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Celui qui a transformé Sagan

Il ne veut pas être considéré comme le sauveur de Peter Sagan, insiste Francisco Patxi Vila à trois reprises. Cette modestie l’honore mais le fait est là: depuis qu’il travaille avec l’entraîneur espagnol, Sagan a enfin dévoilé l’étendue de son immense talent. Vila explique comment.

4e à Milan-Sanremo, 30e à l’E3 Harelbeke, 10e à Gand-Wevelgem, 4e du Tour des Flandres, 23e à Paris-Roubaix. Ce n’est pas le palmarès d’un coureur moyen mais celui de Peter Sagan au printemps 2015. Nettement en dessous de son niveau et de son salaire (quatre millions par an). Donc, après Roubaix, Tinkoff-Saxo a limogé Bobby Julich, l’ancien coureur, en poste depuis quelques mois comme… coach de Sagan. Le lundi, le quadruple maillot vert s’est vu attribuer un nouvel entraîneur : Patxi Vila (40 ans), nouveau dans l’équipe. Mais, coureur chez iBanesto et Lampre et ancien employé de Specialized, le constructeur de cycles, il avait rapidement impressionné par ses connaissances physiologiques et psychologiques. L’Espagnol a donc été prié de s’occuper du talent slovaque. Un an plus tard, il revient sur sa collaboration avec Sagan.

« Les premiers jours, j’ai eu plusieurs longs entretiens avec Peter, par téléphone », raconte Vila dans un excellent anglais. Je voulais faire la connaissance de l’homme et de l’athlète. Quatre ans après ma retraite, je me sens encore coureur et j’essaie de rester proche d’eux. Je ne joue pas les professeurs sévères: j’essaie de bien leur expliquer pourquoi nous nous astreignons à tel entraînement. Quel effet positif en attendre? Ainsi, je les convainc.

Peter se sentait mal, après ce printemps raté, mais je n’ai pas bouleversé son schéma abruptement: à 25 ans, il avait déjà un beau palmarès, acquis grâce à son talent. Tout n’était pas mauvais. J’ai donc étudié pendant des heures les wattages des mois et des années précédents pour apprécier son évolution. J’ai remarqué des changements et je l’ai interrogé pour voir s’ils découlaient de son évolution physiologique ou de mauvais accents en matière de tactique, de technique, d’alimentation… J’ai ensuite établi un premier programme: après un mois de repos, un premier mois facile suivi par un stage en altitude à Lake Tahoe, avant le Tour de Californie. »

Avec succès: Sagan a gagné deux étapes et le classement général. « Nous nous sommes vus là pour la première fois. Je suis resté bouche bée. A cause de sa victoire dans le contre-la-montre de 10 kilomètres -le deuxième de sa carrière- mais surtout de sa performance au Mount Baldy. C’est un col ardu de sept kilomètres, à un pourcentage moyen de 8,7%, à une altitude qui culmine à 1.900 mètres. Peter a terminé sixième à seulement 47 secondes de Julian Alaphilippe et de Sergio Henao, mais devant Zubeldia, Gesink, Kennaugh, TenDam… Des poids plumes alors que Peter pèse 77,5 kilos. Son wattage passé m’avait déjà impressionné mais là, c’était phénoménal. J’ai compris que je devais bricoler une Ferrari. M’occuper seulement des finitions. »

LA PUISSANCE

Mais qu’y avait-il vraiment sous le capot et comment Vila a-t-il augmenté ces CV? « La principale qualité de Peter est sa zone de confort élevée. Alors que la plupart des coureurs sont à bout de souffle, il peut encore siffloter. Pourtant, il n’obtient pas des chiffres extraterrestres dans ses tests physiques sur les rouleaux. Chez Tinkoff, six ou sept coureurs atteignent des wattages plus élevés. Mais en course, sur route, il pulvérise les autres. Peter défie toutes les lois physiologiques. Je ne peux pas citer de chiffres mais là où un coureur peut développer un certain wattage pendant un maximum scientifique de x minutes avant d’être saturé, Peter tient cinq minutes de plus. Mais donc seulement en course, parce que son esprit de compétition prend le dessus et qu’il est capable d’aller loin, poussé par la rage de vaincre. »

Auparavant, des championnats de Slovaquie en juin 2014 jusqu’au Tour de Californie, il n’avait remporté qu’un succès, une étape de Tirreno-Adriatico. Plutôt maigre pour un coureur qui avait collectionné 65 victoires durant quatre ans et demi, sans aucun monument, certes. L’explication de cette longue disette? « Il s’est trop focalisé sur ses points faibles à l’entraînement. Ainsi, pendant deux ans, il a érodé ses points forts: ses bases solides et, en prenant de l’âge, sa puissance maximale pendant un sprint ou une attaque. Peter a encore atteint des wattages élevés mais il a mis de plus en plus de temps à culminer. Faute de force dans les jambes, il a perdu une partie de son explosivité. »

Vila a donc commencé à ajuster le moteur Ferrari. « Nous sommes revenus à la base: pédaler, beaucoup et longtemps. Car plus la base de la pyramide est large -et donc l’endurance- plus haut est le point. Pour le relever, je l’ai fait s’entraîner en salle de fitness trois ou quatre fois par semaine, pour récupérer sa puissance et son explosivité. C’est le changement le plus important. Peter se rendait bien au fitness mais c’est la qualité de l’exercice qui compte. Il ne faut pas augmenter le volume musculaire car ça fait prendre du poids mais activer les fibres musculaires. En soulevant des poids légers mais à un rythme soutenu. »

Le Slovaque avait une autre raison d’aller à la gym. En Californie, Vila et Peter Lagrou, le médecin sportif flamand de Tinkoff, ont compris pourquoi, en finale, après six heures de course, Sagan calait: il souffrait d’un déséquilibre des muscles des hanches et de la jambe droite: probablement à cause d’une chute, certains signaux nerveux étaient déconnectés. Cette instabilité l’incitait inconsciemment à tourner le genou vers l’extérieur. Il souffrait d’inflammations et ne pouvait plus exploiter parfaitement son potentiel. Surtout dans les finales, quand ses nerfs, fatigués, avaient encore plus de mal à envoyer des signaux aux bons muscles. Des exercices de renforcement musculaire et de stabilisation du tronc ont partiellement résolu le problème avant le Mondial et après une semaine intense au cabinet de Lagrou, au littoral, en novembre, Sagan a pu à nouveau faire travailler ses muscles comme il le fallait. Le champion du monde continue à observer à la lettre un programme de maintien.

Par Jonas Creteur

Retrouvez l’intégralité de l’article consacré à Peter Sagan dans votre Guide du Tour 2016 Sport/Foot Magazine

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