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AS Rome, chronique d’une montée en puissance

Il aura fallu un rêve américain, une révolution française et une centaine de millions d’euros pour faire de la Roma la favorite dans la course au Scudetto. Et ce mardi soir, la Louve affronte Manchester City en Ligue des Champions. Histoire d’une résurrection.

Il paraît que tous les chemins mènent à Rome. Pourtant, voici treize ans que le Scudetto n’a plus trouvé la route du stadio Olimpico. En 2001, Fabio Capello emmenait Batistuta, Cafu et un Totti déjà capitano sur le toit de l’Italie. Depuis, il y a toujours eu la Vieille Dame ou une milanaise pour empêcher Il Bambino d’Oro d’ajouter un deuxième titre de champion à son palmarès. Mais cette saison pourrait bien être la bonne. Grâce aux dollars américains, au « Mourinho français », à un noyau qui donne le vertige, et peut-être un peu grâce à Antonio Conte.

Avant le départ inattendu de son Mister, la Juventus était une nouvelle fois la favorite à sa propre succession. Renforcée en profondeur sans perdre ses stars Pogba et Vidal, la Vieille Dame était déjà sur la voie d’un quatrième Scudetto consécutif. Mais Antonio Conte a claqué la porte, las de voir débarquer des Morata quand il demandait des Alexis Sanchez. En perdant Conte, la Juve a laissé filer son coeur, sa tête et son vice. Comme si Vidal, Pirlo et Chiellini étaient partis d’un seul coup. Il n’en fallait pas plus pour propulser la Roma sur le devant de la scène.

Révolution française

Il y a un an, pourtant, la Louve ressemble encore à un champ de ruines. Loin des places européennes, battue par l’ennemi laziale en finale de la Coppa et sur le point de perdre De Rossi, la Roma semble vouée à une saison de reconstruction, avec Rudi Gardia en chef de chantier. Un Français que les premières images sur le site de la Gazzetta montrent guitare à la main dans le vestiaire du LOSC, entonnant un refrain digne des meilleurs Gipsy Kings. Rome craint le pire, et l’accueil des supporters à Trigoria (le centre d’entraînement de la Roma) pour la reprise se fait avec une charmante banderole « Bienvenue les merdes ».

Dix matches plus tard, Rudi Garcia est déjà un héros. Grâce à dix victoires de rang, impensable pour une équipe qui brillait par son irrégularité depuis trois saisons. Grâce aussi à une victoire 2-0 dans le derby, ponctuée d’un mythique « On a simplement remis l’église au milieu du village ». Expression inconnue de l’autre côté des Alpes, qui plonge les Giallorossi et la presse dans une douce folie. Garcia est déjà devenu le « Mourinho français ».

À y regarder de plus près, le french flair de Garcia ressemble plutôt à l’équipe mise en place par Luciano Spalletti quelques années plus tôt. Comme le divin chauve, le Français place Totti au centre de son animation. Garcia met le Capitano dans sa poche et en pointe, où l’Imperatore peut rappeler qu’il était un « faux neuf » bien avant Lionel Messi. À ses côtés, un Gervinho ressuscité par Garcia reprend le rôle que Spalletti donnait alors au virevoltant Mancini : prendre la profondeur et percuter. Reste à ajouter la rigueur de Benatia derrière, les montées folles de Maicon et la géniale complémentarité d’un triangle De Rossi – Strootman – Pjanic, auxquels Nainggolan viendra s’ajouter au coeur de l’hiver.

La fin du cauchemar américain

Le premier mercato de la Roma de Garcia part tous azimuts, mais sans jamais perdre sa boussole. Une dizaine d’arrivées financées par les départs rémunérateurs de Marquinhos et Lamela, mais aussi par les dollars des propriétaires américains. Débarqués à Rome en 2011 avec leurs principes de management venus tout droit des États-Unis pour les adapter au soccer européen, les nouveaux boss de la Roma révolutionnent un football italien qui était resté hermétique aux investisseurs étrangers. Une révolution à l’américaine, avec de bruyants sabots et cette insupportable façon de vous dire qu’ils vont vous apprendre à faire ce que vous faites pourtant depuis toujours.

Quand James Pallotta place ses dollars en 2011, il veut importer Hollywood sur la pelouse de l’Olimpico. Du spectacle sur le terrain, des résultats sur le marquoir et des produits dérivés dans la Curva Sud. Pointant du doigt un Calcio agonisant, les Américains sonnent la révolution et attirent Luis Enrique sur le banc de la Magica. « Une personne ne venant pas du monde de la Serie A. Quelqu’un qui n’est pas contaminé », justifie alors le directeur sportif Walter Sabatini. Le barcelonisme est à son apogée, et les Américains rêvent de tiki-taka catalan chez les Giallorossi. Pourtant, le successeur désigné de Pep Guardiola manque de temps et d’humilité pour répondre aux exigences de résultats. La Roma est belle, mais irrégulière. Et en plus, elle joue sans Totti. Le Capitano tonne, et la foudre s’abat sur le Mister espagnol, sommé de quitter la Ville Éternelle après une petite saison de laboratoire.

Pallotta et Sabatini changent les hommes, mais pas la philosophie. Leur Roma doit être belle. Séduire la critique et le public, comme un blockbuster qui triompherait aux Oscars après avoir rempli les salles de cinéma. La Louve s’offre Zeman et sa folie offensive. Le Tchèque fait ce qu’on attend de lui : des jeunes, des buts, du spectacle, et des boulevards dans le dos de sa défense. La Magica ne décolle pas, malgré quelques prestations de haut vol, et la brouille prolongée avec De Rossi met un terme prématuré à l’aventure de Zeman. La suite est connue : Coupe d’Italie perdue, « Bienvenue les merdes », Rudi Garcia, une saison folle à 85 points, et seulement une deuxième place.

Un mercato d’espoirs et de champions

Avec Garcia, Rome a trouvé l’homme qui pouvait lui offrir de la rigueur et du spectacle. La Louve semble enfin bénéficier des bons côtés du management à l’américaine : elle joue toujours avec un coup d’avance. Pendant que le rival bianconero signe Allegri dans la panique après le départ surprise de Conte, la Roma engage l’excellent Manolas pour pallier la fuite munichoise de Benatia et profite des errements turinois pour s’offrir le pétillant Iturbe au nez et à la barbe de la Vieille Dame. Turin bafouille, Rome récite sa partition.

Garcia et Sabatini règnent sur le dernier mercato. Holebas renforce le côté gauche, Emanuelson, Yanga-Mbiwa et Paredes gonflent un effectif qui devra jouer sur trois tableaux et Uçan choisit Rome pour développer son immense talent. Et puis, il y a Ashley Cole et Seydou Keita. Encore des préretraités en Italie, pourrait-on penser. Mais le raisonnement des Romains est différent : avec ce duo, la Magica s’offre trois Premier League, trois Champions, trois Liga, une Europa League, sept FA Cup ou encore trois Coupes du Monde des Clubs. Soit deux hommes qui savent comment on soulève un trophée. Et ça tombe bien parce que treize années plus tard, le Capitano Totti a peut-être oublié…

PAR GUILLAUME GAUTIER

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