© BELGAIMAGE

Pourquoi Chris Froome semble-t-il imbattable?

Comment un sportif devient-il le meilleur dans sa discipline ? Dans cette série estivale, nous avons recherché les causes et les raisons de la montée vers le panthéon. Dans ce quatrième épisode, vous allez découvrir comment Chris Froome est devenu le meilleur coureur de tour du moment.

Se faire passer pour un responsable du cyclisme kényan afin de pouvoir participer à une course en Europe, officiellement, c’est de l’usurpation d’identité mais Christopher Clive Froome a une autre explication : « J’ai emprunté une adresse mail afin de pouvoir réaliser mon rêve. » Cela démontre en tout cas combien le jeune Froome avait envie de devenir coureur cycliste. « Je m’en souviens comme si c’était hier : quand j’étais petit, je passais des heures au magasin de vélos, à regarder les mécaniciens travailler. Je voulais tout comprendre. À l’époque, déjà, j’étais obsédé par le cyclisme. Le langage du cyclisme est quelque chose de spécial pour moi. Chaque partie est un élément indispensable d’un tout, comme chaque mot a sa place dans une phrase. Et cette langue, je voulais, j’allais la maîtriser. » Dans un pays où les coureurs de fond sont rois, opter pour le cyclisme n’avait rien d’une évidence mais le fils cadet de cette famille britannique n’allait pas laisser son enfance au Kenya et en Afrique du Sud lui voler son rêve. Ses frères aînés, Jonathan et Jeremy, ont vu leur petit frère se frayer un chemin dans le sable rouge du Kenya sous la houlette de son mentor, David Kinjah.

À la veille du Tour de France, ce même Chris Froome est le candidat numéro un à sa propre succession. Il remporterait ainsi l’épreuve pour la quatrième fois. Même s’il a quelque peu déçu au Critérium du Dauphiné, il en est un qui pense que Froome a tout pour devenir le plus grand coureur de tous les temps. « Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas battre mon record du nombre total de victoires au Tour de France », dit Eddy Merckx.

Lucky Froomey

Un moment a été déterminant dans le chemin atypique qui a mené le triple vainqueur du Tour à la gloire. Car si, Lars Petter Nordhaug n’était pas tombé malade juste avant la Vuelta 2011, on n’aurait peut-être jamais entendu parler de Chris Froome. Peu avant le Tour d’Espagne, Dave Brailsford, manager de Team Sky, avait envoyé ce SMS à l’agent de Froome : « Nous ne savons pas si nous allons conserver Froome l’an prochain. Je veux dire : qu’a-t-il montré l’an dernier ? » Arrivé comme porteur d’eau de Bradley Wiggins, Froome a surpris le monde du cyclisme en décrochant le maillot de leader de la Vuelta au terme de la dixième étape, un contre-la-montre de 47 km dont il a terminé deuxième. « J’étais venu à la Vuelta dans l’espoir de voir mon contrat prolongé mais je savais depuis longtemps que j’avais les gênes et le caractère nécessaires pour devenir un bon coureur de tours : ça s’est confirmé. Après avoir voulu m’écarter parce que mes débuts chez Sky avaient été un peu trop hésitants, les dirigeants me téléphonaient chaque jour pour voir ce qu’ils pouvaient faire pour moi. La preuve qu’on peut passer en moins de temps qu’il faut pour le dire d’un rôle de figurant à celui d’acteur principal. »

Le raccourci est toutefois un peu exagéré car l’acteur principal, dans ce cas, était un certain Bradley Wiggins et Sky ne savait trop que faire avec le potentiel découvert chez Froome. D’autant que Wiggins était un peu rebelle. En 2012, Froome se coupe en quatre pour que Wiggins puisse remporter le Tour de France, se privant ainsi lui-même d’un premier succès dans un grand tour. Car même un aveugle aurait vu que Froome était, de loin, le meilleur. Mais Froome n’a pas envie que l’histoire se répète et il impose ses vues : en 2013, l’équipe devrait se mettre à son service. Son assurance provient du fait qu’il sait ce qu’il a fait (et ce qu’il continue à faire) pour réussir. Il est également convaincu d’avoir les qualités génétiques nécessaires pour s’imposer.

Froome 2.0

En 2015, lorsque Sky a dévoilé quelques données à son sujet, histoire de faire taire les soupçons de dopage qui pesaient sur lui après sa démonstration au Tour, on a vu à quel point Froome possédait des capacités à faire pâlir d’envie n’importe quel sportif d’endurance.

