive bosnienne. L’ancien monégasque termine la première période avec sept dribbles réussis, plus de la moitié des onze dribbles belges.

C’est le Brésil

L’orgueil de l’adversaire rééquilibre le match pendant quinze minutes. Pjanic se place un peu plus à droite, et profite du marquage individuel pratiqué par Witsel pour avoir toujours un temps d’avance. Entouré par Medunjanin, Ibisevic et Lulic, le maître à jouer bosnien crée des surnombres et des combinaisons sur le flanc droit, et force Vertonghen et Alderweireld à couper les trajectoires de quatre centres potentiellement dangereux pendant que Ciman fait de grands gestes. Le pire, c’est que Jordan Lukaku n’est plus sur le terrain pour trouver une explication toute faite à cette fébrilité du côté gauche belge.

La Bosnie y croit, Spahic fait monter sa défense de quelques mètres pour accompagner l’état d’esprit national. Romelu en profite pour lancer un sprint de bulldozer et gagner un corner tout seul. Mertens le donne mal, Alderweireld le transforme en chef d’oeuvre d’une improbable reprise. Deuxième K.-O. pour les Bosniens. Les Belges ont tiré cinq fois au but, et c’est 3-0.

La suite va trop vite pour un adversaire qui n’a plus envie de courir. Mertens joue en déviation (un seul dribble en 90 minutes, bien plus concret qu’à l’accoutumée) pour Carrasco, qui offre un but tout fait à Lukaku. Le raté est aussi douloureux que les sifflets. Romelu leur répondra treize minutes plus tard, jouant parfaitement de son corps pour pivoter autour de la défense adverse et planter le dernier but de la soirée. Romelu tend l’oreille, et n’entend plus que des applaudissements.

Ovation aussi pour Eden Hazard. Avec deux tirs, deux occasions créées mais surtout six dribbles, il est le maître à penser de cette Belgique de Brésiliens. Le football est plus spectaculaire qu’élaboré, mais le livre des Diables de Martinez commence seulement à s’écrire. Les dribbles lui font gagner du temps. Et des matches.

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