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Belgique – Angleterre : un artiste au cours de maths

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face à l’Angleterre, pour conclure un sans-faute dans le groupe G (1-0).

Deux heures de calcul valent-elles deux années de travail ? La question mérite d’être posée, au coup d’envoi d’un match que la Belgique pourrait éviter de gagner. Pourtant, l’option d’un tableau favorable ne fait pas le poids face à la winning mentality, cheval de bataille de Roberto Martinez depuis son arrivée à la tête de l’équipe nationale. Deux mots répétés en anglais pour écrire la plus belle page de l’histoire belge. Une formule qui a arraché une victoire sans enjeu en Bosnie au bout des qualifications, qui a permis aux Diables d’être les premiers européens à valider leur billet pour la Russie. Des événements presque anecdotiques qui, mis ensemble, sont les pièces du puzzle de la nouvelle Belgique.

Au coup d’envoi du match, seuls Dedryck Boyata et Thibaut Courtois enchaînent une troisième titularisation. Certains y voient une stratégie pour soigneusement éviter de gagner, alors que le sélectionneur pense surtout à faire souffler ses cadres, éprouvés par une saison à rallonge. Martinez a prévenu : il prépare deux matches en même temps. Et le chemin vers le huitième de finale passe aussi par un échauffement grandeur nature pour les remplaçants, qui devront pallier une éventuelle blessure ou renverser le scénario d’un match dans les jours qui viennent.

Contesté au moment où son nom est apparu dans les 23, Youri Tielemans prend directement le ballon, comme pour prouver qu’il mérite de faire partie de l’aventure. Le Monégasque laisse le rôle d’Axel Witsel aux pieds sûrs de Mousa Dembélé (98% de passes réussies), et enfile le costume de Kevin De Bruyne pour dicter le tempo offensif des Diables. Avec trois dribbles réussis, deux occasions créées et deux frappes, Youri prend en charge l’animation de la soirée. Dès la sixième minute, il profite de l’espace offert entre les lignes par une Angleterre qui semble toujours jouer sans milieu de terrain pour envoyer une frappe musclée en direction des filets de Jordan Pickford.

LA BELGIQUE DE FELLAINI

Dans un match où le réalisateur se complait à montrer les bancs de touche à l’écran, il faut se mettre en évidence pour attirer les caméras vers la pelouse. Pendant que l’objectif filme Eden Hazard, la Belgique trouve son plan pour évoluer sans lui. Si les dribbles sont laissés aux pieds d’Adnan Januzaj (6 tentatives, 3 dribbles réussis), le leadership offensif s’installe sur le front de Marouane Fellaini. Le registre est différent, mais la supériorité est presque identique. Pour gagner du terrain dans le camp adverse, une balle envoyée dans les airs vers Big Mo vaut bien une passe appuyée dans les pieds d’Eden. Le géant d’Old Trafford dispute six duels aériens face aux colosses anglais. Tous dans le camp adverse. Et tous remportés. Comme une échelle pour grimper vers le rectangle. Quand il s’impose au bout d’un centre de Januzaj, la malice de Michy Batshuayi force Gary Cahill à un tacle désespéré pour éviter l’ouverture du score.

Avec le ballon, les Anglais sont pourtant ambitieux. Gareth Southgate s’inspire ouvertement de Pep Guardiola, et la méthodique relance anglaise atteint les 60% de possession de balle au quart d’heure. Le plan amène souvent le ballon dans les pieds de John Stones, chargé de faire courir Danny Rose et Trent Alexander-Arnold dans le dos des couloirs belges. Thorgan Hazard est en difficulté, mais les centres anglais ne parviennent jamais à contourner le front omniprésent de Dedryck Boyata (8 ballons repoussés, dont 7 dans le rectangle). Le défenseur du Celtic confirme l’hypothèse de Martinez qui veut que, quand l’adversaire a le ballon, il offre de la sécurité avec un registre dans lequel Laurent Ciman ne pouvait pas briller.

Même les phases arrêtées anglaises, danger majeur de leurs deux premières apparitions, tournent généralement à l’avantage des Belges. Seul Ruben Loftus-Cheek parvient à s’imposer à une reprise dans le rectangle belge, sur un corner. Associé à Fabian Delph au milieu de terrain, le jeune anglais brille plus en portant le ballon (5 dribbles réussis, meilleur total du match) qu’en le faisant rouler (37 passes, contre 65 pour Dembélé et 64 pour Tielemans). Au bout de la première période, les Anglais finissent donc par abandonner la balle aux pieds belges.

ADNAN

Pendant six minutes, au retour des vestiaires, le ballon est belge. 87% de possession qui ont le don d’éveiller Marcus Rashford, toujours plus dangereux quand l’espace et le rythme augmentent. Le Mancunien évite un Dendoncker laxiste (dribblé à trois reprises) après une perte de balle belge, et s’offre la première occasion de la seconde période.

La réplique belge s’écrit avec le ballon. Tielemans est à la récupération, puis à la passe décisive. Entre-temps, mis à part Courtois et Boyata, tous les Belges participent. En douze passes soignées, sans donner l’impression d’accélérer, la Belgique amène le ballon dans le rectangle adverse, sur le pied gauche d’Adnan Januzaj. Un artiste pour obliger le pays à jeter les calculatrices par la fenêtre. De la semelle, le gaucher caresse le ballon et piétine l’honneur de Danny Rose. Il place un lift imparable au bout d’un dribble de futsal. « Januzaj a montré pourquoi il était dans l’équipe », débriefe Martinez, qui justifie ainsi un autre choix contesté. La Belgique prend la tête du groupe, et étreint celle de Januzaj, dans une communion nationale à laquelle même Thierry Henry est invité.

Thibaut Courtois maintient le leadership belge d’une main gauche tentaculaire, posée en obstacle entre le but et Marcus Rashford après une passe de Jamie Vardy qui surprend Boyata et Dendoncker. On joue depuis 66 minutes, et les Anglais viennent de cadrer leur premier tir. Seule une intervention de Fellaini après un corner repoussé par la défense belge donnera encore des frayeurs aux Diables.

UN BUFFET À 23

Thomas Vermaelen a commencé la rencontre, et Vincent Kompany est monté en fin de match, acclamé comme s’il venait de sortir des profondeurs du Loch Ness. Une résurrection qui permet à Roberto Martinez d’aborder son huitième de finale au grand complet, face à un tableau qui s’annonce particulièrement relevé. Plus le tournoi avance, mieux les choix du sélectionneur s’expliquent. Quel que soit le résultat final, Martinez aura prouvé la cohérence de ses idées pendant l’été russe.

Les Diables auraient pu calculer, mais le football ne pardonne jamais ceux qui se moquent ouvertement de lui. Les voilà au pied d’un buffet footballistique gargantuesque, avec un Japon audacieux en guise d’apéritif. La winning mentality ne connaît pas la peur. Et jusqu’à preuve du contraire, gagner un match de football procure bien plus de plaisir que la réussite d’un contrôle de maths.

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