Froome est le candidat n°1 à sa succession sur le Tour 2017. Eddy Merckx, en tout cas, croit en lui : Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas battre mon record du nombre total de victoires au Tour de France.
Froome est le candidat n°1 à sa succession sur le Tour 2017. Eddy Merckx, en tout cas, croit en lui : Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas battre mon record du nombre total de victoires au Tour de France.© BELGA

Avec une VO2-max de 89,5 ml/kg/min – capital pour l’oxygénation des muscles lors d’efforts importants – Froome fait partie des plus grands athlètes au monde mais le plus impressionnant, chez lui, c’est le rapport poids/puissance. Avec un développement maximal de 525 watts, il devance largement Quintana et Contador. De plus, il peut développer 419 watts pendant quarante minutes, ce qui explique pourquoi il se débrouille tellement bien tant lors des contre-la-montre qu’en montagne. Ce n’est pourtant pas un don du ciel mais le résultat de son travail. » Chris et moi venions de nous rencontrer lorsqu’il s’est mis en tête de perdre du poids le plus rapidement possible », se souvient Michelle Cound, madame Froome. « Heureusement, à l’époque, je faisais déjà de la diététique et je savais qu’il irait déjà très loin en mangeant moins de sucre – il adore les friandises ! – et, surtout, en supprimant les hydrates de carbone de son alimentation. Cela a rendu son régime un peu moins inhumain et, surtout, beaucoup plus sain. »

Jeroen Swart, médecin du sport, ajoute : « Le moteur, il l’a toujours eu mais la carrosserie était trop lourde. » Au début de sa carrière professionnelle, Froome pesait encore 75 kg pour 1,85 m. Aujourd’hui, la balance affiche 66 kg. Il n’a pourtant perdu que 10 % de masse musculaire et il développe encore 6,5 watts par kg au seuil d’anaérobie. Là où le coureur de tour normal développe 6 watts/kg pendant cinq à huit minutes, Froome tient facilement près d’une heure et son maximum est de 7,5 watts/kg.

Ce qui est bien pour lui aussi, c’est qu’il est meilleur par plus de trente degrés Celcius que lorsqu’il fait froid. Il est difficile de prouver que sa jeunesse sous le soleil africain y est pour quelque chose mais ce qui est certain, c’est que Froome supporte parfaitement la transpiration. Il transpire beaucoup mais perd relativement peu de sels minéraux et son corps évacue parfaitement la chaleur. À propos d’efficacité : une fois sur le vélo, Froome est le plus efficace de tous les coureurs : sa technique de pédalage est la meilleure et son organisme transforme plus rapidement les hydrates de carbone et les graisses en énergie, ce qui lui permet de faire moins d’effort pour générer autant de puissance. Lorsque le moteur le plus puissant est également le plus efficace, on ne peut pas le retenir.

Chris + Sky = Heaven

Et puis, il y a l’équipe pour laquelle il roule. Ou plutôt : l’équipe qui roule pour lui. Car c’est ce que le Team Sky fait de mieux que les autres au Tour de France. Pour comprendre sa suprématie, il suffit de lire les mesures que l’UCI veut prendre afin de limiter son pouvoir. Des équipes de huit voire six coureurs maximum devraient faire en sorte d’individualiser davantage le comtat mais c’est surtout l’instauration d’un plafond salarial qui pourrait avoir le plus d’influence. Sky dispose d’un budget de 35 millions d’euros alors que la plupart des équipes rivales n’arrivent pas à 20 millions. Tout y est donc plus professionnel. L’équipe a suffisamment de moyens financiers pour se lancer dans des expériences approfondies en matière de matériel et de techniques, c’est elle qui possède le plus beau et le meilleur bus du peloton et elle ne regarde pas à un stage à l’étranger. Le meilleur coureur du peloton est donc aussi celui qui, bien souvent, peut se préparer dans les meilleures conditions. « La plupart des équipes débarquent au Tour de France avec un ou deux coureurs qui visent le classement final et un sprinter », dit Froome. « Pas Sky. Nous misons tout sur un seul coureur et les huit autres – pourtant tous de grands coureurs qui pourraient viser le classement final – se sacrifient pour lui. » Il n’y a pas de plan B. C’est on ne peut plus simple. « Notre façon de faire est élémentaire », confirme Froome. « Nous durcissons la course au maximum et, à la fin, nous espérons que notre leader soit plus fort que les autres. Jusqu’ici, ça a plutôt bien fonctionné. »

Sa fameuse course à pied dans le mont Ventoux après une chute lors du Tour 2016.
Sa fameuse course à pied dans le mont Ventoux après une chute lors du Tour 2016.© BELGAIMAGE

Froome est l’exponentiel de la théorie des gains marginaux voulue par Sky, où tout le monde sait que chaque détail compte. Le diététicien sait exactement ce que chaque coureur avale, les briefings sont plus longs et plus détaillés que dans n’importe quelle autre équipe et le bus est si luxueux que Froome a dit un jour : « Chez Konica Minolta et Barloworld, je devais me plier en deux pour m’asseoir, c’était la classe économique des bus. Chez Sky, je suis en business. » On a eu un aperçu de la puissance (l’argent et le pouvoir qu’il confère) de Sky l’an dernier lorsque Froome a décidé d’escalader le mont Ventoux en courant après un incident avec une moto. Une folie qui aurait dû lui valoir une pénalité mais, grâce à Brailsford, Froome a été classé dans le même temps que Bauke Mollema, également impliqué dans l’incident mais qui a terminé 1’40 » avant lui. « Avant, je marchais sur un fil et le moindre faux pas pouvait signifier la fin de ma carrière », dit Froome. « Chez Sky, je ne travaille plus sans filet. »

