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Angel Cappa : « Le Real n’a aucune idée de jeu »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’ancien entraîneur argentin, installé à Madrid, dresse le portrait de la finale européenne entre les deux rivaux de la capitale espagnole. Entretien.

Consultant, auteur, entraîneur, et même poète du football à ses heures perdues. Angel Cappa est tout ça à la fois. Il est surtout un ardent défenseur de ce qu’il appelle « le beau jeu ». Autant dire qu’il ne salive pas devant ce duel madrilène pour une Coupe d’Europe, malgré son passé d’adjoint sur le banc de la Casa Blanca.

Installé au coin des rues de Colombie et du Pérou, qui donnent des airs d’Amérique du sud à ce café de la capitale espagnole où il reçoit comme chez lui, l’Argentin raconte la finale à venir en distribuant les métaphores avec la fluidité d’une passe de Xavi.

Cette finale, on peut dire qu’elle opposera une équipe avec une idée de jeu contre une autre qui n’a pas cette idée, mais qui peut compter sur des joueurs capables de gagner ce genre de matches ?

ANGEL CAPPA : Exactement. Est-ce que ça va changer avec la personnalité de Zidane ? Si je me fie à ce qu’a fait le président du Real jusqu’à présent, cela dépendra de s’il gagne ou non la Coupe d’Europe. S’il ne gagne rien, ce sera difficile pour lui. De mon point de vue, il devrait continuer, que ce soit Zidane ou n’importe quel entraîneur. Il faut développer une idée, et pour qu’elle se concrétise tu as besoin de temps. Parce que sinon, tu as de très grands joueurs, mais pas d’idée. Si aujourd’hui, je devais parier quelque chose, je miserais sur l’Atlético, parce qu’ils me transmettent plus de confiance. Je sais ce que va faire l’Atlético, alors que je ne sais pas ce que fera le Real. Mais les joueurs du Real sont de grands talents, habitués à évoluer dans un tel contexte. Sur un tel match, l’absence d’ordre dans leur football peut avoir moins d’importance.

Mais avoir une idée de jeu, ça reste tout de même capital.

CAPPA : C’est le plus important, dans tous les projets il faut avoir une idée. Et dans le sport, surtout dans le football, ça doit être une idée fanatique. Regarde les joueurs de l’Atlético, ils défendent cette idée avec une dévotion absolue, parce que l’idée est très claire pour eux. Ils peuvent perdre parce qu’ils sont surpassés par le rival, mais jamais parce qu’ils sont désorientés. À l’inverse, je vois un Real qui n’a aucune idée. Parfois, ils jouent bien parce qu’ils ont de bons joueurs qui se trouvent, mais d’autres fois ils jouent mal, ils défendent à deux, ou à trois… Ils n’ont pas d’idée. Mais à chaque coin du terrain, sous le maillot du Real Madrid, il y a un crack.

Le Real a joué avec Kroos, puis avec Casemiro devant la défense. Ce sont deux idées de jeu totalement différentes…

CAPPA : Le Real veut se protéger avec Casemiro. Mais les grandes équipes, comme le Barça de Guardiola ou son Bayern, ont démontré que la récupération du ballon n’était pas une question de milieu récupérateur, mais de toute l’équipe. C’est la même chose pour la distribution du jeu, elle ne dépend pas d’un seul joueur. Casemiro est quand même un bon joueur, mais il n’a pas le niveau de Kroos. Ce n’est pas tellement un récupérateur, parce que si tu regardes ses matches, il ne récupère pas tellement de ballons. Ce qu’il a surtout, c’est beaucoup de volume.

Kroos, c’est autre chose. Pour moi, c’est le meilleur joueur du Real. Celui qui comprend le mieux le jeu, et celui qui y joue le mieux. Ce qu’il se passe, c’est qu’ils l’accompagnent rarement. Kroos a le ballon, il la donne à un équipier, puis cet équipier s’en va, donc le jeu de Kroos n’a pas une répercussion suffisante sur le jeu de l’équipe. Mais pour moi, c’est le meilleur de tous. Et il peut jouer à n’importe quelle position du milieu de terrain. Parce que c’est un crack. Si maintenant, tu me demandes de choisir le meilleur joueur du Real Madrid, pour moi c’est Kroos.

Certains disent que l’idée de jeu du Real, c’est de gagner.

CAPPA : Ça n’a pas de sens. Gagner, c’est logique pour le Real parce qu’il a toujours eu les meilleurs joueurs. C’est précisément leur manque d’identité qui fait qu’ils accordent autant d’importance à la victoire. C’est pour ça qu’ils avaient signé Mourinho. Parce qu’ils voulaient gagner, et que Mourinho gagnait.

Quand Mourinho est arrivé à Madrid, c’était plus pour détruire le jeu de Barcelone que pour installer le sien ?

CAPPA : Bien sûr. Ce qu’il se passe, c’est que Florentino Perez n’a aucune idée sur le football. Et c’est logique, pourquoi un président devrait connaître le football ? Mais le problème avec lui, c’est qu’il croit qu’il sait. Donc, il prend des décisions qui n’ont rien à voir. Il n’est pas respectueux des entraîneurs. Sauf de Mourinho, justement.

Florentino pense que le football, c’est comme la grippe. Que ça s’attrape au contact des joueurs et des entraîneurs, qu’ils te contaminent. Mais le football n’est pas contagieux. Un joueur de football ne pourrait pas diriger ses entreprises. Au nom de quoi pense-t-il connaître le football ? Parce qu’il a vu beaucoup de matches ? Moi, j’ai vu beaucoup de films, mais je ne prétends pas être réalisateur.

Ce que fait Simeone avec l’Atlético, c’est différent de ce qu’avait réussi Mourinho avec l’Inter ?

CAPPA : Non. C’est une équipe qui se base sur l’ordre défensif, pendant 80 ou 90% du temps, avec aussi une grande habileté pour profiter de la moindre erreur de l’adversaire. Finalement, ils attendent que l’équipe adverse se fatigue de toucher la balle, finisse par commettre une erreur et en profitent. C’est un ordre collectif avec des aventures individuelles.

C’est une équipe qui se sent plus à l’aise sans le ballon ?

CAPPA : Cette phrase me semble si étrange… Comme si on disait qu’un poisson se sent plus à l’aise sans eau. Je ne sais pas comment on peut se sentir bien sans le ballon. C’est comme quand on parle de football direct, avec de longs ballons. Mais le concept essentiel du jeu, c’est la tromperie. C’est-à-dire, le jeu indirect ! Aux échecs, je n’ai jamais entendu personne parler de jeu direct. Imagine un joueur d’échecs qui avance sa tour le plus haut possible dès le premier coup. Et pourquoi ? Parce qu’il joue direct ? Dans aucun jeu, le direct n’a de sens. Je ne sais pas à quels jeux de cartes vous jouez en Belgique, mais dans tous les jeux de cartes… Au poker par exemple, il s’agit de tromper l’adversaire. Au football, c’est pareil ! Et comment je te trompe ? À travers des chemins indirects. Le football direct, c’est une phrase de ceux qui ne comprennent pas le jeu.

Donc, sans le ballon, ce serait impossible de prendre du plaisir sur le terrain ?

CAPPA : Je pense qu’on peut prendre du plaisir dans la récupération du ballon. Si je suis défenseur, mon objectif est de tromper celui qui est en train d’essayer de me tromper. Je le fais partir du côté que je veux. Si je suis latéral, je l’incite à aller vers l’extérieur en lui laissant un espace plus grand, et dès qu’il s’y engouffre je récupère le ballon. Là, j’utilise mes talents pour récupérer la balle.

Simeone est très fort pour inciter ses défenseurs à créer de telles situations…

CAPPA : Oui, parce qu’un défenseur de l’Atlético n’est jamais livré à lui-même face à un rival. Il reçoit toujours l’aide d’un ou deux équipiers, à n’importe quel endroit du terrain. Comme c’est une équipe défensive, ils sont amenés plus souvent à défendre et moins à attaquer. Mais ils défendent très bien. Ce n’est pas facile de prendre le dessus sur un joueur de l’Atlético, parce que tu dois toujours prendre le dessus sur deux, voire sur trois. Mais est-ce qu’ils prennent du plaisir ? Je pense qu’un joueur de football prend du plaisir avec le ballon. Je ne connais aucun crack qui n’est pas amoureux du ballon.

On peut prendre du plaisir en récupérant le ballon, mais il y a une chose qu’on oublie souvent : si tu arrives avec le ballon, et que je la pousse dehors, c’est toujours toi qui a la balle. Mais si je te prends la balle, là c’est moi qui l’ai. Ce sont des choses différentes. Récupérer la balle, ou défendre. Et généralement, l’Atlético défend plus qu’il ne récupère.

C’est le lot des équipes entraînées par un coach qui ne jure que par le résultat ?

CAPPA : Simeone est le produit d’entraîneurs qui étaient seulement intéressés par le résultat. Je ne pense pas qu’il ait eu, pendant sa carrière de joueur, un entraîneur de l’autre manière de voir le football. Mais, le jour où il a perdu la Coupe d’Europe, dans la salle de presse, il a dit : « Aujourd’hui, j’ai appris que gagner n’était pas tout. » Il l’a vu en perdant. Bien sûr que nous voulons tous gagner ! Mais son équipe avait eu un mérite énorme ! Elle a perdu la finale à la dernière minute, à cause d’une égalisation sur corner, ça ne lui enlève aucun mérite dans l’absolu. Mais nous vivons dans une société où celui qui compte est celui qui gagne, et celui qui arrive deuxième passe pour un idiot.

Par Guillaume Gautier, à Madrid

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