Passion et souffrance

Froome ne remportera jamais le prix du coureur le plus élégant. Pendant des années, on l’a appelé Crash Froome parce qu’il était plus souvent au sol que sur son vélo mais personne n’aime rouler autant que lui et aucun coureur ne s’entraîne aussi assidûment. « Dès mon plus jeune âge, j’ai compris que le fait de s’entraîner en groupe vous rendait paresseux », dit-il quand on lui demande d’expliquer pourquoi il s’entraîne souvent seul. « J’étais heureux d’apprendre que Contador faisait souvent venir des amis et des équipiers pour ne pas s’entraîner seul. » Personne n’est aussi exigeant envers soi-même que Chris Froome. « Les jours de course, quand je me lève, j’ai terriblement envie de boire du café. Pourtant, je m’interdis d’en boire juste avant le départ car je suis convaincu que je vais payer l’effet stimulant de la caféine plus tard dans la journée », dit-il. Ses sorties d’entraînement individuelles sont devenues mythiques. « Je pars du principe que Contador et Nibali s’entraînent dur aussi. C’est pourquoi, lors de chaque entraînement, j’en fais plus que ce qui est indiqué sur mon plan. C’est en ajoutant des intervalles ou des sprints que j’en fais plus que mes rivaux. C’est dans ces extras que réside le secret de mes victoires. » Froome n’évite aucun sujet de conversation. Même pas ceux qui concernent le dopage – « Je n’ai rien contre des gens comme Lance Armstrong mais ce n’est pas mon cyclisme » – ou ses adversaires. « Lors de chaque entraînement, je pense à eux. J’espère qu’ils s’entraînent avec des amis ou des équipiers car ils travaillent alors moins intensivement que s’ils étaient seuls, comme moi. J’aime croire que j’en fais un peu plus qu’eux. Même si ce n’est pas vrai, ça me met en confiance. »

N’en a-t-il jamais marre de passer des milliers d’heure à vélo et de souffrir autant ? « Bien sûr, après être allé profondément dans le rouge, je me demande parfois si je vais arriver à récupérer mais je me rends compte que la souffrance est ma meilleure amie. Elle me dit toujours la vérité. L’entraînement, c’est ma drogue. » Cet homme n’est donc jamais rassasié.

Ce n’est qu’un début…

Chris Froome parviendra-t-il à lever les bras une quatrième fois à Paris, au terme de cette 104e édition de la Grande Boucle?
Chris Froome parviendra-t-il à lever les bras une quatrième fois à Paris, au terme de cette 104e édition de la Grande Boucle?© BELGAIMAGE

Au regard des objectifs qu’il s’était fixés au début de la saison 2010, il pourrait pourtant l’être.

Dans les trois ans :

– Réduire l’écart entre les bons et les mauvais jours.

– Participer à nouveau au Tour de France et m’y consacrer entièrement

– Décrocher une médaille aux Jeux du Commonwealth en 2010.

– Remporter une étape de montagne au Tour de France en 2011.

Dans les cinq ans :

Terminer dans le Top 5 du Tour de France.

Des objectifs étonnamment modestes pour un homme qui, depuis, a remporté trois Tours de France et dominé les grandes courses à étapes. Chez Froome, tout est calme, modestie et labeur. Son histoire inspire davantage la sympathie que sa personne mais, au cours des dernières années, Froome est devenu un leader pour lequel ses équipiers se coupent en quatre avec plaisir. Le Britannique laisse parler les pédales, c’est sa façon à lui de montrer la voie. Celle d’une quatrième victoire au Tour. Il aurait même déjà pu arriver à cinq cette année si, en 2012, il ne s’était pas montré aussi fidèle à Bradley Wiggins.

PAR KRISTOF VANDERHOEVEN

Chris Froome en chiffres

Lors de chaque entraînement, je pense à mes rivaux. J'aime croire que j'en fais un peu plus qu'eux. Même si ce n'est pas vrai, ça me met en confiance.
Lors de chaque entraînement, je pense à mes rivaux. J’aime croire que j’en fais un peu plus qu’eux. Même si ce n’est pas vrai, ça me met en confiance.© AFP

20 mai 1985, sa date de naissance

1,85 mètre

66 kg, son poids de forme (70 kg hors saison)

18,7 d’IMC (à son poids de forme)

Entre 4,1 et 5,5, son pourcentage de graisse

29 pulsations/minute au repos

525 watts, sa puissance maximale

89,5 millilitres par kg par minute, son VO2-max

3 Tours de France remportés (2013, 2015 en 2016) et 7 victoires d’étape.

2 médailles d’argent du contre-la-montre aux Jeux olympiques de Londres et de Rio.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire